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fes récits. Les grands capitaines écrivent leurs actions avec fimplicité, parce qu'ils font plus glorieux de ce qu'ils ont fait, que de ce qu'ils ont dit.

Les chofes font comme le ftyle. Il ne donne point dans le merveilleux:tout ce qu'il dit du climat, du terrain, des mœurs, des manieres des habitans, fe rapporte à ce qu'on voit aujourd'hui dans cette côte d'Afrique : il femble que c'eft le journal d'un de nos navigateurs.

Hannon remarqua fur fa flotte, que, le jour, il régnoit dans le continent un vafte flence; que, la nuit, on entendoit les fons de divers inftrumens de mufique ; & qu'on voyoit par-tout des feux, les uns plus grands, les autres moindres (1). Nos relations confirment ceci : on y trouve que, le jour, ces fauvages, pour éviter l'ardeur du foleil, fe retirent dans les forêts; que, la nuit, ils font de grands feux, pour écarter les bêtes féroces; & qu'ils aiment paffionnément la danfe & les infrumens de mufique.

Hannon nous décrit un volcan avec tous les phénomenes que fait voir aujourd'huile Véfuve; & le récit qu'il fait de ces deux femmes velues, qui fe laifferent plutôt tuer que de fuivre les Carthaginois, & dont il fit porter les peaux à Carthage, n'eft pas, comme on l'a dit, hors de vraisemblance.

Cette relation eft d'autant plus précieufe, qu'elle est un monument Punique; & c'est parce qu'elle eft un monument Punique, qu'elle a été

(1) Pline nous dit la même chofe en parlant dù mont Atlas: Noctibus micare crebris ignibus, tibiarum cantu timpanorumque fonitu ftrepere, neminem interdiùù *cerni.

Tome II.

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regardée comme fabuleufe. Car les Romains conferverent leur haine contre les Carthaginois, même après les avoir détruits. Mais ce ne fut que la victoire qui décida s'il falloit dire, la fo iPunique ou la foi Romaine.

Des modernes (1) ont fuivi ce préjugé. Que font devenues, difent-ils, les villes qu'Hannon nous décrit, & dont, même du temps de Pline, il ne reftoit pas le moindre veftige? Le merveilleux feroit qu'il en fût refté. Etoit-ce Corinthe ou Athenes qu'Hannon alloit bâtir fur ces côtes? I laiffoit, dans les endroits propres au commerce, des familles Carthaginoifes; &, à la hate, il les mettoit en fûreté contre les hommes fauvages & les bêtes féroces. Les calamités des Carthaginois firent ceffer la navigation d'Afrique ; il fallut bien que ces familles périffent, ou devinffent fauvages. Je dis plus: quand les ruines de ces villes fubfifteroient encore, qui eft-ce qui auroit été en faire la découverte dans les bois & dans les marais ? On trouve pourtant, dans Scylax & dans Polybe, que les Carthaginois avoient de grands établiffemens fur ces côtes. Voilà les veftiges des villes d'Hannon; il n'y en a point d'autres, parce qu'à peine y en a-t-il d'autres de Carthage même.

Les Carthaginois étoient fur le chemin des richeffes: &, s'ils avoient été jufqu'au quatrieme degré de latitude nord, & au quinzieme de longitude, ils auroient découvert la côte d'Or & les côtes voifines. Ils y auroient fait un commerce de toute autre importance que celui qu'on y fait aujourd'hui, que l'Amérique femble avoir avili les richeffes de tous les autres pays : ils

(1) M. Dodvvel. Voyez la differtation fur le Périple d'Hannin,

auroient trouvé des tréfors qui ne pouvoient être enlevés par les Romains.

On a dit des chofes bien furprenantes des richeffes de l'Espagne. Si l'on en croit Ariftote (1), les Phéniciens, qui aborderent à Tartese, y trouverent tant d'argent que leurs navires ne pouvoient le contenir; & ils firent faire de ce métal, leurs plus vils uftenfiles. Les Carthaginois, au rapport de Diodore (2), trouverent tant d'or & d'argent dans les Pyrénées, qu'ils en mirent aux ancres de leurs navires. Il ne faut point faire de fond fur ces récits populaires : voici des faits précis.

On voit, dans un fragment de Polybe, cité par Strabon (3), que les mines d'argent qui étoient à la fource du Bétis, où quarante mille hommes étoient employés, donnoient au peuple Romain vingt-cinq mille dragmes par jour: cela peut faire environ cinq millions de livres par an, à cinquante francs le marc. On apelloit les montagnes où étoient ces mines, les montagnes d'argent (4); ce qui fait voir que c'étoit le Potofi de ces temps-là. Aujourd'hui les mines d'Hannover n'ont pas le quart des ouvriers qu'on employoit dans celles d'Espagne, & elles donnent plus mais les Romains n'ayant guere que des mines de cuivre, & peu de mines d'argent, & les Grecs ne connoiffant que les mines d'Attique très-peu riches, ils durent être étonnés de l'abondance de celles-là.

Dans la guerre pour la fucceffion d'Espagne, un homme appellé le Marquis de Rhodes, de

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qui on difoit qu'il s'étoit ruiné dans les mines d'or, & enrichi dans les hôpitaux (1), proposa à la cour de France d'ouvrir les mines des Pyrénées. Il cita les Tyriens, les Carthaginois & les Romains on lui permit de chercher, il chercha, il fouilla par-tout; il citoit toujours, & ne trouvoit rien.

Les Carthaginois, maîtres du commerce de l'or & de l'argent, voulurent l'être encore de celui du plomb & de l'étain. Ces métaux étoient voiturés par terre, depuis les ports de la Gaule fur l'Océan, ju qu'à ceux de la Méditerranée. Les Carthaginois voulurent les recevoir de la premiere main, ils envoyerent Himilcon, pour former (2) des établiffemens dans les ifles Caf fitérides, qu'on croit être celles de Silley.

Ces voyages de la Bétique en Angleterre, ont fait penfer à quelques gens que les Carthaginois avoient la bouffole : mais il eft clair qu'ils fuivoient les côtes. Je n'en veux d'autre preuve que ce que dit Himilcon, qui demeura quatre mois à aller de l'embouchure du Bétis en Angleterre outre que la fameufe (3) hiftoire de ce pilote Carthaginois, qui, voyant venir un vaiffeau Romain, fe fit échouer pour ne lui pas apprendre la route d'Angleterre (4), fait voir que ces vaiffeaux étoient très-près des côtes lorfqu'ils fe rencontrerent.

Les anciens pourroient avoir fait des voyages de mer qui feroient penfer qu'ils avoient la bouffole, quoiqu'ils ne l'euffent pas. Si un pilote s'étoit éloigné des côtes, & que pendant

(1) Il en avoit eu, quelque part, la direction.
(2) Voyez Feftus Avienus.

(3) Strabon, liv. III, fur la fin.

(4) Il en fut récompensé par le fénat de Carthage.

fon voyage il eût eu un temps ferein; que, la nuit, il eut toujours vu une étoile polaire, & le jour, le lever & le coucher du foleil; il eft clair qu'il auroit pu fe conduire comme on fait aujourd'hui par la bouffole: mais ce feroit un cas fortuit, & non pas une navigation réglée.

On voit, dans le traité qui finit la premiere: guerre Punique, que Carthage fut principalement attentive à fe conferver l'empire de la mer, & Rome à garder celui de la terre. Hannon (1), dans la négociation avec les Romains, déclara qu'il ne fouffriroit pas feulement quils fe lavaffent les mains dans les mers de Sicile; il ne leur fut pas permis de naviguer au-delà du beau Promontoire; il leur fut défendu (2): de trafiquer en Sicile (3), en Sardaigne, en Afrique, excepté à Carthage: exception qui fait voir qu'on ne leur y préparoit pas un commerce: avantageux.

Il y eut, dans les premiers temps, de grandes guerres entre Carthage & Marfeille (4), au fujet de la pêche. Après la paix, ils firent concurremment le commerce d'économie. Marseille fut d'autant plus jalouse, qu'égalant fa rivale en industrie, elle lui étoit devenue inférieure en puiffance: voilà la raison de cette grande fidélité pour les Romains. La guerre que ceux ci firent contre les Cathaginois en Espagne, fut une fource de richeffe pour Marfeille qui fervoit d'entrepôt. La ruine de Carthage & de Corinthe augmenta encore la gloire de Marfeille;

(1) Tite-Live, fupplément de Frenshemius, seconde décade, liv. VI.

(2) Polybe, liv. III.

(3) Dans la partie fujette aux Carthaginois. (4) Juftin, liv. XLIII, chap, v.

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