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Jofephe (1) dit que fa nation, uniquement occupée de l'Agriculture, connoiffoit peu la mer: auffi ne fut-ce que par occafion que les Juifs négocierent dans la mer Rouge. Ils conquirent, fur les Iduméens, Elath & Afiongaber, qui leur donnerent ce commerce : ils perdirent ces deux villes, & perdirent ce commerce auffi.

Il n'en fut pas de même des Phéniciens: ils ne faifoient pas un commerce de luxe; ils ne négocioient point par la conquête: leur frugalité, leur habileté, leur induftrie, leurs périls, leurs fa tigues, les rendoient néceffaires à toutes les nations du monde.

Les nations voitines de la mer Rouge ne négocioient que dans cette mer & celle d'Afrique. L'étonnement de l'univers à la découverte de la mer des Indes, faites fous Alexandre, le prouve affez. Nous avons dit (2) qu'on porte toujours aux Indes des métaux précieux, & que l'on n'en rapporte point (3): les flottes Juives qui rapportoient par la mer Rouge de l'or & de l'argent, revenoient d'Afrique, & non pas des Indes.

Je dis plus cette navigation fe faifoit fur la côte orientale de l'Afrique : & l'état où étoit la marine pour-lors, prouve affez qu'on n'alloit pas dans des lieux bien reculés.

Je fais que les flottes de Salomon & 'de Jcfaphat ne revenoient que la troisieme année; mais je ne vois pas que la longueur du voyage prouve la grandeur de l'éloignement.

(1) Contre Appion.

(2) Au chapitre 1 de ce Livre.

(3) La proportion établie en Europe entre l'or & l'ar gent peut quelquefois faire trouver du profit à prendre dans les Indes de l'or pour de l'argent; mais c'eft peu de shofe.

Pline

Pline & Strabon nous difent que le chemin qu'un navire des Indes & de la mer Rouge fabriqué de joncs, faifoit en vingt jours, un navire Grec ou Romain le faifoit en fept (1). Dans cette proportion, un voyage d'un an pour les flottes Grecques & Romaines, étoit à peu près de trois pour celles de Salomon.

Deux navires d'une viteffe inégale ne font pas leur voyage dans un temps proportionné à leur viteffe: la lenteur produit fouvent une plus grande lenteur. Quand il s'agit de fuivre les côtes, & qu'on fe trouve fans ceffe dans une différente pofition, qu'il faut attendre un bon vent pour fortir d'un golfe, en avoir un autre pour aller en avant, un navire bon voilier profite de tous les temps favorables; tandis que l'autre refte dans un endroit difficile, & attend plufieurs jours un autre changement.

Cette lenteur des navires des Indes, qui, dans un temps égal, ne pouvoient faire que le tiers du chemin que faifoient les vaiffeaux Grecs & Romains, peut s'expliquer parce que nous voyons aujourd'hui dans notre marine. Les navires des Indes qui étoient de jonc, tiroient moins d'eau que les vaiffeaux Grecs & Romains qui étoient de bois, & joints avec du fer.

On peut comparer ces navires des Indes à ceux de quelques nations d'aujourd'hui dont / les ports ont peu de fond: tels font ceux de Venife, & même en général de l'Italie (2), de la mer Baltique & de la province de Hol

(1) Voyez Pline, liv. VI, chap. xxII; & Strabon, liv. XV.

(2) Elle n'a prefque que des rades; mais la Sicile a de Lès-bous ports.

Tome II.

T

lande (1). Leurs navires qui doivent en fortir & y rentrer, font d'une fabrique ronde & large de fond; au lieu que les navires d'autres nations qui ont de bons ports, font, par le bas, d'une forme qui les fait entrer profondément dans l'eau. Cette mécanique fait que ces der niers navires naviguent plus près du vent, & que les premiers ne naviguent presque que quand ils ont le vent en poupe. Un navire qui entre beaucoup dans l'eau, navigue vers le même côté à prefque tous les vents; ce qui vient de la rélillance que trouve dans l'eau le vaiffeau pouffé par le vent, qui fait un point d'appui, & de la forme longue du vaiffeau qui eft préfenté au vent par fon côté, pendant que par l'effet de la figure du gouvernail, on tourne la proue vers le côté que l'on fe propofe; en forte qu'on peut aller très-près du vent, c'eft-à-dire, très près du côté d'où vient le vent. Mais quand le navire eft d'une figure ronde & large de fond, & que par conféquent il enfonce peu dans lean, il n'y a plus de point d'appui; le vent chaffe le vaiffeau, qui ne peut réfifter, ni guere aller que du côté oppofé au vent. D'où il fuit que les vaiffeaux d'une conftruction ronde de fond, font plus lents dans leurs voyages: 1. ils perdent beaucoup de temps à attendre le vent, fur-tout s'ils font obligés de changer fouvent de direction; 2°. ils vont plus lentement, parce que n'ayant pas de point d'appui, ils ne fauroient porter autant de voiles que les autres. Que fi, dans un temps où la marine s'eft fi fort perfectionnée; dans un temps où les arts fe communiquent; dans un

(1) Je dis de la province de Hollande; car les ports de celle de Zélande font affez profonds.,

temps où l'on corrige par l'art, & les défauts de la nature & les défauts de l'art même, on fent ces différences, que devoit-ce être dans la marine des anciens ?

Je ne faurois quitter ce fujet. Les navires des Indes étoient petits, & ceux des Grecs & des Romains, fi l'on en excepte ces machines que l'oftentation fit faire, étoient moins grands que les nôtres. Or, plus un navire eft petit, plus il eft en danger dans les gros temps. Telle tempête fubmerge un navire, qui ne feroit que le tourmenter s'il étoit plus grand. Plus un corps en furpaife un autre en grandeur, plus la furface est relativement petite; d'où il fuit que dans un petit navire il y a une moindre raifon, c'est-à-dire, une plus grande différence de la furface du navire au poids ou à la charge qu'il peut porter, que dans un grand. On fait que, par une pratique à peu près générale, on met dans un navire une charge d'un poids égal à celui de la moitié de l'eau qu'il pourroit contenir. Suppofons qu'un navire tint huit cents tonneaux d'eau, fa charge feroit de quatre cents tonneaux; celle d'un navire qui ne tiendroit que quatre cents tonneaux d'eau, feroit de deux cents tonneaux, Ainfi la grandeur du premier navire feroit, au poids qu'il porteroit, comme 8 est à 4 ; & celle du fecond, comme 4 eft à 2. Suppofons que la furface du grand foit à la furface du petit, comme 8 eft à 6, la furface (1) de celui-ci fera, à fon poids, comme 6 eft à 2; tandis que la furface de celuilà ne fera, à son poids, que comme 8 est à 4;

(1) C'est-à-dire, pour comparer les grandeurs de même genre, l'action ou la prife du fluide fur le navire fera, à la résistance du même navire, comme, &

& les vents & les flots n'agilfant que fur la furface, le grand vaiffeau réfiftera plus, par fon poids, à leur impétuofité, que le petit.

CHAPITRE VI I.

Du commerce des Grecs.

Es premiers Grecs étoient tous pirates. Mi

Lnos, qui avoit eu l'empire de la mer, na

voit eu peut-être que de plus grands fuccès dans les brigandages: fon empire étoit borné aux en virons de fon ifle. Mais lorfque les Grecs devinrent un grand peuple, les Athéniens obtinrent le véritable empire de la mer; parce que cette nation commerçante & victorieufe dunna la loi au monarque (1) le plus puiffant d'alors, & abbattit les forces maritimes de la Syrie, de l'ifle de Chypre & de la Phénicie.

Il faut que je parle de cet empire de la mer qu'eut Athenes." Athenes, dit Xenophon (2),

a l'empire de la mer mais comme l'Atti» que tient à la terre, les ennemis la ravagent, " tandis qu'elle fait fes expéditions au loin. "Les principaux laiffent détruire leurs terres, " & mettent leurs biens en fûreté dans quel" que isle: la populace qui n'a point de terres, " vit fans aucune inquiétude. Mais fi les Athé"niens habitoient une ifle, & avoient outre "cela l'empire de la mer, ils auroient le pouvoir de nuire aux autres fans qu'on put leur

(1) Le roi de Perfe.
(2) De republ. Athen.

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