Page images
PDF
EPUB

L

CHAPITRE V.

Autres différences.

E commerce, tantôt détruit par les conquérans, tantôt gêné par les monarques, parcourt la terre, fuit d'où il eft opprimé, fe repole où on le laiffe refpirer: il regne aujourd'hui où l'on ne voyoit que des délerts, des mers & des rochers; là où il régnoit, il n'y a que des déferts.

A voir aujourd'hui la Colchide, qui n'eft plus qu'une valte forêt, où le peuple, qui diminue tous les jours, ne défend fa liberté que pour fe vendre en détail au Turcs & aux Per ans; on ne diroit jamais que cette contrée eût été, du temps des Romains, pleine de villes où le commerce appelloit toutes les nations du monde. On n'eo trouve aucun monument dans le pays; il n'y en a de traces que dans Pline (1) & Strabon (2).

L'hiftoire du commerce eft celle de la communication des peuples. Leurs destructions diverfes, & de certains flux & reflux de populations & de dévaftations, en forment les plus grands événemens..

[merged small][ocr errors]

L

CHAPITRE

V I.

Du commerce des anciens.

Es tréfors immenfes (1) de Sémiramis, qui ne pouvoient avoir été acquis en un jour, nous font penfer que les Affyriens avoient euxmêmes pillé d'autres nations riches, comme les autres nations les pillerent après.

L'effet du commerce font les richeffes; la fuite des richeffes le luxe; celle du luxe la perfection des arts. Les arts portés au point où on les trouve du temps de Sémiramis (2), nous marquent un grand commerce déjà établi.

Il y avoit un grand commerce de luxe dans les empires d'Afie. Ce feroit une belle partie de l'hiftoire du commerce que l'hiftoire du luxe : le luxe des Perfes étoit celui des Medes, comme celui des Medes étoit celui des Affyriens.

Il est arrivé de grands changemens en Afie. La partie de la Perfe qui eft au nord-est, 'Hyrcanie la Margiane, la Bactriane, &c. étoient autrefois pleines de villes floriffantes (3) qui ne font plus; & le nord (4) de cet empire, c'eft-à-dire, l'ifthme qui fépare la mer Cafpienne du Pont-Euxin, étoit couvert de villes & de nations, qui ne font plus encore.

(1) Di dore, liv. II,

(2) Ibid.

(3) Voyez Pline, liv. VI, chap. xvi; & Strabon, lly. XI.

(4) Strabon, Liv. XI,

Eratofthene (1) & Aristobule tenoient de Patrocle (2), que les marchandifes des Indes paffoient par l'Oxus dans la mer du Pont. Marc Varron (3) nous dit que l'ont apprit, du temps de Pompée dans la guerre contre Mithridate, que l'on alloit en fept jours de l'Inde dans le pays des Bactriens, & au fleuve Icarus qui fe jette dans l'Oxus; que par-là les marchandifes de l'Inde pouvoient traverser la mer Cafpienne, entrer delà dans l'embouchure du Cyrus; que, de ce fleuve, il ne falloit qu'un trajet par terre de cinq jours pour aller au Phafe qui conduifoit dans le Pont-Euxin. C'eft fans doute par les nations qui peuploient ces divers pays, que les grands empires des Affyriens, des Medes & des Perfes, avoient une communication avec les parties de l'orient & de l'occident les plus reculées.

Cette communication n'eft plus. Tous ces pays ont été dévaftés par les Tartares (4), & cette nation deftructrice les habite encore pour les infefter. L'Oxus ne va plus à la mer Cafpienne; les Tartares l'ont détourné pour des

(1) Strabon, liv. XI.

(2) L'autorité de Patrocle eft considérable, comme il paroît par un récit de Strabon, liv. II.

(3) Dans Pline, liv. VI, chap. xvII. Voyez auffi Strabon, liv. X1, fur le trajet des marchandises du Phafe au Cyrus.

(4) Il faut que depuis le temps de Ptolomée, qui nous décrit tant de rivieres qui fe jettent dans la partie orientale de la mer Cafpienne, il y ait eu de grands changemens dans ce pays La carte du czar ne met de ce côté-là que la riviere d'Aftrabat; & celle de M, Bathalfi, rien du tout,

raifons particulieres (1); il se perd dans des fables arides.

Le Jaxarte, qui formoit autrefois une barriere entre les nations policées & les nations barbares, a été tout de même détourné (2) par les Tartares, & ne va plus jufqu'à la mer.

Sélucus Nicator forma le projet (3) de joindre le Pont-Euxin à la mer Cafpienne. Ce deffein, qui eût donné bien des facilités au commerce qui se faifoit dans ce temps-là, s'évanouit à sa (4) mort. On ne fait s'il auroit pu l'exécuter dans l'ifthme qui fépare les deux mers. Ce pays eft aujourd'hui très-peu connu; il eft dépeuplé & plein de forêts. Les eaux n'y manquent pas, car une infinité de rivieres y defcendent du Mont Caucafe mais ce Caucafe, qui forme le nord de l'ifthme & qui étend des efpeces de bras (5) au midi, auroit été un grand obftacle, fur-tout dans ce temps-là, où l'on n'avoit point l'art de faire des éclufes.

[ocr errors]

On pourroit croire que Seleucus vouloit faire la jonction des deux mers dans le lieu même où le czar Pierre I l'a faite depuis, c'eft-à-dire, dans cette langue de terre où le Tanaïs s'approche du Volga: mais le nord de la mer Cafpienne n'étoit pas encore découvert.

Pendant que dans les empires d'Afie il y avoit un commerce de luxe, les Tyriens faifoient par toute la terre un commerce d'économie. Bochard a employé le premier livre de fon

(1) Voyez la relation de Genkinson, dans le recueil desi voyages du nord, tome IV.

(2) Je crois que delà s'eft formé le lac Ar al.
(3) Claude Célar, dans Pline, liv. VI, chap. II.
(4) Il fut tué par Prolomée Céranus.

(s) Voyez Strabon, liv. XI.

1

Chanaan à faire l'énumération des colonies qu'ils envoyerent dans tous les pays qui font près de la mer; ils pafferent les colonnes d'Hercule, & firent des établiffemens (1) fur les côtes de l'Océan

Dans ces temps-là, les navigateurs étoient obligés de fuivre les côtes, qui étoient, pour ainfi dire, leur bouffole. Les voyages étoient longs & pénibles Les travaux de la navigation d'Ulyffe ont été un fujet fertile pour le plus beau poëme du monde, après celui qui eft le premier de tous.

Le peu de connoiffances que la plupart des peuples avoient de ceux qui étoient éloignés d'eux, favorifoit les nations qui fai oient le commerce d'économie. Elles mettoient dans leur négoce les obfcurités qu'elles vouloient : elles avoient tous les avantages que les nations intelligentes prennent fur les peuples ignorans.

L'Egypte éloignée, par la religion & par les mœurs, de toute communication avec les étrangers, ne faifoit guere de commerce au dehors: elle jouiffoit d'un terrain fertile & d'une extrême abondance. C'étoit le Japon de ces tempslà elle fe fuffifoit à elle-même.

Les Egyptiens furent fi peu jaloux du commerce du dehors, qu'ils laifferent celui de la mer Rouge à toutes les petites nations qui y eurent quelques ports. Ils fouffrirent que les Iduméens, les Juifs & les Syriens y euffent des flottes. Salomon (2) employa à cette navigation des Tyriens qui connoiffoient ces mers.

(1) Ils fonderent Tartefe, & s'établirent à Cadix. (2) Livre III des Rois, chap. Ix; Paralip. liv. II shap. VIII.

« PreviousContinue »