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CHAPITRE X X.

Continuation du même fujet.

LORSQUE les Portugais & les Caftillans domi

noient dans les Indes orientales, le commerce avoit des branches fi riches, que leurs princes ne manquerent pas de s'en faifir. Cela ruina leurs établiffemens dans ces parties-là.

Le vice-roi de Goa accordoit à des particuliers des privileges exclufifs. On n'a point de confiance en de pareilles gens; le commerce eft discontinué par le changement perpétuel de ceux à qui on le confie; perfonne ne ménage ce commerce, & ne fe foucie de le laiffer perdu à fon fucceffeur; le profit refte dans des mains particulieres, & ne s'étend pas affez.

CHAPITRE X X I.

Du commerce de la nobleffe, dans la monarchie.

Left contre l'efprit du commerce que la noI'bfeffe le faffe dans l Commerce que, cela " feroit pernicieux aux villes, difent (1) les "empereurs Honorius & Théodofe, & ôteroit "entre les marchands & les plébéiens la facilité " d'acheter & de vendre...

(1) Leg. Nobiliores, cod. de commerc. & leg. ult. od. de refcind, vendit.

11 eft contre l'esprit de la monarchie que la nobleffe y faffe le commerce. L'ufage qui a permis en Angleterre le commerce à la nobleffe, eft une des chofes qui ont le plus contribué à y y affoiblir le gouvernement monarchique.

CHAPITRE X XI I.

Réflexion particuliere.

Es gens frappés de ce qui se pratique dans

D' quelques états, penfent qu'il faudroit qu'en

France il y eut des loix qui engageaffent les nobles à faire le commerce. Ce feroit le moyen d'y détruire la nobleffe, fans aucune utilité pour le commerce. La pratique de ce pays eft trèsfage: les négocians n'y font pas nobles; mais ils peuvent le devenir; ils ont l'efpérance d'obtenir la nobleffe, fans en avoir l'inconvénient actuel; ils n'ont pas de moyen plus fûr de fortir de leur profeffion que de la bien faire, ou de la faire avec houneur, chofe qui eft ordinairement attachée à la fuffifance.

Les loix qui ordonnent que chacun refte dans fa profeffion, & la faffe paffer à fes enfans, ne font & ne peuvent être utiles que dans les états (1) defpotiques, où perfonne ne peut, ni ne doit avoir d'émulation.

Qu'on ne dite pas que chacun fera mieux fa profeffion lorsqu'on ne pourra pas la quitter pour une autre. Je dis qu'on fera mieux fa profeffion lorfque ceux qui y auront excellé espéreront de parvenir à une autre.

(1) Effectivement cela y eft fouvent ainfi établi.

1

L'acquifition qu'on peut faire de la nobleffe à prix d'argent, encourage beaucoup les négocians à fe mettre en état d'y parvenir. Je n'examine pas fi l'on fait bien de donner ainfi aux richeffes le prix de la vertu : il y a tel gouvernement où cela peut être très-utile.

En France, cet état de la robe qui fe trouve entre la grande nobleffe & le peuple, qui, fans avoir le brillant de celle-là, en a tous les privileges; cet état qui laiffe les particuliers dans la médiocrité, tandis que le corps dépofitaire des loix eft dans la gloire; cet état encore, dans lequel on n'a de moyen de fe diftinguer que par la fuffifance & par la vertu`; profession honorable, mais qui en laisse toujours voir une plus diftinguée : cette nobleffe toute guerriere, qui penfe qu'en quelque degré de richeffe que l'on foit, il faut faire fa fortune; mais qu'il eft honteux d'augmenter fon bien, fi on ne commence par le diffiper; cette partie de la nation, qui fert toujours avec le capital de fon bien, qui, quand elle est ruinée, donne fa place à une autre qui fervira avec fon capital encore ; qui va à la guerre pour que perfonne n'ofe dire qu'elle n'y a pas été; qui, quand elle ne peut cfpérer les richeffes, efpere les honneurs ; & lorfqu'elle ne les obtient pas, se console, parce qu'elle a acquis de l'honneur : toutes ces chofes ont néceffairement contribué à la grandeur de ce royaume. Et fi, depuis deux ou trois fiecles, il a augmenté fa puiffance, il faut attribuer cela à la bonté de fes loix, non pas à la fortune, qui n'a pas ces fortes de conftance.

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СНАРІT RE X XIII.

A quelles nations il eft défavantageux de faire le commerce.

L'

Es richeffes confiftent en fonds de terre, ou en effets mobiliers: les fonds de terre de chaque pays font ordinairement poffédés par fes habitans. La plupart des états ont des loix qui dégoûtent les étrangers de l'acquifition de leurs terres; il n'y a même que la présence du maître qui les faffe valoir: ce genre de richeffes appartient donc à chaque état en particulier. Mais les effets mobiliers, comme l'argent, les billets, les lettres de change, les actions fur les compagnies, les vaiffeaux, toutes les marchandifes, appartiennent au monde entier, qui dans ce rapport ne compofe qu'un feul état, dont toutes les fociétés font les membres: le peuple qui poffede le plus de ces effets mobiliers de l'univers, eft le plus riche. Quelques états en ont une immenfe quantité; ils les acquierent chacun par leurs denrées, par le travail de leurs ouvriers, par leur induftrie, par leurs découvertes, par le hafard même. L'avarice des nations fe difpute les meubles de tout l'univers. Il peut fe trouver un état fi malheureux, qu'il fera privé des effets des autres pays, & même encore de prefque tous les fiens: les propriétaires des fonds de terre n'y feront que les colons des étrangers. Cet état manquera de tout, & ne pourra rien acquérir ; il vaudroit bien mieux qu'il n'eût de commerce avec aucune nation du monde: c'eft le commerce

qui, dans les circonftances où il fe trouvoit, l'a conduit à la pauvreté.

Un pays qui envoie toujours moins de marchandises ou de denrées qu'il n'en reçoit, se met lui-même en équilibre en s'appauvriffant : il recevra toujours moins, jufqu'à ce que, dans une pauvreté extrême, il ne reçoive plus rien.

Dans les pays de commerce, l'argent qui s'est tout-à-coup évanoui, revient, parce que les états qui l'ont reçu le doivent: dans les états dont nous parlons, l'argent ne revient jamais, parce que ceux qui l'ont pris ne doivent rien.

La Pologne fervira ici d'exemple. Elle n'a prefque aucune des chofes que nous appellons les effets mobiliers de l'univers, fi ce n'eft le blé de fes terres. Quelques feigneurs poffedent des provinces entieres, ils preffent le laboureur pour .avoir une plus grande quantité de bled qu'ils puitfent envoyer aux étrangers, & fe procurer les chofes que demande leur luxe. Si la Pologne ne commerçoit avec aucune nation, fes peuples feroient plus heureux. Ses grands qui n'auroient que leur bled, le donneroient à leurs pay fans pour vivre; de trop grands domaines leur feroient à charge, ils les partageroient à leurs payfans; tout le monde trouvant des peaux ou des laines dans fes troupeaux, il n'y auroit plus une dépense immenfe à faire pour les habits; les grands qui aiment toujours le luxe, & qui ne le pourroient trouver que dans leur pays, encourageroient les pauvres au travail. Je dis que cette nation feroit plus floriffante, à moins qu'elle ne devint barbare; chofe que les loix pourroient prévenir.

Confidérons à préfent le Japon. La quantité exceffive de ce qu'il peut recevoir, produit la quantité exceffive de ce qu'il peut envoyer: les

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