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CHAPITRE X V.

Abus de la liberté.

Es grands avantages de la liberté ont fait

Cquel on a abure de la liberté mime. Parce que le gouvernement modéré a produit d'admirables effets, on a quitté cette modération : parce qu'on a tiré de grands tributs, on en a voulu tirer d'exceffifs: & méconnoiffant la main de la liberté qui faifoit ce présent, on s'eft adreffé à la fervitude qui refuse tout.

La liberté a produit l'excès des tributs: mais l'effet de ces tributs exceffifs eft de produire à leur tour la fervitude; & l'effet de la fervitude, de produire la diminution des tributs.

Les monarques de l'Afie ne font guere d'édits que pour exempter, chaque année, de tributs quelque province de leur empire (1): les manifefiations de leur volonté font des bienfaits. Mais, en Europe, les édits des princes affligent même avant qu'on les ait vus; parce qu'ils y parlent toujours de leurs befoins, & jamais des nôtres.

D'une impardonnable nonchalance, que les miniftres de ces pays-là tiennent du gouvernement, & fouvent du climat, les peuples tirent cet avantage, qu'ils ne font point fans ceffe accablés par de nouvelles demandes. Les dépenfes n'y augmentent point, parce qu'on n'y fait point de projets nouveaux : & fi par hafard on y

(1) C'est l'ufage des empereurs de la Chine.

en

en fait, ce font des projets dont on voit la fin, & non des projets commencés. Ceux qui gouvernent l'état ne le tourmentent pas, parce qu'ils ne fe tourmentent pas fans ceffe euxmêmes. Mais, pour nous, il eft impoffible que nous ayions jamais de regle dans nos finances, parce que nous favons toujours que nous ferons quelque chofe, & jamais ce que nous ferons.

On n'appelle plus, parmi nous, un grand 1iniftre celui qui eft le fage difpenfateur des revenus publics; mais celui qui eft homme d'induftrie, & qui trouve ce qu'on appelle des expédiens.

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CHAPITRE XV I.

Des conquêtes des Mahométans.

E furent ces tributs (1) exceffifs qui donnerent lieu à cette étrange facilité que trouverent les Mahométans dans leurs conquêtes. Les peuples, au lieu de cette fuite continuelle de vexations que l'avarice fubtile des empereurs avoit imaginées, fe virent foumis à un tribut fimple, paye aifément, reçu de même; plus heureux d'obéir à une nation barbare qu'à un gouvernement corrompu, dans lequel ils fouffroient tous les inconvéniens d'une liberté qu'ils n'avoient plus, avec toutes les horreurs d'une fervitude préfente..

(1) Voyez, dans l'histoire, la grandeur, la bizarrerie, & même la folie de ces tributs. Anaftafe en imagina un pour refpirer l'air : ut quisque pro hauftu aëris pendéret:

CHAPITRE X VI I.

De l'augmentation des troupes.

NE maladie nouvelle s'eft répandue en

Uurope; elle a fuift nos princes, & leur a

fait entretenir un nombre défordonné de troupes. Elle a fes redoublemens, & elle devient néceffairement contagieufe: car fi-tôt qu'un état augmente ce qu'il appelle fes troupes, les autres foudain augmentent les leurs; de façon qu'on ne gagne rien par-là, que la ruine commune. Chaque monarque tient fur pied toutes les armées qu'il pourroit avoir, fi les peuples étoient en danger d'être exterminés ; & on nomme paix cet état (1) d'effort de tous contre tous. Auffi l'Europe eft-elle fi ruinée, que les particuliers qui feroient dans la fituation où font les trois puiffançes de cette partie du monde les plus opulentes, n'auroient pas de quoi vivre. Nous fommes pauvres avec les richelles & le commerce de tout l'univers ; & bientôt, à force d'avoir des foldats, nous n'aurons plus que des foldats, & nous ferons comme des TartaIcs (2).

Les grands princes, non contens d'acheter

(1) Il eft vrai que c'eft cet état d'effort qui maintient principalement l'équilibre, parce qu'il éreinte les grandes puliiances.

(1) Il ne faut pour cela que faire valoir la nouvelle invention des milices établies dans prefque toute l'Eu rope, & les porter au même exces que l'on a fait les Loupes réglées,

les troupes des plus petits, cherchent de tous côtés à payer des alliances; c'est-à-dire, prelque toujours à perdre leur argent.

La fuite d'une telle fituation eft l'augmentation perpétuelle des tributs : & ce qui prévient tous les remedes à venir, on ne compte plus fur les revenus, mais on fait la guerre avec fon capital. Il n'eft pas inoui de voir des états hypothéquer leurs fonds pendant la paix même; & employer, pour se ruiner, des moyens qu'ils appellent extraordinaires, & qui le font fi fort que le fils de famille le plus dérangé les imagine à peine.

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CHAPITRE XVIII,

De la remife des tributs.

A maxime des grands empires d'Orient, de remettre les tributs aux provinces qui ont fouffert, devroit bien être portée dans les états monarchiques. Il y en a bien où elle est établie; mais elle accable plus que fi elle n'y étoit pas ; parce que le prince n'en levant ni plus ni moins, tout l'état devient folidaire. Pour foulager un village qui paie mal, on charge un autre qui paie mieux; on ve rétablit point le premier, on détruit le fecond. Le peuple et défelpéré entre la néceffité de payer de peur des exactions, & le danger de payer crainte de furcharges.

Un état bien gouverné doit mettre, pour le premier article de fa dépense, une fomme réglée pour les cas fortuits. Il en et du public comme des particuliers, qui fe ruinent lorfqu'ils

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dépensent exactement les revenus de leurs

terres.

A l'égard de la folidité entre les habitans du même village, on a dit (1) qu'elle étoit raisonnable, parce qu'on pouvoit supposer un complot frauduleux de leur part; mais où a-t-on pris que, fur des fuppofitions, il faille établir une chofe injufte par elle-même, & ruineufe pour l'éta‹ ?

CHAPITRE XI X.

Qu'est-ce qui eft plus convenable au prince & au peuple, de la jerme ou de la régie des tributs ?

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mie & avec ordre fes revenus.

Par la régie, le prince eft le maître de preffer ou de retarder la levée des tributs, ou fuivant fes befoins, ou fuivant ceux de fes peuples. Par la régie, il épargne à l'état les profits immenfes des fermiers qui l'appauvriffent d'une infinité de manieres. Par la régie, il épargne au peuple le fpectacle des fortunes fubites qui l'affligent. Par la régie, l'argent levé paffe par peu de mains; il va directement au prince, & par conféquent revient plus promptement au peuple. Par la régie, le Prince épargne au peuple une infinité de mauvaises loix qu'exige toujours de lui l'avarice importune des fermiers, qui mon

(1) Voyez le Traité des finances des Romains, ch. 11, imprimé à Paris, chez Briaffon, 1740,

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