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rence, de Venife & de Hollande ont fait le

Commerce.

Cette espece de trafic regarde le gouvernement de plufieurs par fa nature, & le monarchique par occafion. Car, comme il n'eft fondé que fur la pratique de gagner peu, & même de gagner moins qu'aucune autre nation, & de ne fe dédommager qu'en gagnant continuellement, il n'eft guere poffible qu'il puiffe être fait par un peuple chez qui le luxe est établi, qui dépense beaucoup, & qui ne voit que de grands objets.

C'eft dans ces idées que Cicéron (1) difoit fi bien: " Je n'aime point qu'un même peuple foit " en même temps le dominateur & le facteur "de l'univers . En effet, il faudroit fuppofer que chaque particulier dans cet état, & tout l'état même, cuffent toujours la tête pleine de grands projets, & cette même tête remplie de petits: ce qui eft contradictoire.

Ce n'eft pas que, dans ces états qui fubfiftent par le commerce d'économie, on ne faffe auffi les plus grandes entreprises, & que l'on n'y ait une hardieffe qui ne fe trouve pas dans les monarchies en voici la raison.

Un commerce mene à l'autre, le petit au médiocre, le médiocre au grand: & celui qui a eu tant d'envie de gagner peu, se met dans une fituation où il n'en a pas moins de gagner beau

coup.

De plus, les grandes entreprifes des négocians font toujours néceffairement, mêlées avec les affaires publiques. Mais dans les monarchies, les affaires publiques font la plupart du temps auffi fufpectes aux marchands, qu'elles leur pa

(1) Nolo eumdem populum imperatorem & portitorem effe terrarum.

roiffent fûres dans les états républicains. Les grandes entreprises de commerce ne font donc pas pour les monarchies, mais pour le gouvernement de plufieurs.

En un mot, une plus grande certitude de fa profpérité, que l'on croit avoir dans ces états, fait tout entreprendre ; &, parce qu'on croit être für de ce que l'on a acquis, on ofe l'expofer pour acquérir davantage; on ne court de rifque que fur les moyens d'acquérir: or les hommes efperent beaucoup de leur fortune.

Je ne veux pas dire qu'il y ait aucune monarchie qui foit totalement exclue du commerce d'économie; mais elle y eft moins portée par fa nature. Je ne veux pas dire que les républiques que nous connoiffons, foient entiérement privées du commerce de luxe; mais il a moins de rapport à leur conftitution.

Quant à l'état defpotique, il eft inutile d'en parler. Regle générale: dans une nation qui eft dans la fervitude, on travaille plus à conferver qu'à acquérir dans une nation libre, on travaille plus à acquérir qu'à conserver.

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ARSEILLE, retraite néceffaire au milieu

Md'une mer orageufe; Marseille, ce lieu

où tous les vents, les bancs de la mer, la difpofition des côtes ordonnent de toucher, fut

fréquentée par les gens de mer. La stérilité (1) de fon territoire détermina fes citoyens

au

commerce d'économie. Il fallut qu'ils fuffent laborienx, pour fuppléer à la nature qui fe refufoit; qu'ils fuffent juftes, pour vivre parmi les nations Barbares qui devoient faire leur profpérité; qu'ils fuffent modérérés, pour que leur gouvernement fût toujours tranquille; enfin, qu'ils euffent des mœurs frugales, pour qu'ils puffent toujours vivre d'un commerce qu'ils conferveroient plus fûrement lorsqu'il feroit moins avantageux.

On a va par-tout la violence & la vexation donner naiffance au commerce d'économie, lorfque les hommes font contraints de fe réfugier dans les marais, dans les ifles, les bas fonds de la mer & fes écueils même. C'eft ainfi que Tyr, Venife & les villes de Hollande furent fondées; les fugitifs y trouverent leur fûreté. Il fallut fubfifter; ils tirerent leur fubfiftance de tout l'univers.

CHAPITRE V I.

Quelques effets d'une grande navigation.

I'

L arrive quelquefois qu'une nation qui fait le commerce d'économie, ayant befoin d'une marchandise d'un pays qui lui ferve de fonds pour fe procurer les marchandises d'un autre, fe contente de gagner très-peu, & quelquefois rien, fur les unes, dans l'efpérance ou la certitude de gagner beaucoup fur les autres. Ainfi, lorfque la

(1) Juftin, liv. XLIII, chap. 1.

Hollande faifoit prefque feule le commerce du midi au nord de l'Europe, les vins de France, qu'elle portoit au nord, ne lui fervoient en quelque maniere que de fonds pour faire fon commerce dans le nord.

On fait que fouvent en Hollande, de certains genres de marchandise venues de loin, ne s'y vendent pas plus cher qu'ils n'ont coûté fur les lieux même. Voici la raifon qu'on en donne : Un capitaine, qui a befoin de lefter fon vaiffeau, prendra du marbre; il a befoin de bois pour l'arrimage, il en achetera: & pourvu qu'il n'y perde rien, il croira avoir beaucoup fait. C'eft ainfi que la Hollande a auffi fes carrieres & fes forêts.

Non-feulement un commerce qui ne donne rien peut être utile; un commerce même défavantageux peut l'être. J'ai ouï dire en Hollande, que la pêche de la baleine, en général, ne rend prefque jamais ce qu'elle coûte: mais ceux qui ont été employés à la conftruction du vaiffeau, ceux qui ont fourni les agrès, les apparaux, les vivres, font auffi ceux qui prennent le principal intérêt à cette pêche. Perdiffent-ils fur la pêche, ils ont gagné fur les fournitures. Ce commerce eft une espece de loterie, & chacun eft féduit par l'espérance d'un billet noir. Tout le monde aime à jouer, & les gens les plus fages jouent volontiers, lorsqu'ils ne voient point les apparences du jeu, fes égaremens, fes violences, fes diffipations, la perte du temps, & même de toute la vie,

CHAPITRE VII.

Efprit de l'Angleterre fur le commerce.

'ANGLETERRE n'a guere de tarif réglé avec

Les autres nations, fon tarif change, pour

ainfi dire, à chaque parlement, par les droits particuliers qu'elle ôte, ou qu'elle impofe. Elle a voulu encore conferver fur cela fon indépendance. Souverainement jaloufe du commerce qu'on fait chez elle, elle fe lie peu par des traités, & ne dépend que de fes loix.

D'autres nat ons ont fait céder des intérêts du commerce à des intérêts politiques: celle-ci a toujours fait céder fes intérêts politiques aux intérêts de fon commerce.

C'est le peuple du monde qui a le mieux fu fe prévaloir à la fois de ces trois grandes chofes, la religion, le commerce & la liberté.

CHAPITRE VI I I.

Comment on a gêné quelquefois le commerce d'économie.

Na fait dans certaines monarchies des loix

Otref propares centainer les crats qui font le

commerce d'économie. On leur a défendu d'apporter d'autres marchandifes que celles du cru de leur pays: on ne leur a permis de venir

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