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extrêmement libres, ils trahitfent la vérité à caufe de leur liberté même, qui produifant toujours des divifions, chacun devient auffi efclave des préjugés de fa faction, qu'il le feroit d'un despote.

Leurs poëtes auroient plus fouvent cette rudeffe originale de l'invention, qu'une certaine délicatelle que donne le goût, on y trouveroit quelque chofe qui approcheroit plus de la force de Michel-Ange, que de la grace de Raphaël.

LIVRE X X.

Des Loix, dans le rapport qu'elles ont avec le commerce, confidéré dans fa nature & fes diftinctions.

Docuit quæ maximus Atlas.

VIRGIL. Eneid.

L

CHAPITRE PREMIER.

Du Commerce.

Es matieres qui fuivent demanderoient d'être traitées avec plus d'étendue; mais la nature de cet ouvrage ne le permet pas. Je voudrois couler fur une riviere tranquille; je fuis entraîné par un torrent.

Le commerce guérit des préjugés destructeurs: & c'eft prefque une regle générale, que par-tout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce; & que par-tout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces.

Qu'on ne s'étonne donc point finos mœurs font moins féroces qu'elles ne l'étoient autrefois. Le commerce a fait que la connoiffance des mocurs de toutes les nations a pénétré par-tout: on les a comparées entre elles, & il en a réfulté de grands biens.

On peut dire que les loix du commerce perfectionnent les moeurs; par la même raison que ces mêmes loix perdent les moeurs. Le commerce corrompt les meurs pures (1); c'étoit le fujet des plaintes de Platon: il polit & adoucit les mours barbares, comme nous voyons tous les jours.

L

CHAPITRE II.

De l'efprit du Commerce.

'EFFET naturel du commerce eft de porter à la paix. Deux nations qui négocient enfemble fe rendent réciproquement dépendantes: fi l'une a intérêt d'acheter, l'autre a intérêt de vendre; & toutes les unions font fondées fur des befoins mutuels.

Mais fi l'efprit de commerce unit les nations, il n'unit pas de même les particuliers. Nous voyons que dans les pays (2) où l'on n'eft affecté que de l'efprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines & de toutes les vertus morales : les plus petites chofes, celles que l'humanité demande, s'y font ou s'y donnent pour de l'argent.

L'efprit de commerce produit dans les hommes un certain fentiment de juftice exacte, oppofé d'un côté au brigandage, & de l'autre à ces

(1) Céfar dit des Gaulois, que le voisinage & le commerce de Marseille les avoit gâtés de façon qu'eux, qui autrefois avoient toujours vaincu les Germains, leur étoient devenus inférieurs. Guerre des Gaules}, liv. VI.

(2) La Hollande.

vertus morales qui font qu'on ne discute pas toujours fes intérêts avec rigidité, & qu'on peut les négliger pour ceux des autres.

La privation totale du commerce produit au contraire le brigandage, qu’Ariftote met au nombre des manieres d'acquérir. L'efprit n'en est point oppofé à de certaines vertus morales: par exemple l'hofpitalité, très-rare dans les pays de commerce, fe trouve admirablement parmi les peuples brigands.

C'est un facrilege chez les Germains, dit Tacite, de fermer fa maifon à quelque homme que ce foit, connu ou inconnu. Celui qui a exercé (1) l'hospitalité envers un étranger, va lui montrer une autre maison où on l'exerce encore, & il y eft recu avec la même humanité. Mais lorfque les Germains eurent fondé des royaumes, l'hofpitalité leur devint à charge. Cela paroît par deux loix du code (2) des Bourguignons, dont l'une inflige une peine à tout Barbare qui iroit montrer à un étranger la maifon d'un Romain; & l'autre regle que celui qui recevra un étranger, fera dédommagé par les habitans, chacun pour fa quote-part.

(1) Et qui modò hofpes fuerat, monftrator_hofpitii. De morib. Germ. Voyez auffi Célar, Guerre des Ganles, liv. VI.

(2) Tit. 38.

CHAPITRE

I'

CHAPITRE II I.

De la pauvreté des peuples.

Ly a deux fortes de peuples pauvres: ceux que la dureté du gouvernement a rendu tels; & ces gens-là font incapables de prefque aucune vertu, parce que leur pauvreté fait une partie de leur fervitude : les autres ne font pauvres que parce qu'ils ont dédaigné, ou parce qu'ils n'ont pas connu les commodités de la vie; & ceux-ci peuvent faire de grandes chofes, parce que cette pauvreté fait une partie de leur liberté.

CHAPITRE IV.

Du commerce, dans les divers gouverne

mens.

Letion. Dans le gouvernement d'un feul, il

E commerce a du rapport avec la conftitu

eft ordinairement fondé fur le luxe; &, quoiqu'il le foit auffi fur les befoins réels, fon objet principal eft de procurer à la nation qui le fait, tout ce qui peut fervir à fon orgueil, à fes délices & à fes fantaifies. Dans le gouvernement de plufieurs, il eft plus fouvent fondé fur l'économie. Les négocians ayant l'oeil fur toutes les nations de la terre, portent à l'une ce qu'ils tirent de l'autre. C'eft ainfi que les républiques de Tyr, de Carthage, d'Athenes, de Marfeille, de FloTome II.

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