Page images
PDF
EPUB

fervation des biens. Chez les peuples dont les moeurs font corrompues, il vaut mieux donner la tutele à la mere. Chez ceux où les loix doivent avoir de la confiance dans les mœurs des citoyens, on donne la tutele à l'héritier des biens, ou à la mere, & quelquefois à tous les deux.

Si l'on réfléchit fur les loix Romaines, on trouvera que leur efprit eft conforme à ce que je dis. Dans le temps où l'on fit la loi des douze tables, les moeurs à Rome étoient admirables. On déféra la tutele au plus proche parent du pupille, penfant que celui-là devoit avoir la charge de la tutele, qui pouvoit avoir l'avantage de la fucceffion. On ne crut point la vie du pupille en danger, quoiqu'elle fût mife entre les mains de celui à qui fa mort devoit être utile. Mais lorsque les moeurs changerent à Rome, on vit les législateurs changer auffi de façon de penfer. Si dans la fubftitution pupillaire, difent Caius (1) & Juftinien (2), le testateur craint que le fubftitué ne dreffe des embuches au pupille, il peut laiffer à découvert la fubftitution vulgaire (3), & mettre la pupillaire dans une partie du teftament qu'on ne pourra ouvrir qu'après un certain temps. Voila des craintes & des précautions inconnues aux premiers Romains.

(1) Inftit. liv. II, tit. vI., §. 2; la compilation d'Ozeli, à Leyde, 1658.

[ocr errors]

(2) nftitut. liv. 11, de pupil. fubflit. §. 3. (3) La fubftitution vulgaire eft: Si un tel ne prend » pas l'hérédité, je lui fubftitue, &c.,, La pupillaire Si un tel meurt avant la puberté, je lui fufti

eft:
a tue, &c. "

CHAPITRE XX v.

Continuation du méme fujet.

A loi Romaine donnoit la liberté de fe faire

Ldes dons avant le mariage; après le ma

riage, elle ne le permettoit plus. Cela étoit fondé fur les mœurs des Romains, qui n'étoient portés au mariage que par la frugalité, la fimplicité & la modeftie, mais qui pouvoient fe laiffer féduire par les foins domeftiques, les complaifances & le bonheur de toute une vie.

La loi des Wifigoths (1) vouloit que l'époux ne pût donner à celle qu'il devoit époufer, audelà du dixieme de fes biens; & qu'il ne pût Jui rien donner la premiere année de fon mariage. Cela venoit encore des moeurs du pays. Les légiflateurs vouloient arrêter cette jactance Efpagnole, uniquement portée à faire des libéralités exceffives dans une aétion d'éclat.

Les Romains, par leurs loix, arrêterent quelques inconvéniens de l'empire du monde le plus durable, qui eft celui de la vertu : les Efpagnols, par les leurs, vouloient empêcher les mauvais effets de la tyrannie du monde la plus fragile, qui eft celle de la beauté.

(1) Liv. III, tit, 1, §. 3.

L

CHAPITRE XX V I.

Continuation du même sujet.

A loi (1 de Théodofe & de Valentinien tira les caules de répudiation des anciennes meurs (2) de manieres des Romains. Elle mit au nombre de ces caufes, l'action d'un mari (3) qui châtieroit fa femme d'une maniere indigne d'une perfonne ingénue. Cette caufe fut omife dans les loix fuivantes (4) c'est que les meurs avoient changé à cet égard; les usages d'orient avoient pris la place de ceux d'Europe. Le premier eunuque de l'impératrice femme de Juftinien II la menaca, dit l'hiftoire, de ce châtiment dont on punit les enfans dans les écoles. Il n'y a que des moeurs établies, ou des moeurs qui cherchent à s'établir, qui puiffent faire imaginer une pareille chose.

Nous avons vu comment les loix fuivent les moeurs voyons à préfent comment les moeurs fuivent les loix.

(1) Teg. 8, cod. de repudiis.

(2) De la loi des douze tables. Voyez Cicéron, feconde Philippique.

(3) Si verberibus, quæ ingenuis aliena funt, afficientem probaverit.

(4) Dans la novelle 117, ch. XIV.

CHAPITRE

[ocr errors]

CHAPITRE X X VI I.

Comment les loix peuvent contribuer à former les mœurs, les mieres & le ca

radere d'une nation.

L'

Es coutumes d'un peuple efclave font une partie de fa fervitude; celles d'un peuple libre font une partie de fa liberté.

J'ai parlé, au livre XI (1), d'un peuple libre; j'ai donné les principes de fa conftitution: voyons les effets qui ont dû fuivre, le caractere qui a pu s'en former, & les manieres qui en réfultent.

Je ne dis point que le climat n'ait produit en grande partie les loix, les mœurs & les manieres dans cette nation; mais je dis que les mœurs & les manieres de cette nation devroient avoir un grand rapport à fes loix.

Comme il y auroit dans cet état deux pouvoirs vifibles, la puiffance législative & l'exécutrice; & que tout citoyen y auroit fa volonté propre, & feroit valoir à fon gré fon indépendance; la plupart des gens auroient plus d'affection pour une de ces puiffances que pour l'autre, le grand nombre n'ayant pas ordinairement affez d'équité ni de fens pour les affectionner également toutes les deux,

Et comme la puiffance exécutrice, difpofant de tous les emplois, pourroit donner de grandes espérances & jamais de craintes; tous

(1) Chapitre VI,

Tome 11.

P

ceux qui obtiendroient d'elle, feroient portés à fe tourner de fon côté, & elle pourroit être attaquée par tous ceux qui n'en efpéreroient rien.

Toutes les paffions y étant libres, la haine l'envie, la jaloufie, l'ardeur de s'enrichir & de fe diftinguer, paroîtroient dans toute leur étendue; & fi cela étoit autrement, l'état feroit comme un homme abattu par la maladie, qui n'a point de paffions, parce qu'il n'a point de forces.

La haine qui feroit entre les deux partis dureroit, parce qu'elle feroit toujours impuissante.

Ces partis étant compofés d'hommes libres, fi l'un prenoit trop le deffus, l'effet de la liberté feroit que celui ci feroit abaiffé, tandis que les citoyens, comme les mains qui fecourent le corps, viendroient relever l'autre.

Comme chaque particulier, toujours indépendant, fuivroit beaucoup fes caprices & fes fantaifies, on changeroit fouvent de parti; on en abandonneroit un où l'on laifferoit tous fes amis, pour fe lier à un autre dans lequel on trouveroit tous fes ennemis; & fouvent, dans cette nation, on pourroit oublier les loix de l'amitié & celles de la haine.

Le Monarque feroit dans le cas des particuliers, &, contre les maximes ordinaires de la prudence, il feroit fouvent obligé de donner fa confiance à ceux qui l'auroient le plus choqué, & de di gracier ceux qui l'auroient le mieux fervi, faifant par néceffité ce que les autres princes font par choix.

On craint de voir échapper un bien que l'on fent, que l'on ne connoit guere, & qu'on peut nous déguifer; & la crainte groffit toujours les objets. Le peuple feroit inquiet fur fa fituation, & croiroit être en danger dans les momens même les plus fürs.

« PreviousContinue »