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une activité prodigieuse, & un défir fi exceffif du gain, qu'aucune nation commerçante ne peut fe fier à eux (1). Cette infidélité reconnue leur a confervé le commerce du Japon; aucun négociant d'Europe n'a ofé entreprendre de le faire fous leur nom, quelque facilité qu'il y eût à l'entreprendre par leurs provinces maritimes du

nord.

CHAPITRE XI.

Réflexions.

E n'ai point dit ceci pour diminuer rien de la diftance infinie qu'il y a entre les vices & les vertus: à Dieu ne plaife! J'ai feulement voulu faire comprendre que tous les vices politiques ne font pas des vices moraux, & que tous les vices moraux ne font pas des vices politiques; & c'eft ce que ne doivent point ignorer ceux qui font des loix qui choquent l'efprit général.

(1) Le Pere du Halde, tom. II.

CHAPITRE XI I.

Des manieres & des mœurs, dans l'état defpotique.

C'ES

'EST une maxime capitale, qu'il ne faut jamais changer les mœurs & les manieres dans l'état defpotique; rien ne feroit plus promptement fuivi d'une révolution.. C'eft que dans ces états il n'y a point de loix, pour ainfi dire il n'y a que des mœurs & des manieres: & li vous renverfez cela, vous renversez

tout.

Les loix font établies, les mœurs font infpirées; celles-ci tiennent plus à l'efprit général, celles-là tiennent plus à une inftitution particuliere or il eft auffi dangereux, & plus, de renverser l'efprit général que de changer une inftitution particuliere.

On fe communique moins dans les pays où chacun,& comme fupérieur & comme inférieur, exerce & fouffre un pouvoir arbitraire, que dans ceux où la liberté regne dans toutes les conditions. On y change donc moins de manieres & de moeurs; les manieres plus fixes approchent plus des lo`x: ainfi il faut qu'un prince ou un légiflateur y choque moins les mocurs & les manieres que dans aucun pays du monde.

Les femmes y font ordinairement enfermées, & n'ont point de ton à donner. Dans les autres pays où elles vivent avec les hommes, l'envie qu'elles ont de plaire, & le defir que l'on a de leur plaire auffi, font que l'on change continuellement de manieres.Les deux fexes fe gâtent;

ils perdent l'un & l'autre leur qualité diftinctive & effentielle; il fe met un arbitraire dans ce qui étoit abfolu, & les manieres changent tous les jours.

M

CHAPITRE XI I I.

Des manieres, chez les Chinois.

AIS c'eft à la Chine que les manieres font indeftructibles. Outre que les femmes y font abfolument féparées des hommes, on enfeigne dans les écoles les manieres.comme les moeurs. On connoît un lettré (1) à la façon aifée dont il fait la révérence. Ces chofes une fois données en préceptes & par de graves docteurs, s'y fixent comme des principes de morale, & ne changent plus.

CHAPITRE XI V.

Quels font les moyens naturels de changer les mœurs & les manieres d'une nation.

N

ous avons dit que les loix étoient des inftitutions particulieres & précises du légiflateur, & les moeurs & les manieres des intitutions de la ation en général. Dela il fuit que, lorfque l'on veut changer les mocurs &

(1) Dit le Fere du Halde.

les manieres, il ne faut pas les changer par les loix; cela paroîtroit trop tyrannique : il vaut mieux les changer par d'autres mœurs & d'autres manieres.

Ainfi, lorsqu'un prince veut faire de grands changemens dans fa nation, il faut qu'il réforme par les loix ce qui est établi par les loix, & qu'il change par les manieres ce qui eft établi par les manieres : & c'eft une très-mauvaise politique de changer par les loix ce qui doit être changé par les manieres.

La loi qui obligeoit les Mofcovites à fe faire couper la barbe & les babits, & la violence de Pierre I, qui faifoit tailler jufqu'aux genoux les longues robes de ceux qui entroient dans les villes, étoient tyranniques. Il y a des moyens pour empêcher les crimes, ce font les peines: il y en a pour faire changer les manieres: ce font les exemples.

La facilité & la promptitude avec laquelle cette nation s'eft policée, a bien montré que ce prince avoit trop mauvaife opinion d'elle; & que ces peuples n'étoient pas des bêtes, comme il le difoit. Les moyens violens qu'il employa étoient inutiles; il feroit arrivé tout de même à fon but par la douceur.

Il éprouva lui-même la facilité de ces changemens. Les femmes étoient renfermées &, en quelque façon esclaves; il les appella à la cour, il les fit habiller à l'Allemande, il leur envoyoit des étoffes. Ce fexe goûta d'abord une façon de vivre qui flattoit fi fort fon goût, fa vanité & fes paffions, & la fit goûter aux hommes.

Ce qui rendit le changement plus aifé, c'est que les mœurs d'alors étoient étrangeres au climat, & y avoient été apportées par le mêlange

des nations & par les conquêtes. Pierre I, donnant les mœurs & les manieres de l'Europe, à une nation d'Europe, trouva des facilités qu'il n'attendoit pas lui-même. L'empire du climat eft le premier de tous les empires. Il n'avoit donc pas befoin de loix pour changer les mœurs & les manieres de fa nation; il lui eût fuffi d'inspirer d'autres moeurs & d'autres manieres.

En général les peuples font très-attachés à leurs coutumes; les leur ôter violemment, c'eft les rendre malheureux; il ne faut donc pas les changer, mais les engager à les changer euxmêmes.

Toute peine qui ne dérive pas de la néceffité eft tyrannique. La loi n'est pas un pur acte de puiffance; les chofes indifférentes par leur nature ne font pas de fon reffort.

CHAPITRE X V.

Influence du gouvernement domestique fur le Politique.

E

Ce changement des mœurs des femmes in

fluera fans doute beaucoup dans le gouvernement de Mofcovie. Tout eft extrêmement lié : le defpotifme du prince s'unit naturellement avec la fervitude des femmes; la liberté des femmes avec l'efprit de la monarchie.

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