Page images
PDF
EPUB

certaine préférence d'un sexe fur un autre, elle avoit encore moins celui d'une perpétuité de famille, de nom ou de tranímiffion de terre : tout cela n'entroit point dans la tête des Germains. C'étoit une loi purement économique, qui donnoit la maifon, & la terre dépendante de la maison, aux mâles qui devoient l'habiter, & à qui par conféquent elle convenoit le mieux.

Il n'y a qu'à tranfcrire ici le titre des alleux de la loi falique, ce texte fi fameux, dont tant de gens ont parlé, & que fi peu de gens ont lu.

19 1°. Si un homme meurt fans enfans, fon " pere ou fa mere lui fuccéderont, 2o. S'il n'a "ni pere ni mere, fon frere ou fa fœur lui " fuccéderont. 3o. S'il n'a ni frere ni foeur, la " fœur de fa mere lui fuccédera. 4o. Si fa mere » n'a point de foeur, la foeur de fon pere lui "fuccédera. 5o. Si fon pere n'a point de four, "le plus proche parent par måle lui fuccé"dera 6o. Aucune portion (1) de la terre fali"que ne paffera aux femelles; mais elle ap

partiendra aux mâles, c'est-à-dire, que les " enfans mâles fuccéderont à leur pere. 6

Il eft clair que les cinq premiers articles concernent la fucceffion de celui qui meurt fans enfans; & le fixieme, la fucceffion de celui qui a des enfans.

Lorfqu'un homme mouroit fans enfans, la loi vouloit qu'un des deux fexes n'eût de préférence fur l'autre que dans de certains cas. Dans les deux premiers degrés de fucceffion, les avantages des mâles & des femelles étoient les mêmes; dans le troifieme & le quatrieme, les

(1) De terra verò falicâ in mulierem nulla portio hareditatis tranfit, fed hoc virilis fexus acquirit, hoc eft filii in ipfa hæreditate fuccedunt. Tit. 62. §. 6.

femmes avoient la préférence; & les mâles l'avoient dans le cinquieme.

Je trouve les femences de ces bizarreries dans Tacite," les enfans (1) des foeurs, dit-il, "font chéris de leur oncle comme de leur pro"pre pere. Il y a des gens qui regardent ce " lien comme plus étroit & même plus faint; » ils le préferent, quand ils recoivent des ota"ges... C'eft pour cela que nos premiers hiftoriens (2) nous parlent tant de l'amour des rois Francs pour leur foeur & pour les enfans de leur feurs. Que fi les enfans des feurs étoient regardés dans la maifon comme les enfans mêmes, il étoit naturel que les enfans regardaffent leur tante comme leur propre mere

La fœur de la mere étoit préférée à la fœur du pere; cela s'explique par d'autres textes de la loi falique: Lorfqu'une femme étoit veuve (3), elle tomboit fous la tutelle des parens de fon mari; la loi préféroit pour cette tutelle les parens par femmes aux parens par måles. En effet, une femme qui entroit dans une famille, s'uniffant aves les perfonnes de fon fexe, elle étoit plus liée avec les parens par femmes, qu'avec les parens par mâles. De plus, quand un homme (4) en avoit tué un autre, &

(1) Sororum filiis idem apud avunculum quàm apud patrem honor. Quidam fanctiorem arctioremque bunc nexum fanguinis arbitrantur, & in accipiendis obfidibus magis exigunt, tanquàm ii & animum firmiùs & do. mum latiùs teneant. De morib Germ.

(2) Voyez dans Grégoire de Tours, liv. VIII, ch. XVIII & xx; liv IX, ch. xvL& XX, les fureurs de Gontran fur les mauvais traitemens faits à Ingunde fa niece par Leuvigilde: & comme Childebert, fon frere, fit la guerre pour la venger.

(3) Loi falique, tit. 47. (4) Ibid, tit. 61, 6. 1.

qu'il n'avoit pas de quoi fatisfaire à la peine pécuniaire qu'il avoit encourue, la loi lui permettoit de céder fes biens, & les parens devoient fuppléer à ce qui manquoit. Après le pere, la mere & le frere, c'étoit la foeur de la mere qui payoit, comme fi ce lien avoit quelque chofe de plus tendre: or la parenté, qui donne les charges, devoit de même donner les avantages.

La loi falique vouloit qu'après la foeur du pere, le plus proche parent par måles eût la fucceffion mais s'il étoit parent au-delà du cinquieme degré, il ne fuccédoit pas. Aini une femme au cinquieme degré auroit fuccédé au préjudice d'un mâle du fixieme: & cela fe voit dans la loi (1) des Francs Ripuaires, fidelle interprete de la loi falique dans le titre des alleux, où elle fuit pas à pas le même titre de la loi falique.

Si le pere laiffoit des enfans, la loi falique vouloit que les filles fuffent exclues de la fucceffion à la terre falique, & qu'elle appartint aux enfans måles.

Il me fera aifé de prouver que la loi falique n'exclut pas indiftinctement les filles de la terre falique, mais dans le cas feulement où des freres les excluroient. Cela fe voit dans la loi falique même, qui, après avoir dit que les femmes ne pofféderont rien de la terre falique, mais feulement les mâles, s'interprete & fe reftreint elle-même: c'est-à-dire, dit-elle, "que le fils fuccédera à l'hérédité du pere.

20. Le texte de la loi falique eft éclairci par la loi des Francs Ripuaires, qui a auffi un ti

(1) Et deinceps ufque ad quintum genuculumn qui proximus fuerit in hæreditatem fuccedat. Tit. 16, §. 6.

tre (1) des alleux très-conforme à celui de la loi falique.

3o. Les loix de ces peuples Barbares, tous originaires de la Germanie, s'interpretent les unes les autres, d'autant plus qu'elles ont toutes à peu près le même efprit. La loi des Saxons (2) veut que le pere & la mere laiffent leur hérédité à leur fils, & non pas à leur fille; mais que s'il n'a que des filles, elles aient toute l'hérédité.

4°. Nous avons deux anciennes formules (3) qui pofent le cas où, fuivant la loi falique, les filles font exclues par les males; c'eft lorqu'elles concourent avec leurs freres.

5o. Une autre formule (4) prouve que la fille fuccédoit au préjudice du petit-fils; elle n'étoit donc exclue que par le fils.

60. Si les filles, par la loi falique, avoient été généralement exclues de la fuccession des terres, il feroit impoffible d'expliquer les hiftoires des formules & les chartres, qui parlent continuellement des terres & des biens des femmes dans la premiere race.

On a eu tort de dire (5) que les terres faliques étoient des fiefs. 10. Ce titre eft intitulé des alleux. 20. Dans les commencemens, les fiefs n'étoient point héréditaires. 3°. Si les terres faliques avoient été des fiefs, comment Marculfe

(1) Tit. 56.

(2) Tit 7. §. 1. Pater aut mater defuncti, filio, non filia, hæreditatem relinquant. §: 4. Qui defunctus, non filios, fed filias reliquerit, ad eas omnis hereditas per

tineat.

(3) Dans Marculfe, liv. II. form. 12; & dans l'appendice de Marculfe, form. 49.

(4) Dans le recueil de Lindembroch, form. 55. (5) Du Cange, Pithou, &c.,

auroit-il traité d'impie la coutume qui excluoit les femmes d'y fuccéder, pui que les måles même ne fuccédoient pas aux fiefs? 4°. Les chartres que l'on cire pour prouver que les terres aliques étoient des fiefs, prouvent feulement qu'elles étoient des terres franches. 5o. Les fiefs ne furent établ s qu'après la conquête; & les ufages faliques exiftoient avant que les Francs partiffent de la Germanie. 6o. Ce ne fut point la loi falique qui, en bornant la fucceffion des femmes, forma l'établiffement des fiefs; mais ce fut l'établissement des fiefs qui mit des limites à la fucceffion des femmes & aux difpolitions de la loi falique.

Ap ès ce que nous venons de dire, on ne croiroit pas que la fucceffon perpétuelle des males à la couronne de France pût venir de la loi falique. Il est pourtant indubitable qu'elle en vient. Je le prouve par les divers codes des peuples Barbares La loi falique (1) & la loi des Bourguignons (2) ne donnerent point aux filles le droit de fuccéder à la terre avec leurs freres; elles ne fuccéderent pas non plus à la couronne. La loi des Wifigoths (3), au contraire, admit les filles (4) à fuccéder aux terres avec leurs freres; les femmes furent capables de fuccéder à la couronne. Chez ces peuples, la difpofition de la loi civile força (5) la loi politique.

(1) Tit. 62.

(2) Tit. 1, 6. 3; tit. 14, §. 1 ; & tit. 51.

(3) Liv. IV, tit. 2. §. 1.

(4) Les nations Germaines, dit Tacite, avoient des ufages communs; elles en avoient auffi de particuliers.

(s) La couronne, chez les Oftrogoths, palla deux

« PreviousContinue »