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font pas; ce qui ett quelquefois un dédommagement.

La stérilité du terrain de l'Attique y établit le gouvernement populaire; & la fertilité de celui de Lacédémone, le gouvernement ariftocratique. Car, dans ces temps-là, on ne vouloit point dans la Grece du gouvernement d'un feul : or, le gouvernement aristocratique a plus de rapport avec le gouvernement d'un seul.

Plutarque (1) nous dit que la fédition Cilonienne ayant été appaisée à Athenes, la ville retomba dans fes anciennes diffentions, & fe divifa en autant de partis qu'il y avoit de fortes de territoires dans les pays de l'Attique. Les gens de la montagne vouloient à toute force le gouvernement populaire; ceux de la plaine demandoient le gouvernement des principaux ; ceux qui étoient près de la mer, étoient pour un gouvernement mêlé des deux.

CES

CHAPITRE II.

Continuation du même fujet.

Es pays fertiles font des plaines, où l'on ne peut rien difputer au plus fort: on se foumet donc à lui; & quand on lui eft foumis, l'esprit de liberté n'y fauroit revenir; les biens de la campagne font un gage de la fidélité. Mais, dans les pays de montagnes, on peut conferver ce que l'on a, & l'on a peu à conferver. La liberté, c'est-à-dire le gouvernement dont on jouit, eft

(1) Vie de Solon.

le feul bien qui mérite qu'on le défende. Elle regne donc plus dans les pays montagneux & difficiles, que dans ceux que la nature fembloit avoir plus favorisés.

Les montagnards confervent un gouvernement plus modéré, parce qu'ils ne font pas fi fort expofés à la conquête. Ils fe défendent aifément; ils font attaqués difficilement; les munitions de guerre & de bouche font affemblées & portées contre eux avec beaucoup de dépenfe, le pays n'en fournit point. Il eft donc plus difficile de leur faire la guerre, plus dangereux de l'entreprendre; & toutes les loix que l'on fait pour la fûreté du peuple, y ont moins de lieu.

CHAPITRE II I.

Quels font les pays les plus cultivés.

L

Es pays ne font pas cultivés en raifon de leur fertilité, mais en raifon de leur liberté; & fi l'on divite la terre par la penfée, on fera étonné de voir la plupart du temps des déferts dans fes parties les plus fertiles, & de grands peuples dans celles où le terrain femble refufer tout.

Il eft naturel qu'un peuple quitte un mauvais pays pour en chercher un meilleur & non pas qu'il quitte un bon pays pour en chercher un pire. La plupart des invafions fe fint donc dans les pays que la nature avoit faits pour être heureux: & comme rien n'est plus près de la dévaftation que l'invafion, les meilleurs pays font les plus fouvent dépeuplés, tandis que

l'affreux pays du nord refte toujours habité, par la raison qu'il eft prefque inhabitable.

On voit, parce que les hiftoriens nous disent du paffage des peuples de la Scandinavie fur les bords du Danube, que ce n'étoit point une conquête, mais feulement une tranfmigration dans des terres défertes.

Ces climats heureux avoient donc été dépeuplés par d'autres tranfmigrations, & nous ne favons pas les chofes tragiques qui s'y font paffées.

"Il paroit par plufieurs monumens, dit Arif"tote (1), que la Sardaigne eft une colonie

Grecque. Elle étoit autrefois très-riche; & "Arifiée, dont on a tant vanté l'amour pour » l'agriculture, lui donna des loix. Mais elle

a bien déchu depuis; car les Carthaginois » s'en étant rendus les maîtres, il y détruifirent "tout ce qui pouvoit la rendre propre à la " nourriture des hommes, & défendirent, fous " peine de la vie, d'y cultiver la terre. La Sardaigne n'étoit point rétablie du temps d'Ariftote; elle ne l'eft point encore aujourd'hui.

Les parties les plus tempérées de la Perfe de la Turquie, de la Mofcovie & de la Pologne, n'ont pu le rétablir des dévaftations des grands & des petits Tartares.

(1) Ou celui qui a écrit le livre de mirabilibus.

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CHAPITRE IV.

Nouveaux effets de la ferilité & de la jtérilité du pays.

Laduftrieux

A ftérilité des terres rend les hommes infobres, endurcis au travail, courageux, propres à la guerre; il faut bien qu'ils fe procurent ce que le terrain leur refufe. La fertilité d'un pays donne, avec l'aifance, la moleffe, & un certain amour pour la confervation de la vie,

On a remarqué que les troupes d'Allemagne, levées dans des lieux où les payfans font riches, comme cn Saxe, ne font pas fi bonnes que les autres. Les loix militaires pourront pourvoir à cet inconvénient par une plus févere difcipline.

CHAPITRE V.

Des peuples des ifles.

Es peuples des isles font plus portés à la

Lliberté que les peuples du continent. Les

ifles font ordinairemement d'une petite étendue (1); une partie du peuple ne peut pas être fi bien employée à opprimer l'autre ; la mer les fépare des grands empires, & la tyran

(1) Le Japon déroge à ceci par fa grandeur & par sa fervitude.

nie ne peut pas s'y prêter la main ; les conquérans font arrêtés par la mer ; les infulaires ne font pas enveloppés dans la conquête, & ils confervent plus aifément leurs loix.

CHAPITRE V I.

Des pays formés par l'induftrie des

hommes.

Les pays que l'induftrie des hommes a rendus

habitables, & qui ont befoin, pour exifter, de la même industrie, appellent à eux le gouvernement modéré. Il y en a principalement trois de cette espece; les deux belles provinces de Kiang-nan & Tche-kiang à la Chine, l'Egypte & la Hollande.

Les anciens empereurs de la Chine n'étoient point conquérans. La premiere chofe qu'ils firent pour s'agrandir, fut celle qui prouva le plus leur fageffe. On vit fortir de deffous les eaux les deux plus belles provinces de l'empire; elles furent faites par les hommes. C'est la fertilité inexprimable de ces deux provinces, qui a donné à l'Europe les idées de la félicité de cette vafte contrée. Mais un foin continue! & néceffaire pour garantir de la deftruction une partie confidérable de l'Empire, demandoit plutôt les mœurs d'un peuple fage, que celles d'un peuple volup tueux; plutôt le pouvoir légitime d'un monarque, que la puiffance tyrannique d'un defpote. Il falloit que le pouvoir y fût modéré, comme il l'étoit autrefois en Egypte. Il falloit que le pou- · voir y fût modéré, comme il l'eft en Hollande,

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