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font devenus Tartares, & mortels ennemis de la Chine; mais cela n'empêche pas qu'ils n'aient porté dans la Tartarie l'efprit du gouvernement Chinois.

Souvent une partie de la nation Tartare qui a conquis eft chaffée elle-même; & elle rapporte dans fes déferts un efprit de fervitude qu'elle a acquis dans le climat de l'efclavage. L'hiftoire de la Chine nous en fourni de grands exemples, & notre hiftoire ancienne auffi (1).

C'elt ce qui a fait que le génie de la nation Tartare ou Gétique, a toujours été femblable à celui des empires de l'Afie. Les peuples, dans ceux-ci, font gouvernés par le bâton, les peuples Tartares, par les longs fouets. L'efprit de l'Europe a toujours été contraire à ces mœurs; & dans tous les temps, ce que les peuples d'Afie ont appelé punition, les peuples d'Europe, l'ont appellé outrage (2).

Les Tartares, détruifant l'empire Grec, établirent dans les pays conquis la fervitude & le defpotifme les Goths, conquérant l'empire Romain, fonderent par-tout la monarchie & la liberté.

Je ne fais fi le fameux Rudbeck, qui dans fon Atlantique a tant loué la Scandinavie, a parlé de cette grande prérogative qui doit mettre les nations qui l'habitent au-deffus de tous les peuples du monde ; c'est qu'elles ont été la

(1) Les Scythes conquirent trois fois l'Afie, & en furent trois fois chalés, Justin, liv. II.

(2) Ceci n'est point contraire à ce que je dirai au: liv. XXVIII, ch. xx, fur la maniere de penfer des peuples Germains fur le bâton: quelqu'inftrument que ce fûr, ils regarderent toujours comme un affront, le pouvoir ou l'action arbitraire de battre.

fource de la liberté de l'Europe, c'est-à-dire, de prefque toute celle qui eft aujourd'hui parmi les hommes.

Le Goth Jornandez a appellé le nord de l'Europe la fabrique du genre humain (1). Je l'appellerai plutôt la fabrique des inftrumens qui brifent les fers forgés au midi. C'eft-là que fe forment ces nations vaillantes, qui fortent de leur pays pour détruire les tyrans & les efclayes, & apprendre aux hommes que la nature les ayant fait égaux, la raison n'a pu les rendre dépendans que pour leur bonheur.

CHAPITRE VI.

Nouvelle caufe phyfique de la fervitude de l'Afie & de la liberté de l'Europe.

EN

N Afie, on a toujours vu de grands empires: en Europe, ils n'ont jamais pu fubfifter.. C'eft que l'Afie que nous connoiffons, a de plus grandes plaines; elle eft coupée en plus grands morceaux par les mers; & comme elle eft plus au midi, les fources y font plus aifément taries, les montagnes y font moins couvertes de neiges, & les fleuves (2) moins groffis y forment de moindres barrieres.

La puiffance doit donc être toujours defpotique en Afie. Car fi la fervitude n'y étoit pas extrême, il fe feroit d'abord un partage que la nature du pays ne peut pas fouffrir.

(1) Humani generis officinam.

(2) Les eaux fe perdent ou s'évaporent avant de fe samaffer, ou après s'être ramaflées,

En Europe, le partage naturel forme plufieurs états d'une étendue médiocre, dans lefquels le gouvernement des loix n'eft pas incompatible avec le maintien de l'état: au contraire, il y eft fi favorable que, fans elles, cet état tombe dans la décadence, & devient inférieur à tous les autres.

C'est ce qui a formé un génie de liberté, qui rend chaque partie très-difficile à être fubjuguéə & foumife à une force étrangere, autrement quǝ par les loix & l'utilité de fon commerce.

Au contraire, il regne en Afie un efprit de fervitude qui ne l'a jamais quittée; &, dans toutes les hiftoires de ce pays, il n'eft pas poffible de trouver un feul trait qui marque une ame libre: on n'y verra jamais que l'héroïsme de la fervitude.

CHAPITRE V I I.

De l'Afrique & de l'Amérique.

Vl'Europe. L'Afrique eft dans un climat pa

OILA que je puis dire fur l'Afie & fur

reil à celui du midi de l'Afie,& elle eft dans une même fervitude. L'Amérique (1), détruite & nouvellement repeuplée par les nations de l'Europe & de l'Afrique, ne peut guere aujourd'hui montrer fon propre génie: mais ce que nous favons de fon ancienne hiftoire est trèsconforme à nos principes.

(1) Les petits peuples barbares de l'Amérique font appellés Indios bravos, par les Espagnols: bien plus difficiles à foumettre que les grands empires du Mexique & du Pérou.

CHAPITRE VIII.

UN

De la capitale de l'Empire.

NE des conféquences de ce que nous venons de dire, c'est qu'il est important à un très-grand prince de bien choisir le fiege de fon empire. Celui qui le placera au midi, courra rifque de perdre le nord; & celui qui le placera au nord, confervera aisément le midi. Je ne parle pas des cas particuliers: la mécanique a bien fes frottemens, qui fouvent changent ou arrê tent les effets de la théorie: la politique a aufs les fiens,

LIVRE XVII I.

Des loix dans le rapport qu'elles ont avec la nature du terrain.

CHAPITRE PREMIER.

Comment la nature du terrain influe fur les loix.

A bonté des terres d'un pays y établit natu

L rellement la dépendance. Les gens de la

campagne, qui y font la principale partie du peuple, ne font pas fi jaloux de leur liberté : ils font trop occupés & trop pleins de leurs affaires particulieres. Une campagne qui regorge de biens, craint le pillige, elle craint une armée. " Qui eft-ce qui forme le bon parti, di

foit Cicéron à Atticus (1)? Seront-ce les "gens de commerce & de la campagne? à "moins que nous n'imaginions qu'ils font oppo

fés à la monarchie, eux à qui tous les gou"nemens font égaux, dès-lors qu'ils font "tranquilles ..

Ainfi le gouvernement d'un feul fe trouve plus fouvent dans les pays fertiles, & le gouvernement de plufieurs dans les pays qui ne le

(1) Liv. VII.

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