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par colere, ou de fang froid, toutes fortes de crimes & d'injuftices, parce que ces crimes & ces injuftices ne leur montroient pas la main de la divinité fi préfente. Les Francs, comme j'ai dit, fouffroient des rois meurtriers parce qu'ils étoient meurtriers eux-mêmes; ils n'étoient point frappés des injuftices & des rapines de leurs rois, parce qu'ils étoient ravisfeurs & injuftes comme eux. Il y avoit bien des loix établies; mais les rois les rendoient inutiles par de certaines lettres appellées préceptions (*), qui renversoient ces mêmes loix: c'étoit à peu près comme les refcripts des empereurs Romains, foit que les rois cuffent pris d'eux cet ufage, foit qu'ils l'euffent tiré du fond même de leur naturel. On voit, dans Grégoire de Tours, qu'ils faifoient des meurtres de fang-froid, & faifoient mourir des accufés qui n'avoient pas feulement été entendus; ils donnoient des préceptions (†) pour faire

(*) C'étoient des ordres que le roi envoyoit aux juges, pour faire ou fouffrir de certaines chofes contre la loi.

(†) Voyez Grégoire de Tours, Liv. IV, pag. 227. L'hiftoire & les chartres font pleines de ceci; & l'étendue de ces abus paroit fur tout dans l'édit. de Clotaire II. de l'an 615, donné pour les réfor mer. Voyez les capitulaires, édit. de Baluze, tom. I, pag. 22.

faire des mariages illicites; ils en donnoient pour tranfporter les fucceffions; ils en donnoient pour ôter le droit des parens; ils en donnoient pour époufer les réligieufes. Ils ne faifoient point, à la vérité, de loix de leur feul mouvement; mais ils fufpendoient la pratique de celles qui étoient faites.

L'édit de Clotaire redreffa tous les griefs. Perfonne (4) ne put plus être condamné fans être entendu; les parens durent (§) toujours fuccéder felon l'ordre établi par la loi; toutes préceptions pour époufer des filles, des veuves ou des religieufes, furent nulles (**), & on punit févérement ceux qui les obtinrent, & en firent ufage. Nous faurions peut-être plus exactement ce qu'il ftatuoit fur ces préceptions, fi l'article 13 de ce décret & les deux fuivans n'avoient péri par le temps: nous n'avons que les premiers mots de cet article 13, qui ordonne que les préceptions feront obfervées; ce qui ne peut pas s'entendre de celles qu'il venoit d'abolir par la même loi. Nous avons une autre conftitution (††) du même prince, qui fe rapporte à fon édit,

(4) Art. 22.

[S] Ibid. art. 6.

[**] Ibid.art. 18.

[tt] Dans l'édition des capitulaires de Baluze tom, I, pag. 7.

&

NAR

PRAZE

UNIVERS.

KNIHOV

& corrige de même, de point en point, tous les abus des préceptions.

Il eft vrai que Mr. Baluze, trouvant cette conftitution fans date, & fans le nom du lieu où elle a été donnée, l'a attribuée à Clotaire I. Elle eft de Clotaire II. J'en donnerai trois raifons.

1. Il y eft dit que le roi confervera les immunités (44) accordées aux églifes par fon pere & l'on aïeul. Quelles immunités auroit pu accorder aux églifes Childeric aïeul de Clotaire I, lui qui n'étoit pas chrétien, & qui vivoit avant que la monarchie eût été fondée ? Mais, fi l'on attribue ce décret à Clotaire H, on lui trouvera pour aïeul Clotaire I, lui-même, qui fit des dons immenfes aux églifes, pour expier la mort de fon fils Cramne, qu'il avoit fait brûler avec fa femme & fes enfans.

20. Les abus que cette conftitution corrige fubfifterent après la mort de Clotaire I, & furent mêmes portés à leur comble pendant la foibleffe du regne de Gontran, la cruauté

4) J'ai parlé au livre précédent de ces immunités, qui étoient des conceffions de droits de juftice, & qui contenoient des défenfes aux juges royaux de faire aucune fonction dans le territoire " & étoient équivalentes à l'érection ou conceffion

d'un fief.

cruauté de celui de Chilpéric, & les détestables régences de Frédégunde & de Brunehault. Or comment la nation auroit - elle pu fouffrir des griefs fi folemnellement profcripts fans s'être jamais récriée fur le retour continuel de ces griefs? Comment n'auroit-elle pas fait pour lors ce qu'elle fit lorfque Chilpéric II (§§) ayant repris les anciennes violences, elle le preffa ( *** ) d'ordonner que, dans les jugemens, fuivit la loi & les coutumes, comme on

- faifoit anciennement.

on

faite pour

Enfin, cette conftitution, redreffer les griefs, ne peut point concerner Clotaire I; puifqu'il n'y avoit point fous fon regne de plaintes dans le royaume à cet égard, & que fon autorité fon autorité y étoit très-affermie, fur-tout dans le temps où l'on place cette conftitution; au lieu qu'elle convient très-bien aux événemens qui arriverent fous le regne de Clotaire II, qui cauferent une révolution dans l'état politique du royaume. Il faut éclairer l'hiftoire par les loix, & les loix par l'hiftoire.

CHA

(§§) Il commença à régner vers l'an 670.

(***) Voyez la vie de S, Léger,

AI

CHAPITRE III.

Autorité des maires du palais.

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I dit que Clotaire II s'étoit engagé à ne point ôter à Wanachaire la place de maire pendant fa vie. La révolution eut un autre effet avant ce temps, le maire étoit le maire du roi, il devint le maire du royaume; le roi le choififfoit, la nation le choifit. Protaire, avant la révolution, avoit été fait maire par Théodéric (*), & Landéric par Frédégunde (†); mais depuis, la nation fut en poffeffion d'élire (4).

Ainfi il ne faut pas confondre, comme ont fait quelques auteurs, ces maires du palais avec ceux qui avoient cette dignité avant la mort de Brunehault, les maires du roi avec les maires du royaume. On voit,

par

(*) Inftigante Brunichilde, Theoderico jubente, &c. Frédégaire, chap. XXVII, fur l'an 605. (†) Gefta regum Francorum, chap. XXXVI. (4) Voyez Frédégaire chronique, chap. LIV, fur l'an 626; & fon continuateur anonyme, chap. CI, fur l'an 69; & chap. CV, fur l'an 715. Aimoin, Liv. IV, chap. XV. Eginhard, vie de Charlemagne, chap. XLVIII. Gefta regum Francorum,

chan. XLV.

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