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que les morceaux les plus considérables de sa peinture se rapportent plus directement au sujet principal; tel que cet affreux dragon, emblème de la terreur dont la vue du héros lui-même devoit frapper son enneini; et le combat des Centaures, dont plusieurs, dans diverses occasions, avoient succombé sous ses coups. D'autres tableaux, quoiqu'offrant des images de paix, peuvent encore être considérés comme autant de contrastes, que le poète a mis en opposition avec les images de guerre et de terreur, afin de faire ressortir celles-ci davantage, ou même comme représentant le fruit des combats livrés par un héros, dont tous les travaux avoient pour but de purger la terre de monstres et de brigands, et de faire jouir les peuples des bienfaits de la paix. Voilà ce qu'on peut dire en faveur d'Hésiode et de son bouclier.

Mais Virgile a sur ses devanciers deux avantages importans. 1o. Tout ce que contient le bouclier d'Enée se rapporte directement aux Romains, et par conséquent au héros fondateur de leur empire, et dont ils sont ou croient être les descendans.

Et je ne parle pas seulement de ce qui est exprimé dans la description, mais de tous les faits de l'histoire Romaine, que Vulcain a représentée toute entière, et dont le poète n'a prétendu rendre que quelques traits, comme pour faire juger du reste, et donner une idée du talent de l'ouvrier (a).

(a) Il est donc inutile de demander pourquoi Virgile, dans sa description, omet beaucoup de faits importans de cette histoire. C'est que son plan n'étoit point du tout d'en

que

Aussi, tandis les deux autres héros regardent à peine les chefs-d'œuvre dont ils chargent leurs bras, ou ne les considèrent que comme des objets de curiosité, ou tout au plus d'admiration, Enée éprouve de plus un mouvement secret qu'il ne comprend pas lui-même, mais que nous comprenons pour lui; une sorte d'intérêt involontaire, causé par le pressentiment de sa gloire future et de celle de sa postérité.

2o. Tous les objets du tableau sont pris dans l'avenir, et il falloit un Dieu pour en concevoir l'idée et en tracer le plan, conformément à l'ordre des événemens qui devoient se succéder: pugnataque in ordine bella. Cet ouvrage est donc une merveille vraiment divine, et digne de l'artiste immortel à qui le poète l'attribue. Si

'trer dans ce détail, qui l'auroit mené trop loin, et l'on sait que

Qui ne sait se borner, ne sut jamais écrire.

Il en a choisi quelques-uns, soit comme plus susceptibles de poésie, soit comme plus propres à attirer les regards, ou bien à faire connoître le talent et la manière de l'artiste.

Mais comment Vulcain lui-même auroit-il pu renfermer dans l'espace étroit d'un bouclier, et avec un pareil détail, tous les faits importans de l'histoire Romaine? Les plus grands artistes modernes, ainsi que les savans distingués, se sont tourmentés vainement pour deviner de quelle manière pouvoit s'arranger le peu même que Virgile en a rassemblé dans sa description? Comment concevoit-il luimême cet ordre dans lequel il suppose que Vulcain avoit arrangé toute l'histoire Romaine? Virgile répondroit qu'il n'avoit pas besoin de mettre son imagination à la torture pour concevoir tout cela. Il lui suffisoit de dire que l'ouvrage est d'un Dieu; que ce qui paroît incompréhensible à l'homme, n'est pas pour cela impossible, puisqu'un Dieu peut tout, et que c'est en cela même que consiste le merveilleux.

ce

c'est un mérite d'avoir inventé, quoi de plus neuf et de plus heureusement imaginé que tableau prophétique? Les autres n'avoient fait représenter par Vulcain que ce qu'ils trouvoient eux-mêmes, soit dans leur mémoire, soit dans le spectacle ordinaire de la nature et de la vie humaine. On diroit que Virgile prophétise réellement et qu'il devine l'histoire; on oublie que ce qu'il peint est passé pour lui, comme il l'est pour nous. Il s'en faut donc bien qu'il soit ici au-dessous d'Homère, même quant au mérite de l'invention.

Je ne parle point de la magnificence du style, de la richesse des détails, du mélange judicieux de grandeur et de simplicité, de gracieux et de terrible; c'est au lecteur instruit dans les deux langues à faire à cet égard la comparaison des trois chefs-d'œuvre. Mais on peut au moins assurer avec confiance, qu'il n'existe rien dans les autres poètes qui puisse se comparer à la description de la bataille d'Actium. En effet, cet événement devoit être l'objet principal du tableau. Tout ce qui a précédé semble, aux yeux du poète, n'être arrivé successivement que pour préparer ce dernier triomphe d'Auguste, qui va réunir toutes les nations, assurer au monde une paix éternelle, et mettre par-là le comble à la gloire des Romains.

Il faut dire maintenant quelque chose des autres poètes anciens, qui, à l'exemple des premiers, ont voulu blasoner aussi les boucliers de quelques-uns de leurs héros.

Silius Italicus, au deuxième livre de la guerre Punique, a représenté sur le bouclier d'Annibal l'origine de Carthage et les aventures de Didon,

d'après Virgile, dont il est le très-foible imitateur. Il y a joint les exploits d'Amilcar, père d'Annibal; Annibal lui-même encore enfant, jurant devant un autel une haine éternelle aux Romains; puis ses différentes expéditions, jusques et y compris le siége de Sagonte. Ce bouclier, ainsi que le reste de l'armure, est un présent que lui ont envoyé des peuples voisins de l'Océan, habiles sans doute dans ces sortes d'ouvrages. Ainsi, il ne doit y avoir ni divinité, ni travail miraculeux dans cette gravure.

Stace, au livre IX, v. 332 de sa Thébaïde, a peint, sur le bouclier d'un jeune prince Thebain, l'enlèvement d'Europe, sœur de Cadmus fondateur de Thèbes; tableau de famille, qui n'est point d'ailleurs sans mérite quant à l'exécution.

On trouve dans Claudien, dans Sidonius, et dans d'autres poètes moins connus, des boucliers ainsi ornés d'imitations plus ou moins heureuses de divers traits empruntés de Virgile, et ce n'est pas ce qu'ils ont fait de plus mal.

Nonnius, auteur grec du cinquième siècle, dans son poëme intitulé les Dionysiaques, livre XXV, donne à Bacchus, son héros, conquérant des Indes, un bouclier entièrement calqué sur celui d'Homère, dans la description duquel on ne voit rien qui appartienne en propre à ce Dieu, ou qui puisse l'intéresser directement, si ce n'est la fondation de Thèbes sa patrie, et les merveilles de la lyre d'Amphion, l'un de ses

ancêtres.

Les poètes modernes, qui ont pris leurs sujets dans les temps de chevalerie, et avant que l'artillerie fût en usage, ont pu tirer aussi parti du

bouclier, devenu d'ailleurs le champ ordinairedu blason; en substituant aux armoiries, des tableaux ou des traits d'histoire à la manière des anciens. Le Tasse l'a fait dans le 17° chant de sa Jérusalem délivrée. Je ne parle point du bouclier de diamant que présente Ubalde à Renaud, et dans lequel ce jeune guerrier se voit si différent de ce qu'il devroit être; mais de celui que lui remet le sage vieillard, après qu'il est sorti des lieux enchantés où le retenoit Armide. Ce bouclier est couvert d'un nombre prodigieux de figures; ce sont celles des ancêtres de Renaud, rangées dans leur ordre et sans confusion; ils sont tous couronnés de lauriers; le vieillard raconte et leurs guerres et leurs victoires. Son récit supplée à ce que ne diroit point la simple vue des figures tracées sur le bouclier, qui par cette raison n'offre par lui-même rien de merveilleux; puisque l'explication en appartient ou paroît en appartenir au discours de l'interprète sacré.

Fin du troisième volume.

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