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égale distance, font leurs efforts pour gagner le devant; et tantôt la Baleine l'en porte, tantôt vaincue à son tour, elle voit le Centaure passer devant elle; tantôt voguant de front, ils semblent ne pouvoir se quitter, et sillonnent également l'onde amère.

Déjà les rivaux approchoient du rocher, et touchoient au but; lorsque Gyas, qui conservoit toujours son avantage, et voguoit comme en triomphe au milieu des eaux, commence à crier à Ménète, son pilote: « Où vas-tu? Pourquoi si >>fort à droite? Tourne de ce côté ; rapprocheé; » toi du rivage, dût le bout de la rame effleurer » à gauche quelque pointe de rocher; laisse aux >> autres la pleine mer. » Il dit; mais Ménète qui craint les écueils cachés, détourne la proue et prend le large. « Où vastu donc par cette ma>>nœuvre et ce détour? range le rocher, lui crie » de nouveau Gyas. » Et dans ce moment il voit derrière lui Cloanthe qui le serre de près, et qui enfile la route la plus courte. En effet, celui-ci prenant à gauche entre le vaisseau de Gyas et le rocher, passe comme un trait, gagne le devant à son tour, double la borne, et revient déjà vers le rivage sans aucun obstacle. Une colère extrême s'empare alors du jeune guerrier. Il ne peut retenir ses larmes; furieux de la timidité de son pilote, oubliant le soin de son honneur et la sûreté de ses compagnons, il précipite l'indocile Ménète du haut de sa poupe dans la mer. Lui-même il prend le gouvernail, et faisant l'office de pilote, il ranime ses matelots et tourne la proue vers le rivage. Cependant Ménète revenu sur l'eau, non sans beaucoup de peine, chargé comme il est et

155 Centaurusque locum tendunt superare priorem.

Et nunc Pristis habet; nunc victam præterit ingens
Centaurus; nune unà ambæ junctisque feruntur
Frontibus, et longâ sulcant vada salsa carinâ.

Jamque propinquabant scopulo, metamque tenebant, 160 Cùm princeps medioque Gyas in gurgite victor

Rectorem navis compellat voce Menceten:

Quò tantùm mihi dexter abis? huc dirige cursum:
Littus ama, et lævas stringat sine palmula cautes:
Altum alii teneant. Dixit: sed cæca Mencetes

165 Saxa timens, proram pelagi detorquet ad undas.
Quò diversus abis? iterum pete saxa, Menœte,
Cum clamore Gyas revocabat : et ecce Cloanthumn
Respicit instantem tergo, et propiora tenentem.

Ille inter navemque Gya scopulosque sonantes 170 Radit iter lævum interior, subitusque priorem

Præterit, et metis tenet æquora tuta relictis.
Tum verò exarsit juveni dolor ossibus ingens,
Nec lacrymis caruere gena: segnemque Menoten,
Oblitus decorisque sui sociûmque salutis,

175 In mare præcipitem puppi deturbat ab altâ.
Ipse gubernaclo rector subit, ipse magister
Hortaturque viros, elavumque ad littora torquet.
At gravis at fundo vix tandem redditus imo est

Jam senior, madidâque fluens in veste, Menotes 180 Summa petit scopuli, siccâque in rupe resedit. Illum et labentem Teucri, et risere natantem,

Et salsos rident revomentem pectore fluctus.

Hic læta extremis spes est accensa duobus,
Sergesto Mnestheoque, Gyan superare morantem.
185 Sergestus capit antè locum, scopuloque propinquat :
Nec totâ tamen ille prior præeunte carinâ,

Parte prior, partem rostro premit æmula Pristis.
At media socios incedens nave per ipsos

Hortatur Mnestheus: Nunc, nunc insurgite remis,

190 Hectorei socii, Troja quos sorte supremâ
Delegi comites; nunc illas promite vires,

Nunc animos, quibus in Gætulis syrtibus usi,
Ionioque mari, Maleæque sequacibus undis.

Non jam prima peto Mnestheus, neque vincere certo. 195 Quamquam ô!... sed superent, quibus hoc, Neptune, dedisti. Extremos pudeat rediisse : hoc vincite, cives,

Et prohibete nefas. Olli certamine summo
Procumbunt: vastis tremit ictibus ærea puppis,
Subtrahiturque solum : tum creber anhelitus artus

du poids des années et de ses vêtemens tout trempés d'où l'eau coule de toutes parts, gagne enfin le haut du rocher, et s'assied sur la plateforme. Les Troyens ont ri de le voir tomber; ils ont ri de le voir nager dans la mer r; ils rient encore de le voir vomir l'onde amère qu'il vient d'avaler.

Cependant Sergeste etMnesthée qui se trouvoient les deux derniers, commencent à se flatter de regagner l'avance sur Gyas, retardé par ce contretemps. Sergeste passe le premier et s'approche du rocher fatal.. Il ne devance pas pourtant son rival de toute la longueur de son vaisseau (21); une partie est en avant, mais l'autre partie est encore serrée par la proue de la Baleine. Mnesthée allant et venant d'un bout de sa galère à l'autre, ne cesse d'animer ses rameurs. « Appuyez, leur » dit-il, appuyez sur vos rames, dignes compa>> gnons d'Hector, que j'ai choisis pour les miens » depuis les derniers désastres de Troie. Déployez >> ce courage et cette vigueur dont vous fites >> usage au milieu des syrtes de Gétulie, dans les >> mers Ioniennes, et dans les rapides courans de » Malée (22). Mnesthée ne demande plus la pre» mière palme; il ne combat plus pour vaincre. » Si cependant!..... (23) Mais cédons la vic»toire à ceux à qui tu l'as donnée, puissant Dieu >> des mers! ayons du moins honte de revenir les » derniers. Amis, sauvez-nous de cet affront, de » cette affreuse ignominie. »>

Animés par ce discours, ils recueillent toutes leurs forces pour une dernière tentative. La mer fuit sous le vaisseau tremblant des secousses qu'il reçoit de tant de bras réunis. Les rameurs s'épuisent en efforts; leur respiration devient

pressée, leur bouche sèche et altérée ; seaux de sueur coulent de tous côtés.

des ruis

Le hasard vint aussi à leur secours et leur procura l'avantage desiré. Sergeste emporté par son ardeur, voulant ranger de trop près les écueils pour faire un moindre circuit, s'engage dans un passage dangereux donne malheureusement contre les pointes avancées du rocher, et les heurte avec violence. Les rames portant contre le roc vif, s'y brisent, et la proue fracassée demeure ainsi suspendue. Les rameurs se lèvent en jetant de grands cris, et perdent beaucoup de temps à chercher des leviers armés de fer, des perches garnies de pointes aiguës, et à retirer de la mer les débris de leurs rames.

Mnesthée plein de joie, s'animant encore par le succès, secondé de toutes ses rames, et des vents qu'il appelle à son secours, franchit les écueils, les tourne, et revient sans obstacle de la hautemer vers le rivage. Telle on voit s'envoler vers les plaines, la colombe qu'une soudaine alarme a fait sortir du creux de rocher qui recèle sa demeure et sa chère couvée ; dans sa frayeur elle a pris l'essor à grand bruit; le battement de ses ailes a retenti près de son nid; mais bientôt élancée dans un air calme et tranquille, elle fend d'un vol léger le liquide élément, sans paroître remuer les ailes. Ainsi Mnesthée, ainsi sa rapide Baleine vole sur les eaux près du terme de sa course en s'abandonnant à son impétuosité. Déjà il a laissé derrière lui l'infortuné Sergeste occupé à se retirer des écueils et des sables où il s'est engage; appelant en vain à son secours, et tâchant de hâter så marche avec les débris de ses

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