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là même à qui son maître auroit ordonné
le tuer, et qui lui auroit obéi, auroit été coupable,
celui qui ne l'auroit point empêché de se tuer lui-
même auroit été puni 2. Si un maître avoit été
tué dans un voyage, on faisoit mourir 3 ceux qui
étoient restés avec lui, et ceux qui s'étoient enfuis.
Toutes ces lois avoient lieu contre ceux même
dont l'innocence étoit prouvée; elles avoient pour
objet de donner aux esclaves pour leur maître un
respect prodigieux. Elles n'étoient pas dépendantes
du gouvernement civil, mais d'un vice ou d'une
imperfection du gouvernement civil. Elles ne déri-
voient point de l'équité des lois civiles, puisqu'elles
étoient contraires aux principes des lois civiles.
Elles étoient proprement fondées sur le principe
de la guerre, à cela près que c'étoit dans le sein de
l'état qu'étoient les ennemis. Le sénatus-consulte
Sillanien dérivoit du droit des gens, qui veut qu'une
société, même imparfaite, se conserve.

C'est un malheur du gouvernement lorsque la magistrature se voit contrainte de faire ainsi des lois cruelles. C'est parce qu'on a rendu l'obéissance difficile, que l'on est obligé d'aggraver la peine de la désobéissance ou de soupçonner la

* Quand Antoine commanda à Éros de le tuer, ce n'étoit point lui commander de le tuer, mais de se tuer lui-même; puisque, s'il lui eût obéi, il auroit été puni comme meurtrier de son maître.

2

Leg. 1, § 22, ff. de senat. consult. Sillan.

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3

Leg. 1, § 31, ff. ibid., lib. xxix, tit. v.

DE L'ESPRIT DES LOIS. T. I.

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fidélité. Un législateur prudent prévient le malheur de devenir un législateur terrible. C'est parce que les esclaves ne purent avoir chez les Romains de confiance dans la loi, que la loi ne put avoir de confiance en eux.

CHAPITRE XVII.

Règlements à faire entre le maître et les esclaves.

Le magistrat doit veiller à ce que l'esclave ait sa nourriture et son vêtement : cela doit être réglé par la loi.

Les lois doivent avoir attention qu'ils soient soignés dans leurs maladies et dans leur vieillesse. Claude' ordonna que les esclaves qui auroient été abandonnés par leurs maîtres, étant malades, seroient libres s'ils échappoient. Cette loi assuroit leur liberté : il auroit encore fallu assurer leur vie.

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Quand la loi permet au maître d'ôter la vie à son esclave, c'est un droit qu'il doit exercer comme juge et non pas comme maître : il faut que la loi ordonne des formalités qui ôtent le soupçon d'une action violente.

Lorsqu'à Rome il ne fut plus permis aux pères de faire mourir leurs enfants, les magistrats infligèrent la peine que le père vouloit prescrire.

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2 Voyez la loi 111, au Code, de patria potestate, qui est de l'empereur Alexandre.

Un usage pareil entre le maître et les esclaves seroit raisonnable dans les pays où les maîtres ont droit de vie et de mort.

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La loi de Moïse étoit bien rude. «Si quelqu'un

frappe son esclave et qu'il meure sous sa main,

«< il sera puni; mais s'il survit un jour ou deux, il

<< ne le sera pas, parce que c'est son argent. >> Quel peuple que celui où il falloit que la loi civile se relâchât de la loi naturelle!

Par une loi des Grecs', les esclaves trop trop rudement traités par leurs maîtres pouvoient demander d'être vendus à un autre. Dans les derniers temps, il y eut à Rome une pareille loi 2. Un maître irrité contre son esclave, et un esclave irrité contre son maître, doivent être séparés.

Quand un citoyen maltraite l'esclave d'un autre, il faut que celui-ci puisse aller devant le juge. Les lois 3 de Platon et de la plupart des peuples ôtent aux esclaves la défense naturelle; il faut donc leur donner la défense civile."

A Lacédémonė les esclaves ne pouvoient avoir* aucune justice contre les insultes ni contre les injures. L'excès de leur malheur étoit tel qu'ils n'étoient pas seulement esclaves d'un citoyen, mais encore du public; ils appartenoient à tous et à un

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Voyez la Constitution d'Antonin Pie, Institut., liv. 1, tit. vn.

3 Liv. IX.

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seul. A Rome, dans le tort fait à un esclave, on ne considéroit que l'intérêt du maître; on confondoit sous l'action de la loi Aquilienne la blessure faite à une bête et celle faite à un esclave; on n'avoit attention qu'à la diminution de leur prix. A Athènes, on punissoit sévèrement, quelquefois même de mort, celui qui avoit maltraité l'esclave d'un autre. La loi d'Athènes, avec raison, ne vouloit point ajouter la perte de la sûreté à celle de la liberté.

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CHAPITRE XVIII.

Des affranchissements.

On sent bien que quand dans le gouvernement républicain on a beaucoup d'esclaves il faut en affranchir beaucoup. Le mal est que si on a trop d'esclaves, ils ne peuvent être contenus; si l'on a trop d'affranchis, ils ne peuvent pas vivre, et ils deviennent à charge à la république; outre que celle-ci peut être également en danger de la part d'un trop grand nombre d'affranchis, et de la part d'un trop grand nombre d'esclaves. Il faut donc que les lois aient l'œil sur ces deux inconvénients.

Ce fut encore souvent l'esprit des lois des peuples qui sortirent de la Germanie, comme on le peut voir dans leurs codes.

2 Démosthène, Orat. contra Mediam, pag. 610, édit. de Francfort de l'an 1604.

Les diverses lois et les sénatus-consultes qu'on fit à Rome pour et contre les esclaves, tantôt pour gêner, tantôt pour faciliter les affranchissements, font bien voir l'embarras où l'on se trouva à cet égard. Il y eut même des temps où l'on n'osa pas faire des lois. Lorsque sous Néron on demanda au sénat qu'il fût permis aux patrons de remettre en servitude les affranchis ingrats, l'empereur écrivit qu'il falloit juger les affaires particulières, et ne rien statuer de général.

Je ne saurois guère dire quels sont les règlements qu'une bonne république doit faire là dessus; cela dépend trop des circonstances. Voici quelques réflexions.

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Il ne faut pas faire tout à coup, et par une loi générale, un nombre considérable d'affranchissements. On sait que chez les Volsiniens les affranchis, devenus maîtres des suffrages, firent une abominable loi qui leur donnoit le droit de coucher les premiers avec les filles qui se marioient à des ingénus.

Il y a diverses manières d'introduire insensiblement de nouveaux citoyens dans la république. Les lois peuvent favoriser le pécule, et mettre les esclaves en état d'acheter leur liberté; elles peuvent donner un terme à la servitude, comme celles de

2

Tacite, Annales, liv. XIII.

› Supplément de Freinshemius, décade 11, liv. v.

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