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CHAPITRE VII.

Du luxe de la superstition.

« CEUX-LA sont impies envers les dieux, dit Platon (1), qui »nient leur existence; ou qui l'accordent, mais soutiennent qu'ils ne se mêlent point des choses d'ici-bas; ou enfin qui pensent qu'on les apaise aisément par des sacrifices trois opinions également pernicieuses. » Platon dit là tout ce que la lumière naturelle a jamais dit de plus sensé en matière de religion.

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La magnificence du culte extérieur a beaucoup de rapport à la constitution de l'état. Dans les bonnes républiques, on n'a pas seulement réprimé le luxe de la vanité, mais encore celui de la superstition; on a fait dans la religion des lois d'épargne. De ce nombre sont plusieurs lois de Solon, plusieurs lois de Platon sur les funérailles, que Cicéron a adoptées; enfin quelques lois de Numa (2) sur les sacrifices.

« Des oiseaux, dit Cicéron, et des peintures faites en un jour, >> sont des dons très-divins. Nous offrons des choses communes, » disait un Spartiate, afin que nous ayions tous les jours le » moyen d'honorer les dieux.

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Le soin que les hommes doivent avoir de rendre un culte à la Divinité est bien différent de la magnificence de ce culte.

« Ne lui offrons point nos trésors, si nous ne voulons lui faire » voir l'estime que nous faisons des choses qu'elle veut que nous méprisions.

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«Que doivent penser les dieux des dons des impies, dit ad» mirablement Platon, puisqu'un homme de bien rougirait de >> recevoir des présens d'un malhonnête homme ? »

Il ne faut pas que la religion, sous prétexte de dons, exige des peuples ce que les nécessités de l'état leur ont laissé; et, comme dit Platon (3), des hommes chastes et pieux doivent offrir des dons qui leur ressemblent.

Il ne faudrait pas non plus que la religion encourageât les dépenses des funérailles. Qu'y a-t-il de plus naturel que d'ôter la différence des fortunes dans une chose et dans les momens qui égalisent toutes les fortunes?

CHAPITRE VIII.

Du pontificat.

LORSQUE la religion a beaucoup de ministres, il est naturel qu'ils aient un chef, et que le pontificat y soit établi. Dans la

(1) Des Lois, liv. X. — (2) Rogum vino ne respergito. ( Loi des douze tables.) (3) Des Lois, liv. III.

monarchie, où l'on ne saurait trop séparer les ordres de l'état, et où l'on ne doit point assembler sur une même tête toutes les puissances, il est bon que le pontificat soit séparé de l'empire. La même nécessité ne se rencontre pas dans le gouvernement despotique, dont la nature est de réunir sur une même tête tous les pouvoirs. Mais, dans ce cas, il pourrait arriver que le prince regarderait la religion comme ses lois mêmes, et comme des effets de sa volonté. Pour prévenir cet inconvénient, il faut qu'il y ait des monumens de la religion; par exemple, des livres sacrés qui la fixent et qui l'établissent. Le roi de Perse est le chef de la religion; mais l'Alcoran règle la religion. L'empereur de la Chine est le souverain pontife; mais il y a des livres qui sont entre les mains de tout le monde, auxquels il doit lui-même se conformer. En vain un empereur voulut-il les abolir, ils triomphèrent de la tyrannie.

CHAPITRE IX.

De la tolérance en fait de religion.

Nous sommes ici politiques, et non pas théologiens : et, pour les théologiens mêmes, il y a bien de la différence entre tolérer une religion et l'approuver.

Lorsque les lois d'un état ont cru devoir souffrir plusieurs religions, il faut qu'elles les obligent aussi à se tolérer entre elles. C'est un principe, que toute religion qui est réprimée devient elle-même réprimante: car sitôt que, par quelque hasard, elle peut sortir de l'oppression, elle attaque la religion qui l'a réprimée, non pas comme une religion, mais comme une tyrannie.

Il est donc utile que les lois exigent de ces diverses religions, non-seulement qu'elles ne troublent pas l'état, mais aussi qu'elles ne se troublent pas entre elles. Un citoyen ne satisfait point aux lois en se contentant de ne pas agiter le corps de l'état ; il faut encore qu'il ne trouble pas quelque citoyen que ce soit.

CHAPITRE X.

Continuation du même sujet.

COMME il n'y a guère que les religions intolérantes qui aient un grand zèle pour s'établir ailleurs, parce qu'une religion qui peut tolérer les autres ne songe guère à sa propagation; ce sera une très-bonne loi civile, lorsque l'état est satisfait de la religion déjà établie, de ne point souffrir l'établissement (1) d'une autre.

(1) Je ne parle point, dans tout ce Chapitre, de la religion chrétienne, parce que, comme je l'ai dit ailleurs, la religion chrétienne est le premier bien. Voyez la fin du Chapitre premier du Livre précédent, et la Défense de l'Esprit des Lois, seconde partie.

Voici donc le principe fondamental des lois politiques en fait de religion. Quand on est maître de recevoir dans un état une nouvelle religion, ou de ne la pas recevoir, il ne faut pas l'y établir; quand elle y est établie, il faut la tolérer.

CHAPITRE XI.

Du changement de religion.

UN prince qui entreprend dans son état de détruire ou de changer la religion dominante, s'expose beaucoup. Si son gouvernement est despotique, il court plus de risque de voir une révolution que par quelque tyrannie que ce soit, qui n'est jamais dans ces sortes d'états une chose nouvelle. La révolution vient de ce qu'un état ne change pas de religion, de mœurs et de manières, dans un instant, et aussi vite que le prince publie l'ordonnance qui établit une religion nouvelle.

De plus, la religion ancienne est liée avec la constitution de l'état, et la nouvelle n'y tient point: celle-là s'accorde avec le climat, et souvent la nouvelle s'y refuse. Il y a plus: les citoyens se dégoûtent de leurs lois ; ils prennent du mépris pour le gouvernement déjà établi; on substitue des soupçons contre les deux religions à une ferme croyance pour une; en un mot, on donne à l'état, au moins pour quelque temps, et de mauvais citoyens, et de mauvais fidèles.

CHAPITRE XII.

Des lois pénales.

Il faut éviter les lois pénales en fait de religion. Elles impriment de la crainte, il est vrai: mais comme la religion a ses lois pénales aussi qui inspirent de la crainte, l'une est effacée par l'autre. Entre ces deux craintes différentes, les âmes deviennent atroces.

La religion a de si grandes menaces, elle a de si grandes promesses, que, lorsqu'elles sont présentes à notre esprit, quelque chose que le magistrat puisse faire pour nous contraindre à la quitter, il semble qu'on ne nous laisse rien quand on nous l'ôte, et qu'on ne nous ôte rien lorsqu'on nous la laisse.

Ce n'est donc pas en remplissant l'âme de ce grand objet, en l'approchant du moment où il lui doit être d'une plus grande importance, que l'on parvient à l'en détacher: il est plus sûr d'attaquer une religion par la faveur, par les commodités de la vie, par l'espérance de la fortune: non pas par ce qui avertit, mais par ce qui fait que l'on oublie; non pas par ce qui indigne, mais par ce qui jette dans la tiédeur, lorsque d'autres passions agissent sur nos âmes, et que celles que la religion inspire sont

dans le silence. Règle générale : en fait de changement de religion, les invitations sont plus fortes que les peines.

Le caractère de l'esprit humain a paru dans l'ordre même des peines qu'on a employées. Que l'on se rappelle les persécutions du Japon (1); on se révolta plus contre les supplices cruels que contre les peines longues, qui lassent plus qu'elles n'effarouchent, qui sont plus difficiles à surmonter, parce qu'elles paraissent moins difficiles.

En un mot, l'histoire nous apprend assez que les lois pénales n'ont jamais eu d'effet que comme destruction.

CHAPITRE XIII.

Très-humble remontrance aux inquisiteurs d'Espagne et de Portugal.

UNE Juive de dix-huit ans, brûlée à Lisbonne au dernier autoda-fé, donna occasion à ce petit ouvrage ; et je crois que c'est le plus inutile qui ait jamais été écrit. Quand il s'agit de prouver des choses si claires, on est sûr de ne pas convaincre.

L'auteur déclare que, quoiqu'il soit Juif, il respecte la religion chrétienne, et qu'il l'aime assez pour ôter aux princes qui ne sont pas Chrétiens un prétexte plausible pour la persécuter.

« Vous vous plaignez, dit-il aux inquisiteurs, de ce que l'em»pereur du Japon fait brûler à petit feu tous les Chrétiens qui » sont dans ses états; mais il vous répondra: Nous vous traitons, » vous qui ne croyez pas comme nous, comme vous traitez vous» mêmes ceux qui ne croient pas comme vous: vous ne pouvez » vous plaindre que de votre faiblesse, qui vous empêche de >> nous exterminer, et qui fait que nous vous exterminons.

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» Mais il faut avouer que vous êtes bien plus cruels que cet » empereur. Vous nous faites mourir, nous qui ne croyons » que ce que vous croyez, parce que nous ne croyons pas tout ce que vous croyez. Nous suivons une religion que vous savez » vous-mêmes avoir été autrefois chérie de Dieu : nous pensons » que Dieu l'aime encore, et vous pensez qu'il ne l'aime plus; » et parce que vous jugez ainsi, vous faites passer par le fer et D par le feu ceux qui sont dans cette erreur si pardonnable, de » croire que Dieu (2) aime encore ce qu'il a aimé.

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» Si vous êtes cruels à notre égard, vous l'êtes bien plus à l'égard de nos enfans; vous les faites brûler, parce qu'ils (1) Voyez le Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome V, part. I, p. 192. —(2) C'est la source de l'aveuglement des Juifs, de ne pas sentir que l'économie de l'évangile est dans l'ordre des desseins de Dieu; et qu'ainsi elle est une suite de son immutabilité même.

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» suivent les inspirations que leur ont données ceux que la loi » naturelle et les lois de tous les peuples leur apprennent à res» pecter comme des dieux.

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» Vous vous privez de l'avantage que vous a donné sur les >> Mahometans la manière dont leur religion s'est établie. Quand ils se vantent du nombre de leurs fidèles, vous leur dites que » la force les leur a acquis, et qu'ils ont étendu leur religion par le fer pourquoi donc établissez-vous la vôtre : par le feu? Quand vous voulez nous faire venir à vous, nous vous objec» tons une source dont vous vous faites gloire de descendre. Vous nous répondez que votre religion est nouvelle, mais qu'elle » est divine; et vous le prouvez parce qu'elle s'est accrue par la persécution des païens et par le sang de vos martyrs: mais aujourd'hui vous prenez le rôle des Dioclétiens, et vous nous faites prendre le vôtre.

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» Nous vous conjurons, non pas par le Dieu puissant que nous » servons vous et nous, mais par le Christ que vous nous dites » avoir pris la condition humaine pour vous proposer des

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exemples que vous puissiez suivre; nous vous conjurons d'agir » avec nous comme il agirait lui-même s'il était encore sur la » terre. Vous voulez que nous soyons Chrétiens, et vous ne vou» lez pas l'être.

» Mais si vous ne voulez pas être Chrétiens, soyez au moins » des hommes: traitez-nous comme vous feriez, si, n'ayant que ces faibles lueurs de justice que la nature nous donne, vous n'aviez point une religion pour vous conduire et une révélation » pour vous éclairer.

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» Si le ciel vous a assez aimés pour vous faire voir la vérité, il vous a fait une grande grâce: mais est-ce aux enfans qui ont l'héritage de leur père de haïr ceux qui ne l'ont pas eu?

Que si vous avez cette vérité, ne nous la cachez pas par la » manière dont'vous nous la proposez. Le caractère de la vérité, » c'est son triomphe sur les cœurs et les esprits, et non pas cette impuissance que vous avouez, lorsque vous voulez la faire rece» voir par des supplices.

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1

» Si vous êtes raisonnables, vous ne devez pas nous faire » mourir, parce que nous ne voulons pas vous tromper. Si votre » Christ est le fils de Dieu, nous espérons qu'il nous récompen» sera de n'avoir pas voulu profaner ses mystères; et nous » croyons que le Dieu que nous servons vous et nous, ne nous punira pas de ce que nous avons souffert la mort pour une religion qu'il nous a autrefois donnée, parce que nous croyons qu'il nous l'a encore donnée.

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Vous vivez dans un siècle où la lumière naturelle est plus vive

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