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Qui donc peut vous soumettre à son vœu téméraire, Et créer des destins, au gré de sa colère? Rappellerai-je ici les éléments armés,

Leurs malheureux vaisseaux par les feux consumés,
Éole et ses fureurs, Iris et ses messages?

C'étoit trop peu des feux, des flots et des orages;
L'enfer restoit encore; et voilà qu'Alecton,
S'élançant en courroux des gouffres de Pluton,
De ses fatales mains sème en tous lieux la guerre !
Je ne vous parle plus du sceptre de la terre;
Nous l'espérions jadis, dans les jours du bonheur !
Un tel orgueil, hélas ! ne sied plus au malheur :
La victoire dépend de votre main puissante.
Mais, par le souvenir de Troie encor fumante,
Puisque une haine injuste, insultant ses débris,
Leur ferme l'univers; que l'enfant de mon fils,
Aux rigueurs du destin s'il faut livrer son père,
D'un héros malheureux console au moins la mère !
Souffrez
que mon amour ne l'abandonne pas
Au tumulte des camps, aux hasards des combats.
J'ai Paphos, Amathonte, et les bois de Cythère;
Permettez qu'en ces lieux un bosquet solitaire,
De ses jours ignorés dépositaire obscur,

Lui procure un destin moins brillant, mais plus sûr.
Que la terre obéisse à la fière Carthage;

A sa grandeur jalouse il ne peut faire ombrage:

Et

que peut un enfant, du fond de ces déserts?

Voilà donc notre sort après tant de revers!

Hélas! de quoi nous sert qu'un dieu, sauveur de Troie, Aux torches de la Grèce ait arraché leur proie;

Totque maris vastæque exhausta pericula terræ,
Dum Latium Teucri recidivaque Pergama quærunt?
Non satius, cineres patriæ insedisse supremos,
Atque solum quo Troja fuit? Xanthum et Simoenta
Redde, oro, miseris; iterumque revolvere casus
Da, pater, Iliacos Teucris! » Tum regia Juno
Acta furore gravi:

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Quid me alta silentia cogis (4)

Rumpere, et obductum verbis volgare dolorem?
Ænean hominum quisquam divumque subegit
Bella sequi, aut hostem regi se inferre Latino?
Italiam fatis petiit auctoribus, esto,
Cassandra inpulsus furiis: num linquere castra
Hortati sumus, aut vitam conmittere ventis?
Num puero summam belli, num credere muros?
Tyrrhenamve fidem, aut gentis agitare quietas?
Quis deus in fraudem, quæ dura potentia nostri
Egit? Ubi hic Juno, demissave nubibus Iris?
Indignum est Italos Trojam circumdare flammis
Nascentem, et patria Turnum consistere terra:
Cui Pilumnus avus, cui diva Venilia mater!

D'avoir sur tant de mers, tant de bords étrangers,
De la terre et des eaux épuisé les dangers,

Si, traînant en tous lieux leur misère importune,
Ils ont changé de ciel, sans changer de fortune?
Ah! s'il falloit périr, ne valoit-il pas mieux

Mourir ou périt Troie, où sont morts nos aïeux?

Non, ce n'est plus un trône où les Troyens prétendent;
C'est le choix des malheurs que leurs pleurs vous demandent:
Rendez-leur les combats, rendez-leur les assauts,
Et la rage des Grecs, et leurs mille vaisseaux:

Qu'ils puissent, en mourant, voir encor le Scamandre,
Combattre encor pour Troie, et mourir sur sa cendre! »
Junon, muette, écoute auprès de son époux.

Enfin, ne pouvant plus contenir son courroux:

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Pourquoi me forcez-vous, par votre violence,

D'exhaler des douleurs qu'enfermoit mon silence?
Quel mortel ou quel dieu, funeste aux deux états,
A contraint votre fils à chercher les combats?
Les destins... disons mieux, les fureurs de Cassandre
L'ont poussé sur ces bords, des rives du Scamandre.
Mais l'avons-nous forcé d'abandonner ses camps,
De confier ses jours aux caprices des vents;
De charger un enfant du hasard des batailles,
D'aller, quittant le soin de ses propres murailles,
Du feu de la discorde embraser tous les cœurs,
Et forcer les Toscans à servir ses fureurs?
Quel dieu lui conseilla ces imprudents voyages?
Qu'ont fait ici Junon, Iris et ses messages?
Pour ces murs renaissants vous alarmez les cieux!
Mais Turnus est lui-même issu du sang des dieux:

Quid, face Trojanos atra vim inferre Latinis?
Arva aliena jugo premere, atque avertere prædas?
Quid, soceros legere, et gremiis abducere pactas?
Pacem orare manu, præfigere puppibus arma?
Tu potes Ænean manibus subducere Graium,
Proque viro nebulam, et ventos obtendere inanes,
Et potes in totidem classem convertere Nymphas :
Nos aliquid Rutulos contra juvisse nefandum est?
Eneas ignarus abest; ignarus et absit.

Est Paphus, Idaliumque tibi, sunt alta Cythera :
Quid gravidam bellis urbem, et corda aspera tentas?
Nosne tibi fluxas Phrygiæ res vertere fundo
Conamur? nos? an miseros qui Troas Achivis
Objecit? quæ caussa fuit consurgere in arma
Europamque Asiamque, et foedera solvere furto?
Me duce Dardanius Spartam expugnavit adulter?
Aut ego tela dedi, fovive Cupidine bella?
Tum decuit metuisse tuis; nunc sera querelis
Haud justis adsurgis, et inrita jurgia jactas. »

Quand ce Troyen ravit des terres étrangères,

Seul ne peut-il s'armer pour le champ de ses pères?
Et qui ne connoît pas ces insolents bannis,
Barbares assassins et brigands impunis,

Qui, s'offrant pour époux, malgré la foi donnée,
Viennent en menaçant nous parler d'hyménée;
Et, l'olive à la main, méditant des forfaits,
Sur des vaisseaux armés sollicitent la paix?
Eh quoi! vous avez pu, fière de vos oracles,
Pour ce fils adoré prodiguer les miracles;
Tantôt montrant aux Grecs un fantôme trompeur,
En place d'un héros, offrir une vapeur;
Tantôt, divinisant leurs poupes vagabondes,
Transformer un bois vil en puissance des ondes!
Seule ne puis-je rien? de vos murs investis
Votre fils est absent: accusez votre fils.
Vous avez Amathonte, et Paphos, et Cythère:
Pourquoi venir braver une cité guerrière?
On se plaint du malheur de vos Troyens chéris :
Est-ce moi qui l'ai fait, ou bien votre Pâris?
Est-ce moi qui causai la fière jalousie
Qui fit combattre ensemble et l'Europe et l'Asie?
Est-ce moi que l'on vit, par d'indignes secours,
Dans Sparte protéger d'adultères amours?
Me vit-on allumer, pour embraser la terre,
Au flambeau de l'amour les torches de la guerre?
C'est alors qu'il falloit, écoutant vos frayeurs,
Pour prévenir leurs maux, prévenir leurs fureurs;
Aujourd'hui que vous presse un repentir stérile,
Le reproche est injuste, et la plainte inutile. »

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