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« Veilles-tu, fils des dieux? Veille, le moment presse:
Tu vois ces pins sacrés, présent d'une déesse,
Ces verts enfants des monts qu'autrefois te céda
L'immortelle forêt qui couronne l'Ida :

Pour nous soustraire au fer, à la flamme cruelle,
Cybėle nous donna cette forme nouvelle;
Déesses de la mer, autrefois tes vaisseaux,
Nos fidèles regards te cherchoient sur les eaux.
Apprends donc que ton fils, non sans peine, protége
Tes remparts impuissants que le Rutule assiége;
D'Évandre et des Toscans déja les cavaliers
Ont au poste prescrit arrêté leurs coursiers;
Leur troupe vous attend, et déja Turnus tremble
Que vos camps séparés ne l'attaquent ensemble.
Préviens donc ses efforts, et dès l'aube du jour
Que tes soldats armés signalent ton retour;
Saisis ce bouclier immense, impénétrable,
Dont l'acier brillant d'or te rend invulnérable.
Demain, des ennemis, si tu crois mon conseil,
L'épouvante et la mort seront l'affreux réveil. »

A ces mots, rappelant sa longue expérience,
La nymphe, en reculant, aux vaisseaux qu'elle lance
Donne le mouvement qu'elle-même autrefois
Dans l'empire des eaux a reçu tant de fois :
Soudain, servant d'exemple à la flotte docile,
La nef part comme un trait, et fuit d'un vol agile.
Étonné, mais soumis, le monarque pieux
Accepte le présage; et, regardant les cieux :

" Toi que tes hautes tours couronnent de leur cime,

Toi que tes fiers lions conduisent à Dindyme,

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Tu mihi nunc pugnæ princeps, tu rite propinques
Augurium, Phrygibusque adsis pede, diva, secundo! »
Tantum effatus; et interea revoluta ruebat
Matura jam luce dies, noctemque fugarat.

:

Principio sociis edicit, signa sequantur,

Atque animos aptent armis, pugnæque parent se.
Jamque in conspectu Teucros habet et sua castra (''),
Stans celsa in puppi: clypeum quum deinde sinistra
Extulit ardentem. Clamorem ad sidera tollunt
Dardanidæ e muris; spes addita suscitat iras;
Tela manu jaciunt. Quales sub nubibus atris
Strymoniæ dant signa grues, atque æthera tranant
Cum sonitu, fugiuntque notos clamore secundo.

At Rutulo regi ducibusque ea mira videri
Ausoniis; donec versas ad litora puppis
Respiciunt, totumque adlabi classibus æquor.
Ardet apex capiti, cristisque a vertice flamma
Funditur, et vastos umbo vomit aureus ignes.
Non secus, ac liquida si quando nocte cometa
Sanguinei lugubre rubent (12), aut Sirius ardor (13):
Ille sitim morbosque ferens mortalibus ægris
Nascitur, et lævo contristat lumine cœlum.

Accomplis ton augure, et seconde mon bras;
Viens, et que les Troyens triomphent sur tes pas ! »
Il dit : déja la nuit fuit devant la lumière,
Et le jour renaissant rentre dans la carrière.
Par son ordre aussitôt flottent les étendards;
Déja son œil charmé reconnoît ses remparts,
Reconnoît les Troyens. A l'instant, de sa poupe
Il donne le signal, il exhorte sa troupe;
Déja brille élevé son bouclier divin,
Qu'aux antres de Lemnos a façonné Vulcain.
Son camp le reconnoît; aussitôt il envoie
Mille cris redoublés et d'amour et de joie.
Déja sifflent leurs traits, déja l'espoir vainqueur
Rend la force à leurs bras, le courage à leur cœur.
Tels, traversant les airs, des bataillons de grues
De leur vol à grands cris obscurcissent les nues:
Tels semblent des Troyens les bataillons épais;
Ainsi partent leurs cris, ainsi volent leurs traits.

Turnus est étonné. Sur la liquide plaine
Soudain s'offrent l'armée et la flotte troyenne,
Qui s'apprête à lancer ses guerriers sur ces bords.
Le héros à leur tête anime leurs efforts;
Son casque étincelant, son aigrette ondoyante
Dardent en longs éclairs leur lumière effrayante;
Son bouclier vomit des torrents de clarté.
Telle d'un rouge ardent, lugubre, ensanglanté,
La nuit, dans l'air brûlant, la cométe étincelle;
Tel, apportant la soif et la fièvre cruelle,
De l'ardent Sirius l'astre pernicieux

Vient embraser la terre et dessécher les cieux.

Haud tamen audaci Turno fiducia cessit

Litora præcipere, et venientis pellere terra.

* Ultro animos tollit dictis, atque increpat ultro. *

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In manibus Mars ipse, viri: nunc conjugis esto Quisque suæ tectique memor; nunc magna referto Facta, patrum laudes. Ultro occurramus ad undam, Dum trepidi egressique labant vestigia prima: Audentis Fortuna juvat.

Hæc ait, et secum versat, quos ducere contra,

Vel quibus obsessos possit concredere muros.

Interea Æneas socios de puppibus altis Pontibus exponit: multi servare recursus Languentis pelagi, et brevibus se credere saltu; Per remos alii. Speculatus litora Tarcho,

Qua vada non spirant, nec fracta remurmurat unda, Sed mare inoffensum crescenti adlabitur æstu; Advertit subito proras, sociosque precatur:

<< Nunc, o lecta manus, validis incumbite remis; Tollite, ferte rates; inimicam findite rostris

Mais Turnus brave tout; son superbe courage Veut contre les Troyens s'assurer du rivage:

« Allons, amis, dit-il, remerciez les dieux;
Ceux que vous attendiez, les voilà sous vos yeux;
Profitez du bonheur que le ciel vous envoie ;
Mars lui-même en vos mains amène votre proie;
Marchez; rappelez-vous vos femmes, vos enfants,
Et vos braves aïeux et leurs faits triomphants.
Profitez du moment où leur foule craintive
D'un pied tremblant encor se confie à la rive;
Que la mort soit le prix de leurs premiers essais :
C'est à l'audace, amis, qu'appartient le succès. »
A ces mots il choisit, et ceux dont le courage
Doit aux hardis Toscans disputer le rivage,
Et ceux qui contiendront les Troyens assiégés.
Aussitôt, sur des ponts vers la rive allongés;
Énée ordonne aux siens d'aborder sur la plage.
Plusieurs devancent l'ordre; et leur bouillant courage,
Dans le moment propice, où d'un cours languissant
De la rive à son lit la vague redescend,

Sur l'arène fatale impatient s'élance;

Sur la rame qui ploie un autre se balance.

L'audacieux Tarchon, à l'endroit où son œil
N'aperçoit plus le fond et ne voit point d'écueil,

Mais où la mer sans bruit gonflant ses eaux profondes
Améne mollement et ramène ses ondes,

Tourne à l'instant sa proue : « Illustres matelots! Voici l'heureux moment, courbez-vous sur les flots; Saisissez l'aviron dans vos mains vigoureuses;

Poussez, lancez, portez vos nefs victorieuses;

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