Page images
PDF
EPUB

Quelquefois les légiflateurs ont employé un tel art, que non feulement les chofes repréfentoient l'argent par leur nature, mais qu'elles devenoient monnoie comme l'argent même. Céfar (d), dictateur, permit aux débiteurs de donner en paiement, à leurs créanciers, des fonds de terre au prix qu'ils valoient avant la guerre civile. Tibère (e) ordonna que ceux qui voudroient de l'argent, en auroient du trésor pu blic, en obligeant des fonds pour le double. Sous Céfar, les: fonds de terre furent la monnoie qui paya toutes les dettes fous Tibère, dix mille fefterces en fonds devinrent une monnoie commune, comme cinq mille fefterces en argent.

La grande chartre d'Angleterre défend de faifir les terres ou les revenus d'un débiteur, lorfque fes biens mobiliers ou perfonnels fuffifent pour le paiement, & qu'il offre de les donner pour lors, tous les biens d'un Anglois repréfentoient de l'argent..

Les loix des Germains apprécièrent en argent les fatisfactions pour les torts que torts que l'on avoit faits, & pour les peines des crimes. Mais, comme il y avoit très-peu d'argent dans le pays, elles réapprécièrent l'argent en denrées ou en bétail. Ceci fe trouve fixé dans la loi des Saxons, avec de certaines différences, fuivant l'aifance & la commodité des divers peuples. D'abord (f) la loi déclare la valeur du fou en bétail: le fou de deux trémiffes fe rapportoit à un bœuf de douze mois, ou à une brebis avec fon agneau; celui de trois trémisses valoit un boeuf de seize mois.. Chez ces peuples, la monnoie devenoit bétail, marchandise ou denrée ; & ces chofes devenoient monnoie.

Non feulement l'argent eft un figne des choses; il eft en

(d) Voyez Cefar, de la guerre civile, liv, IIL

(e) Tacite, liv. VI.

(f) Loi des Saxons, ch. XVIII,.

core un figne de l'argent, & représente l'argent, comme nous le verrons au chapitre du change.

[blocks in formation]

IL y a des monnoies réelles & des monnoies idéales. Les peuples policés, qui fe fervent prefque tous de monnoies idéales, ne le font que parce qu'ils ont converti leurs monnoies réelles en idéales. D'abord, leurs monnoies réelles font un certain poids & un certain titre de quelque métal. Mais bientôt la mauvaise foi ou le befoin font qu'on retranche une partie du métal de chaque pièce de monnoie, à laquelle on laisse le même nom : par exemple, d'une pièce du poids. d'une livre d'argent, on retranche la moitié de l'argent, & & on continue de l'appeller livre; la pièce, pièce, qui étoit une vingtième partie de la livre d'argent, on continue de l'appeller fou, quoiqu'elle ne foit plus la vingtième partie de cette livre. Pour lors, la livre eft une livre idéale, & le fou un fou idéal; ainfi des autres fubdivifions : & cela peut aller au point que ce qu'on appellera livre, ne fera plus qu'une trèspetite portion de la livre; ce qui la rendra encore plus idéale. Il peut même arriver que l'on ne fera plus de pièce de monnoie qui vaille précisément une livre, & qu'on ne fera pas non plus de pièce qui vaille un fou pour lors, la livre & le fou feront des monnoies purement idéales. On donnera, à chaque pièce de monnoie, la dénomination d'autant de livres & d'autant de fous que l'on voudra; la va riation pourra être continuelle, parce qu'il est aussi aifé de donner un autre nom à une chofe, qu'il eft difficile de chan ger la chofe même.

Pour ôter la fource des abus, ce fera une très - bonne loi, dans tous les pays où l'on voudra faire fleurir le commerce, que celle qui ordonnera qu'on emploiera des monnoies réelles, & que l'on ne fera point d'opération qui puiffe les rendre idéales.

Rien ne doit être fi exempt de variation, que ce qui eft la mefure commune de tout,

Le négoce, par lui-même, eft très-incertain ; & c'est un grand mal d'ajouter une nouvelle incertitude à celle qui eft fondée fur la nature de la chofe.

[blocks in formation]

De la quantité de. Por & de l'argent. LORSQUE les nations policées font les maîtresses du monde, l'or & l'argent augmentent tous les jours, foit qu'elles le tirent de chez elles, foit qu'elles l'aillent chercher là où il eft. Il diminue, au contraire, lorfque les nations barbares prennent le deffus. On fçait quelle fut la rareté de ces métaux, lorfque les Goths & les Vandales d'un côté, les Sarrafins & les Tartares de l'autre, eurent tout envahi,

L'ARGE

[blocks in formation]

Continuation du même fujet.

ARGENT tiré des mines de l'Amérique, tranfporté en Europe, de-là encore envoyé en orient, a favorifé la navigation de l'Europe; c'est une marchandise de plus que l'Europe reçoit en troc de l'Amérique, & qu'elle envoie en troc aux Indes. Une plus grande quantité d'or & d'argent eft donc

favorable, lorfqu'on regarde ces métaux comme marchandife: elle ne l'eft point, lorsqu'on les regarde comme figne; parce que leur abondance choque leur qualité de figne, qui eft beaucoup fondée fur la rareté.

Avant la première guerre punique, le cuivre étoit à l'argent, comme 960 est à 1 (a); il ́est aujourd'hui, à peu près, comme 73. est à 1(6). Quand là proportion feroit comme elle étoit autrefois, l'argent n'en feroit que mieux fa fonc tion de figne.

(a) Voyez ci-deffous le chap. xii.

(6) En fuppofant l'argent à 49 livres le marc, & le cuivre à vingt fols la livre.

CHAPITRE V I.

Par quelle raifon le prix de l'ufure diminua de la moitié; lors de la découverte des Indes.

L'YNCA

YNCA Garcilaffo (a) dit qu'en Efpagne, après la conquête des Indes, les rentes, qui étoient au denier dix, tombèrent au denier vingt. Cela devoit être ainfi. Une grande quantité d'argent fut tout-à-coup portée en Europe: bientôt moins de perfonnes eurent befoin d'argent; le prix de toutes chofes augmenta, & celui de l'argent diminua: la proportion fut donc rompue, toutes les anciennes dettes furent éteintes. On peut fe rappeller le temps du fyftême (b), où toutes les chofes avoient une grande valeur, excepté l'argent. Après la conquête des Indes, ceux qui avoient de l'argent furent obligés de diminuer le prix ou le louage de leur marchandife, c'eft-à-dire, l'intérêt..

(4) Hiftoire des guerres civiles des Efpagnols dans les Indes.

[ocr errors]

(b) On appelloit ainfi le projet de M. Law en France,

Depuis ce temps, le prêt n'a pu revenir à l'ancien taux ; parce que la quantité de l'argent a augmenté, toutes les années, en Europe. D'ailleurs, les fonds publics de quelques états, fondés fur les richeffes que le commerce leur a procurées, donnant un intérêt très-modique, il a fallu que les contrats des particuliers fe règlaffent là-deffus. Enfin, le change ayant donné aux hommes une facilité fingulière de transporter l'argent d'un pays à un autre, pays à un autre, l'argent n'a pu êtra rare dans un lieu, qu'il n'en vînt de tous côtés de ceux où il étoit commun.

[blocks in formation]

Comment le prix des chofes fe fixe dans la variation des richeffes de figne.

L'ARGENT eft le prix des marchandises ou denrées. Mais, comment fe fixera ce prix ? c'est-à-dire, par quelle portion d'argent chaque chofe fera-t-elle représentée ?

Si l'on compare la masse de l'or & de l'argent qui est dans le monde, avec la fomme des marchandises qui y font, il est certain que chaque denrée ou marchandise, en particulier, pourra être comparée à une certaine portion de la masse entière de l'or & de l'argent. Comme le total de l'une est au total de l'autre, la partie de l'une fera à la partie de l'autre. Suppofons qu'il n'y ait qu'une feule denrée ou marchandise dans le monde, ou qu'il n'y en ait qu'une feule qui s'achette, & qu'elle fe divife comme l'argent; cette partie de cette marchandise répondra à une partie de la maffe de l'argent; la moitié du total de l'une, à la moitié du total de l'autre; la dixième, la centième, la millième de l'une, à lạ

[ocr errors]

dixième,

« PreviousContinue »