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l'argent ait un prix, mais que ce prix foit peu confidérable. S'il eft trop haut, le négociant, qui voit qu'il lui en coûteroit plus en intérêts qu'il ne pourroit gagner dans fon commerce, n'entreprend rien; fi l'argent n'a point de prix, perfonne n'en prête, & le négociant n'entreprend rien non plus.

Je me trompe, quand je dis que perfonne n'en prête. Il faut toujours que les affaires de la fociété aillent; l'ufure s'établit, mais avec les défordres que l'on a éprouvés dans tous les temps.

La loi de Mahomet confond l'ufure avec le prêt à intérêt. L'ufure augmente, dans les pays mahométans, à propor tion de la sévérité de la défense : le prêteur s'indemnise du péril de la contravention.

Dans ces pays d'orient, la plupart des hommes n'ont rien d'affuré; il n'y a prefque point de rapport entre la poffeffion actuelle d'une fomme, & l'efpérance de la r'avoir après l'avoir prêtée : l'ufure y augmente donc à proportion du péril de l'infolvabilité.

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La grandeur de l'ufure maritime eft fondée sur deux chofes le péril de la mer, qui fait qu'on ne s'expofe à prêter fon argent que pour en avoir beaucoup davantage ; & la facilité que le commerce donne à l'emprunteur de faire promptement de grandes affaires, & en grand nombre: au lieu que les ufures de terre, n'étant fondées fur aucune de ces deux raifons, font ou profcrites par les légiflateurs, ou, ce qui eft plus fenfé, réduites à de juftes bornes.

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Du prêt par contrat, & de l'ufure, chez les Romains. OUTRE le prêt fait pour le commerce, il y a encore une espèce de prêt fait par un contrat civil, d'où résulte un intérêt ou usure.

Le peuple, chez les Romains, augmentant tous les jours fa puiffance, les magiftrats cherchèrent à le flatter, & à lui faire faire les loix qui lui étoient les plus agréables. Il retrancha les capitaux; il diminua les intérêts; il défendit d'en prendre; il ôta les contraintes par corps; enfin, l'abolition des dettes fut mife en queftion toutes les fois qu'un tribun voulut se rendre populaire.

Ces continuels changemens, foit par des loix, foit par des plébiscites, naturalisèrent à Rome l'ufure; car les créanciers, voyant le peuple leur débiteur, leur légiflateur & leur juge, n'eurent plus de confiance dans les contrats. Le peuple, comme un débiteur décrédité, ne tentoit à lui prêter que par de gros profits d'autant plus que, fi les loix ne venoient que de temps en temps, les plaintes du peuple étoient continuelles, & intimidoient toujours les créanciers. Cela fit que tous les moyens honnêtes de prêter & d'emprunter furent abolis à Rome; & qu'une ufure affreufe, toujours foudroyée & toujours renaiffante, s'y établit (a). Le mal venoit de ce que les chofes n'avoient pas été ménagées. Les loix extrêmes dans le bien font naître le mal extrême. Il fallut payer pour le prêt de l'argent, & pour le danger des peines de la loi,

(a) Tacite, annal, liv. VI.

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LES Es premiers Romains n'eurent point de loix pour règler le taux de l'usure (a). Dans les démêlés qui se formèrent là-dessus entre les plébéiens & les patriciens, dans la sédition même du Mont-facré (b), on n'allégua, d'un côté, que la foi; &, de l'autre, que la dureté des contrats.

On fuivoit donc les conventions particulières; & je crois que les plus ordinaires étoient de douze pour cent par an. Ma raison eft que, dans le langage ancien chez les Romains, l'intérêt à fix pour cent étoit appellé la moitié de l'ufure; l'intérêt à trois pour cent le quart de l'ufure (c): l'ufure totale étoit donc l'intérêt à douze pour cent.

Que fi l'on demande comment de si grosses usures avoient pu s'établir chez un peuple qui étoit prefque fans commerce; je dirai que ce peuple, très-souvent obligé d'aller fans folde à la guerre, avoit très-fouvent befoin d'emprunter; & que, faisant fans ceffe des expéditions heureuses, il avoit très-souvent la facilité de payer. Et cela fe fent bien dans le récit des démêlés qui s'élevèrent à cet égard: on n'y difconvient point de l'avarice de ceux qui prêtoient; mais on dit que ceux qui fe plaignoient auroient pu payer, s'ils avoient eu une conduite règlée (d).

On faifoit donc des loix qui n'influoient que fur la fitua

(a) Ufure & intérêt fignifioient la même chose chez les Romains.

(b) Voyez Denys d'Halicarnaffe, qui l'a bien décrite.

tes. Voy. là-deffus, les divers traités du digefte & du code de ufuris; & fur-tout la loi XVII, avec fa note, ff. de ufuris. (d) Voyez les difcours d'Appius là

(c) Usuræ femisses, trientes, quadran- deffus, dans Denys d'Halicarnasse,

tion actuelle on ordonnoit, par exemple, que ceux qui s'enrôleroient pour la guerre que l'on avoit à foutenir ne feroient point pourfuivis par leurs créanciers; que ceux qui étoient dans les fers feroient délivrés ; que les plus indigens feroient menés dans les colonies: quelquefois on ouvroit le tréfor public. Le peuple s'appaifoit par le foulagement des maux préfens; &, comme il ne demandoit rien pour la fuite, le fénat n'avoit garde de le prévenir.

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Dans le temps que le fénat défendoit avec tant de conftance la caufe des ufures, l'amour de la pauvreté, de la frugalité, de la médiocrité, étoit extrême chez les Romains mais telle étoit la conftitution, que les principaux citoyens portoient toutes les charges de l'état, & que le bas peuple ne payoit rien. Quel moyen de priver ceux-là du droit de poursuivre leurs débiteurs, & de leur demander d'acquitter leurs charges, & de fubvenir aux besoins preffans de la république ?

· Tacite (e) dit que la loi des douze tables fixa l'intérêt à un pour cent par an. Il est visible qu'il s'eft trompé ; & qu'il a pris, pour la loi des douze tables, une autre loi dont je vais parler. Si la loi des douze tables avoit règlé cela, comment, dans les difputes qui s'élevèrent depuis entre les créanciers & les débiteurs, ne fe feroit-on pas fervi de fon autorité? On ne trouve aucun veftige de cette loi fur le prêt à intérêt : &, pour peu qu'on foit verfé dans l'hiftoire de Rome, on verra qu'une loi pareille ne devoit point être l'ouvrage des décemvirs.

La loi Licinienne, faite quatrevingt-cinq ans (f), après la loi des douze tables, fut une de ces loix paffagères dont nous avons parlé. Elle ordonna qu'on retrancheroit, du capital,

(e) Annales, liv. VI.

(f) L'an de Rome 388. Tite Live, liv. VI,

ce qui avoit été payé pour les intérêts, & que roit acquitté en trois paiemens égaux.

le refte fe

L'an 398 de Rome, les tribuns Duellius & Ménénius firent paffer une loi qui réduifoit les intérêts à un pour cent par an (g). C'est cette loi que Tacite (h) confond avec la loi des douze-tables; & c'eft la première qui ait été faite, chez les Romains, pour fixer le taux de l'intérêt. Dix ans après (¿), cette ufure fut réduite à la moitié (k); dans la suite, on l'ôta tout-à-fait (/): &, fi nous en croyons quelques auteurs qu'avoit vuş Tite Live, ce fut fous le confulat de C. Martius Rutilius & de Q. Servilius (m), l'an 413 de Rome.

Il en fut, de cette loi, comme de toutes celles où le législateur a porté les chofes à l'excès: on trouva un moyen de l'éluder. Il en fallut faire beaucoup d'autres pour la confirmer, corriger, tempérer. Tantôt on quitta les loix pour fuivre les usages (7); tantôt on quitta les usages pour fuivre les loix : mais, dans ce cas, l'usage devoit aifément prévaloir. Quand un homme emprunte, il trouve un obftacle dans la loi même qui eft faite en fa faveur : cette loia contre elle, & celui qu'elle fecourt, & celui qu'elle condamne. Le préteur Sempronius Afellus ayant permis aux débiteurs d'agir en conféquence des loix (0), fut tué par les créanciers (p), pour avoir voulu rappeller la mémoire d'une rigidité qu'on ne pouvoit plus foutenir.

(g) Unciaria ufura. Tite Live, liv. VII. Voyez la défenfe de l'efprit des loix, art. ufure.

(4) Annal. liv. VI.

(i) Sous le confulat de L. Manlius Torquatus & de C. Plaucius, felon Tite Live, liv. VII; & c'eft la loi dont parle Tacite, annal. liv. VI.

(k) Semiunciaria ufura.

(1) Comme le dit 7 acite, annal. liv. VI,

(m) La loi en fut faite à la pourfuite de M. Genucius, tribun du peuple: Tite Live, liv. VH, à la fin.

(n) Veteri jàm more fœnus receptum erat. Appien, de la guerre civile, livre I.

(0) Permifit cos legibus agere. Appien, de la guerre civile, liv. I; & l'épitôme de Tite Live, liv. LXIV,

(P) L'an de Rome 663.

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