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fense des intérêts communs, et rester inabordable aux animosités privées. Penses-tu que ta conduite ambiguë entre les électeurs et les administrateurs t'ait gagné leur confiance? Aux premiers, tu te présentais sous les dehors du patriotisme qu'ils exigent; aux seconds, tu t'offrais en même temps sous les apparences d'une obéissance passive à leur autorité bien ou mal réglémentaire : tu parlais un langage devant les uns, tandis qu'en ton nom la baronne parlait en termes différents devant les autres. Acteur jouant un double rôle, tu affectais en toi ce qu'il fallait paraître pour séduire, et tu ne découvrais pas ce que tu es véritablement, si toutefois l'homme qui se produit sous deux faces est quelque chose. Écoute : j'ai de quoi réfuter les imputations d'injustice et d'aveuglement dont tu charges les décisions des colléges.

<< De jour en jour le peuple se détrompe sur les menées des intrigants; de jour en jour ses propres méprises l'éclairent. Avouons-le, notre éducation constitutionnelle, électorale, commence à se faire; mais elle est loin d'être achevée. L'exercice continu de nos droits nous en enseignera l'usage le plus salutaire. Nous cesserons d'exiger que les candidats, quand un vrai, civisme les anime, quand leurs lumières et leurs services les désignent,

se prostituent en charlatans de place, et s'épuisent en protestations superflues, auxquelles personne ne croit; en éloges d'eux-mêmes si embarrassants pour les bienséances. Nous ne demanderons plus, en garantie de l'indépendance des mandataires, ces actes de complaisance et de docilité qui, les dégradant parfois à nos yeux même, démentent la promesse de ces inflexibles fidélités dont ils se vantent.

« A l'avenir, on se défiera des gens habiles qui courtisent les factions, autant que de ceux qui courtisaient les princes. On élira les hommes à qui la liberté coûte des sacrifices, et non ceux à qui son masque rapporte décorations et profit. D'où proviennent les mauvais choix? de l'hypocrisie des candidats qui prennent toutes les formes pour se ménager les suffrages des hypocrites qui leur ressemblent, et qui manœuvrent les uns contre les autres, soit pour le gouvernement passé qu'ils regrettent, soit pour le gouvernement futur qu'ils espèrent, et jamais pour le gouvernement qu'on a, bien qu'ils jurent de l'affermir en le trahissant toujours. Te voilà ministériel, par exemple, grâce à l'influence des ministres qui t'ont fait élire : un de tes nouveaux collègues contrôlera tes protecteurs s'ils. ne marchent pas dans la voie légale, parce qu'il

est élu sans autre protection que celle de sa probité reconnue par ses concitoyens. L'homme dont je te parle n'a point de coterie, point de systèmes ni d'antipathie, point d'offense à venger, ni d'intérêt particulier à poursuivre. Il aime mieux son repos que les affaires; mais il aime mieux son pays que son repos; et tu le verras se dévouer tout entier aux travaux législatifs utiles à sa patrie. Les électeurs qui se sont obstinés à le proposer, les a-t-il visités, leur a-t-il rien promis, leur a-t-il adressé son apologie composée par lui-même? Ils ne le connaissent que par ses actions. Ils savent que si la majorité ministérielle a tort, il la combattra; que si elle a raison, il s'y réunira cordialement; qu'il ne deviendra le champion d'aucun parti, d'aucune secte dévote, d'aucun despotisme, et ne se fera jamais un jeu d'opposition dans une minorité systématique, pour s'acquérir plus ou moins d'importance à la cour, ou de pularité dans la ville. Cet homme qui n'était, ce matin encore, qu'un électeur éligible, avait tant d'aversion pour les importunités des intrigants solliciteurs de bulletins, qu'il avait inscrit sur la porte de son logis: Ici l'on ne reçoit la visite d'aucun candidat; cet homme, enfin, qui s'honore d'être élu maintenant, et qui ne s'attendait pas à l'être, c'est moi. »

po

A cette dernière parole, le baron de Sainville resta comme pétrifié de surprise; les deux témoins de la scène furent frappés d'un muet étonnement; et l'on eût dit, à voir leur contenance étrange, que, par une faiblesse naturelle au cœur humain, cette bonne nouvelle consternait ses trois bons amis.

NEPOMUCÈNE L. LEMERCIER.

UN

VOYAGE EN OMNIBUS,

DE LA BARRIÈRE DU TRÔNE A LA BARRIÈRE DE L'ÉTOILE.

Le 6 août 1670, en présence de Colbert, Claude Le Pelletier, prévôt des marchands, assisté de ses échevins, posa, au nom de la ville de Paris, la première pierre d'un grand arc de triomphe consacré par la cité reconnaissante à Louis XIV, le roi victorieux : ce fut à la barrière du Trône.

Le 15 août 1806, en présence du comte Mon

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