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rire fantastique, inextinguible comme celui des dieux. Il ne paraît pas encore; mais il susurre, il siffle, il bourdonne, il babille, il crie, il parle de cette voix qui n'est pas une voix d'homme, de cet accent qui n'est pas pris dans les organes de l'homme, et qui annonce quelque chose de supérieur à l'homme, Polichinelle, par exemple. Il s'élance en riant, il tombe, il se relève, il se promène, il gambade, il saute, il se débat, il gesticule, et retombe démantibulé contre le châssis qui résonne de sa chute. Ce n'est rien, c'est tout, c'est Polichinelle ! Les sourds l'entendent, et rient; les aveugles rient et le voient, et toutes les pensées de la multitude enivrée se confondent en un cri : C'est lui! c'est lui! c'est Polichinelle !

Alors... Oh! c'est un spectacle enchanteur que celui-ci!... Alors les petits enfants, qui se tenaient immobiles d'un curieux effroi entre les bras de leurs bonnes, la vue fixée avec inquiétude sur le théâtre vide, s'émeuvent et s'agitent tout à coup, agrandissent encore leurs beaux yeux ronds pour mieux voir, s'approchent, se retirent, se rapprochent, se disputent la première place. Ils s'en disputeront bien d'autres quand ils seront grands! Le flot de l'avantscène roule à sa surface des petits bonnets, des petits chapeaux, des petits schakos, des toques,

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des casquettes, des bourrelets, de jolis bras blancs qui se contrarient, de jolies mains blanches qui se repoussent; et tout cela, vous savez pourquoi ? pour saisir, pour avoir Polichinelle vivant! Je le comprends à merveille; mais moi, pauvres enfants, moi qui ai grisonné là derrière vos pères, il y a quarante ans que je l'attends!...

Au second rang cependant se pressent les bonnes et les nourrices, épanouies, vermeilles, joyeuses comme d'autres enfants, sous le bonnet pointu et sous le bonnet rond, sous la cornette aux bandes flottantes, et sous le madras en turban; les bonnes de la haute société surtout, aux manières de femmes de chambre, au cou penché, à l'épaule dédaigneuse, au geste rond, au regard oblique et acéré, que darde, entre de longs cils, une prunelle violette, et qui promet tout ce qu'il refuse. Je ne sais pas si cela est changé, mais je me souviens qu'elles étaient charmantes.

C'est ici que devrait commencer logiquement l'histoire de Polichinelle; mais ces prémisses philosophiques m'ont entraîné à des considérations si profondes sur les besoins moraux de notre malheureuse société, que l'attendrissement m'a gagné au premier chapitre de l'histoire de Polichinelle. L'histoire de Polichinelle, c'est,

hélas ! l'histoire entière de l'homme, avec tout ce qu'il a d'aveugles croyances, d'aveugles passions, d'aveugles folies, et d'aveugles joies. Le cœur se brise sur l'histoire de Polichinelle : Sunt lacrymæ rerum!

J'ai promis cependant l'histoire de Polichinelle. Eh, mon Dieu! je la ferai un jour, et je ne ferai plus que cela: car c'est décidément le seul livre qui reste à faire; et si je ne la faisais pas, je vous conseille en ami de la demander à deux hommes qui la savent mieux que moi, — Cruyshank et Charlet.

CH. NODIER.

L'ABBÉ CHATEL

ET SON ÉGLISE.

J'imagine que dans les villes croyantes de la province, au coeur ou à l'extrémité de la France, on aurait peine à se figurer le malheureux état de la religion catholique à Paris! Depuis la grande secousse de 89, le catholicisme était bien malade, la révolution de 1830 l'a tué tout-à-fait. Bonaparte rendit, il est vrai, au culte chrétien ses monuments et son éclat extérieur, comme il ren

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