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voulu la monarchie, tout est, tout se trouve organisé. Si on suppose, ce qui n'est que trop probable et trop facile, que la Charte républicaine ait été imprimée la veille de la próclamation, toute se trouve consommé le même jour le trône, la famille régnante, et leurs amis les plus dévoués, tout disparoît par un décret de quelques lignes.

Voilà précisément où nous entraîne la marche du siècle, où nous mène le progrès des lumières; ce n'est plus de faire des conspirations à force ouverte, qu'on peut découvrir et déjouer, ou qu'on peut réduire en opposant la force à la force; cette manière de conspirer, on ne l'emploie plus que comme auxiliaire. Pour tenir en haleine, pour jeter de l'incertitude dans les esprits sur la stabilité, pour nous tenir façonnés aux crises et aux convulsions, on y met en avant les subalternes, les niais, les dupes du parti, les Plaignier de Paris, les Plaignier de Grenoble, les Plai gnier de Lyon, et quelques autres misérables: Plaignier encore, qu'on nous ménage suivant le besoin ou l'occasion. Mais les progrès des lumières ont appris à tenir les chefs en réserve, et surtout à conspirer par les lois; c'est-à-dire, à exercer une telle influence sur l'esprit de ceux qui participent à leur confection, que les changemens désirés soient faciles à réaliser; c'est alors un jeu sûr. Le succès d'un moment

suffit pour assurer l'impunité des chefs. Si la masse, presque toujours impassible, vient à se mouvoir contre eux, ou si la politique étrangère exerce une trop grande influence, ils se font encore payer fort cher une transaction qu'on désire toujours pour éviter l'effusion du sang; ils sacrifient quelques faux complices qui n'étoient que des êtres exaltés, et nullement dans le secret, et ils jouissent, eux, avec impunité, de leur félonie. Si la transaction n'a pas lieu, ils exercent une autorité sans bornes. C'est alors le despotisme de plusieurs qui commence: il aboutit toujours au despotisme d'un seul. Sans doute ce n'est que par prévoyance que j'ai établi ces hypothèses; mais sommes-nous tellement désenchantés de tout changement, de toute révolution, qu'elles soient véritablement chimériques? Quand faudra-t-il être prévoyant, si ce n'est quand il s'agit de faire des lois, qui, selon qu'elles seront faites, rendent ces événemens possibles, et qui, quand ils sont possibles, par cela même deviennent probables? Ne serait-ce pas une témérité que de ne pas les prévoir? Or, il n'y a d'autre moyen de les prévoir, d'autre moyen de les prévenir que par les lois mêmes qui sont à faire, et en leur donnant des dispositions telles qu'elles deviennent la plus forte garantie de la monarchie.

Je n'ai pas l'intention d'aller au devant de toutes les objections qu'on peut me faire, mais.

de celles seulement qui me paroissent pouvoir raisonnablement être présentées telles que celles que j'ai déjà produites, et encore celle-ci : « La liberté politique n'a plus de garantie si la Chambre des Députés est aussi aristocratique que celle des Pairs; les intérêts du peuple n'auront plus de défenseurs. » Je réponds que par cela seul que la monarchie est tempérée par deux pouvoirs intermédiaires entre le Roi et le peuple, la liberté politique, telle que la Charte nous l'a donnée est garantie, est on ne peut avoir des craintes fondées sur sa conservation, surtout quand le Roi ne fait pas seul la loi, qu'il faut le concours des deux Chambres pour en rendre ou en rapporter une, et que la discussion en est faite publiquement, Il est impossible, d'ailleurs, d'écarter absolument la démocratie de la Chambre des Députés : elle s'y introduira nécessairement, mais à si petite dose, que ce ne sera plus qu'un stimulant nécessaire, et non comme substance principale et corrosive. Mais l'intensité de ses forces étant aristocratique, c'est-à-dire que cette Chambre étant composée des plus riches propriétaires, des hommes les plus distingués par le rang qu'ils occupent dans l'Etat et dans la société, cette Chambre sera beaucoup plus incorruptible; elle veillera pour conserver la monarchie, et s'opposera également à ce qu'on porte atteinte à la liberté publique. Salluste dit quelque part: Ita, in maxima fortuna, mi

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nima licentia est. C'est par ce seul moyen que nous aurons la véritable liberté dont nous sommes tous jaloux. Mais la liberté politique que nous ne pourrions pas supporter est celle que voudroit nous donner une Chambre plus démocratique que n'est la Chambre des Communes en Angleterre. Si chacun avoue que les intérêts du peuple trouvent des défenseurs, et que la liberté politique est suffisamment protégée par le Parlement anglais, vouloir plus, c'est se vouer à l'instabilité; reconnoître que c'est assez, c'est convenir, ce que j'ai voulu prouver, qu'on peut modifier le système représentatif comme tous les autres systèmes de gouvernement, et qu'il doit l'être pour la France, selon les mœurs, la religion et le caractère de ses habitans, et que toutes ces choses réunies s'opposent à ce que la démocratie prédomine dans aucune de nos institutions, dans aucune de nos lois fondamentales,

Je voudrois pouvoir passer sur-le-champ à cette question que j'élève, et qui pourra paroître un peu téméraire : « Les deux Chambres ontelles le droit de voter les lois fondamentales? » Mais la discussion en sera plus facile après l'examen des deux lois fondamentales déjà faites, et quand j'aurai présenté, dans un court chapitre, quelques réflexions sur les majorités et les minorités politiques.

CHAPITRE VII.

Des Majorités et des Minorités politiques.

Il n'y a pas eu, et je suis convaincu qu'il n'y aura jamais, dans quelque pays que ce soit, d'assemblée délibérante qui, au bout de quinze jours ou de trois semaines au plus de délibérations non interrompues, ne voie se former dans son sein une majorité et une minorité dans le sens où la pratique doit nous faire entendre ces deux mots; c'est-à-dire que l'une et l'autre seront, quelque divers que soient les sujets des délibérations, constamment et identiquement composées des mêmes individus. Le pourquoi n'est pas de mon sujet. Qu'on n'objecte pas quelques minutieuses exceptions qui, comme toutes les exceptions, prouvent la règle générale.

Il n'y a pas de minorité qui n'ait la prétention et presque toujours la chance de devenir, dans un temps donné, la majorité.

Quand le droit politique est complet, que les institutions sont toutes formées, les garanties sont si multipliées et si fortes, que tous les

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