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exagérées de liberté, d'indépendance; et n'étoit que le gouvernement a déployé plus de fermeté ou de sévérité, suivant l'occasion, nous serions plus près d'une crise en 1818 que nous ne l'étions en 1790; d'autant qu'en go on ne savoit quelle seroit l'attitude du peuple, et qu'on sait aujourd'hui que, depuis vingt-trois ans, il laisse tout faire et ne se mêle de rien. La marche de la démocratie reste toutefois la même. Ce fut par les lois qu'elle détruisit l'édifice de la monarchie; ce sera par les lois qu'elle pourra. l'empêcher de se relever. Il suffira, pour qu'elle arrive à son but, qu'on la laisse profiter des avantages que déjà elle a obtenus par les lois faites. Dans la réalité, je crois que nos plus habiles publicistes, j'entends ceux qui parlent et écrivent de bonne foi, n'ont pas fait faire depuis trente ans un pas de plus à la science si difficile de gouverner les hommes. Une seule vérité prédomine, c'est que plus les têtes sont exaltées, les passions et les intérêts opposés, plus la difficulté de gouverner augmente. Ce seroit une grande erreur de la part des publicistes, et pour les Rois surtout, que de croire qu'on simplifiera l'art du gouvernement en faisant des concessions. On n'en fait, on n'est sollicité d'en faire qu'à ses ennemis. Quand elles sont faites, on ne peut plus se recruter que parmi eux; on est d'autant plus à leur discrétion, que les concessions, même ont écarté les amis puissans et fidèles.

Charles Ier et Louis XVI se perdirent, et perdirent la monarchie avec eux, par des concessions. La plus grande et la plus périlleuse de toutes, seroit de laisser faire de mauvaises lois, Car aujourd'hui, plus qu'à aucune autre époque de la civilisation, c'est par des lois bien appropriées au caractère, aux mœurs, à la religion de ceux pour qui elles sont faites, qu'on peut parvenir à gouverner facilement les peuples et à contenir ceux qui soupirent après des changemens. Montesquieu pensoit cela : c'est encore, qu'il y ait ou non, depuis lui, progrès dans les lumières, la seule marche à suivre; la seule qui puisse nous conserver la monarchie, qui est aussi le seul gouvernement qui convienne à la France, à cause de son climat et de l'étendue de son territoire, aux Français à cause de leur religion, de leur caractère et de leurs mœurs,

CHAPITRE VI.

Les lois fondamentales doivent-elles, en France, être plus démocratiques qu'aristocratiques.

CETTE question est la plus intéressante qu'on puisse traiter, alors qu'on est toujours, comme nous, depuis trente ans, à la veille d'avoir un corps de droit politique complet.

Selon que cette question sera décidée, la France sera constituée en république (la Charte ne s'y oppose pas), en ne conservant de la monarchie que le nom, sans en avoir les avantages, dont le plus grand est la stabilité; ou bien la monarchie, dans sa véritable essence, sera conservée (c'est l'esprit de la Charte, et la volonté du Roi qui nous l'a donnée), la modification qu'elle recevra par le partage de la puissance législative entre le Roi et les deux Chambres, ne portera aucune atteinte aux attributions comme aux prérogatives de la royauté, et nous aurons la plus grande latitude de durée, pour notre gouvernement, qui puisse être accordée aux établissemens humains.

La controverse est ouverte sur cette question depuis long-temps, et le sera long-temps encore;

mais elle peut devenir oiseuse pour nous, si les lois fondamentales sont toutes en rapport direct avec les choses pour lesquelles elles sont faites. Elles seront alors infailliblement en harmonie entre elles et en harmonie avec la Charte, telle qu'elle a été conçue; enfin en harmonie avec la monarchie, telle que la Charte a voulu nous la donner. Ces lois alors, et ce point est bien essentiel, ne seront pas convenables à un gouvernement républicain.

Ce n'est pas une concession généreuse que j'ai faite en commençant, et comme le feroit un homme si sûr du succès qu'il ne craindroit pas de laisser prendre un certain avantage à sou adversaire, afin d'obtenir une victoire plus éclatante. Je voudrois, au contraire, avoir le droit de nier que la Charte puisse être tellement dénaturée par les lois fondamentales, qu'il en résulte que la France soit constituée en république, et ne conserve de la monarchie que le nom. Cette dénégation est pour moi impossible, car je ne sais pas me prévaloir contre l'expérience, ni me faire illusion quand je rencontre des faits positifs. D'ailleurs cet inconvénient de la rédaction de la Charte, qui peut avoir des conséquences si graves, n'étant pas sans remède, il vaut mieux le signaler comme un écucil, afin de l'éviter. C'est plus tard que je discuterai ce point, qu'il falloit seulement fixer avant d'entrer plus avant dans le texte de ce chapitre.

Ledésir de la plus grande perfectibilité possible semble animer tous ceux qui parlent ou écrivent sur la politique. La plupart sont de bonne foi; il faut ranger dans l'exception ceux qui ont mission d'égarer les esprits et d'échauffer les têtes; ce qui est plus aisé qu'on ne croit, car le langage de l'exaltation est plus séduisant que celui de la raison. La ligne de démarcation entre l'exagération et le vrai sens est d'autant plus difficile, non à tracer mais à rendre sensible, que l'homme égaré est presque toujours exalté, et qu'alors il croit plus vivement qu'il est dans la bonne voie.

Je n'ai pas l'espoir, et encore moins la prétention de ramener ceux qui déjà ont résolu la question autrement que je crois qu'elle doit l'être; mais j'espère éclairer ceux qui n'ont pas encore d'avis arrêté. Je le répète, jamais question plus grave ne fut élevée; elle est encore entière pour la France comme pour l'Europe, et jamais de plus grands intérêts ne furent attachés à sa décision. Je soutiendrai les principes que j'invoquerai, par l'expérience, c'est-à-dire en rapprochant des faits non contestés.

Ce principe que les lois doivent être en rapport direct avec les choses pour lesquelles elles sont faites n'est pas, je crois, contestable; je le tiens pour tel, ne voulant pas jeter au feu l'Esprit des Lois, où il se reproduit presque à chaque page : « Les lois fondamentales doivent être faites pour la France; par conséquent être

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