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» armes divines. A peine les Troyens » ont apperçu l'aigrette d'Achille, qu'ils >> fuyent épouvantés. » Idée vraiment grande et digne d'Homère. « Patrocle » périt dans le combat: alors Achille, » transporté de fureur, et brûlant de >> toute la rage de l'amitié désespérée, >> oublie l'injure d'Agamemnon, quitte >> sa tente, et court le venger. » Toute cette marche est admirable, parce qu'elle met en contraste de grands défauts et de grandes qualités. J'ai essayé, dans un de mes ouvrages, de rendre tout ce que le caractère d'Achille a de plus frappant sous ce rapport vraiment poétique:

J'admire le sang-froid du sage Idoménée,
Et le prudent Ulysse, et le pieux Énée;

Mais qu'on me montre Achille, Achille, ame de feu,
Dont la rage est d'un tigre, et les vertus d'un dieu;

D'amitié, de fureur héroïque assemblage;

Sentant profondément le bienfait et l'outrage;
Tonnant dans les combats, ou, la lyre à la main,
Seul, au bord de la mer, consolant son chagrin;
Pour appaiser Patrocle en sa demeure sombre,
Tourmentant un cadavre, et punissant une ombre;
Et, quand Priam d'Hector vient chercher les débris,
Respectant un vieux père, et lui rendant son fils:
Ce grand tableau m'étonne, et mon ame tremblante
Frémit tout à la fois de joie et d'épouvante.

Par le même artifice, lorsqu'Achille reçoit les ambassadeurs grecs envoyés pour le fléchir, Homère suppose que cet homme implacable traite peu favorablement Ulysse et Ajax, mais qu'il accorde l'hospitalité la plus affectueuse à son gouverneur Phénix. Tous ces contrastes concourent merveilleusement à faire ressortir l'admirable composition du caractère d'Achille. Je

n'en suis pas moins d'un avis différent de ceux qui admirent aveuglément tous les défauts de ce personnage. Homère n'a pas le droit de nous faire aimer la peinture d'une nature dégradée le beau idéal est le premier mo

:

dèle de tous les artistes et de tous les

poëtes.

Mais revenons au caractère d'Énée: on a supposé, dans l'intention de le déprécier, que ce héros ne se présente que comme un fugitif qui vient injustement usurper le trône, et traverser les amours de Turnus et de Lavinie. Mais Virgile a eu soin de fonder ses droits à l'empire sur la volonté des dieux, manifestée par les oracles, et même sur la consanguinité. Quant aux amours de Turnus et de Lavinie, il n'en est

ce n'est

pas dit un seul mot dans toute l'Énéide: pas de l'amour que Virgile a donné à Turnus, c'est de l'ambition. On reproche aussi à Énée de la cruauté, et on allègue en preuve le meurtre de Turnus. Mais comment n'a-t-on pas vu que c'est là que le poëte a mis un goût exquis et une convenance admirable? Turnus, prêt à recevoir le coup mortel, s'est jeté aux pieds d'Énée, pour lui demander, non pas la vie, mais la consolation d'être porté dans le tombeau de ses pères. Énée est prêt à lui faire grâce, lorsqu'il apperçoit sur le corps de son ennemi le baudrier du jeune Pallas, égorgé par Turnus. A cette, vue, sa fureur se réveille, et il l'immole sans pitié en disant : « Ce n'est moi qui te tue, c'est Pallas. »

>> pas

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Voilà, je crois, le personnage d'Énée suffisamment justifié. Mais on a encore prétendu qu'en général Virgile, sous le rapport des caractères, étoit resté fort inférieur à Homère. Une foule de héros, nous dit-on, se signalent dans l'Iliade; chacun a sa physionomie particulière, et cette richesse est un des principaux mérites de ce poëme: tandis que, dans Virgile, Énée seul est remarquable par ses grandes qualités. Des gens de goût ont, à mon avis, complètement justifié Virgile à cet égard..On se rappelle ce qui arriva, lorsque la France eut le malheur de perdre le grand Turenne : Louis XIV

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