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retentissant, passe comme un trait, le devance, atteint le but, le tourne, revient, et, vainqueur, vogue vers le rivage. Alors, une colère violente enflamme le cœur du jeune guerrier; des pleurs brûlans descendent sur ses joues; et, oubliant les soins de sa gloire et la sûreté de ses compagnons, il précipite du haut de la poupe dans les flots l'indocile Ménète, prend lui-même le gouvernail; nouveau pilote, il excite les rameurs, et tourne sa proue vers les bords du rocher. Cependant, malgré le poids des ans et celui de ses vêtemens, d'où l'eau de toutes parts ruisselle, Ménète revient du fond de l'abîme, gravit avec peine le roc, et s'assied sur la cime. Les Troyens avaient ri de sa chute et de sa lenteur à lutter contre les flots : ils rient encore en le voyant revomir l'onde amère.

EN ce moment, un espoir joyeux vient animer Sergeste et Mnesthée, qui, les derniers dans la course, se flattent de regagner Gyas retardé dans la sienne. Sergeste s'avance le premier, et approche du rocher : mais son navire tout entier ne dépasse pas encore celui de son rival. Une partie seule est en avant, et la proue de la Baleine serre les flancs du Centaure. Cependant Mnesthée parcourt, à pas pressés, les rangs des nautonniers, dont il excite l'ardeur : « Maintenant, dit-il, maintenant insistez sur les rames, dignes compagnons d'Hector, que j'ai choisis pour les miens depuis le dernier jour de Troie! Maintenant déployez cette même vigueur et ce courage éclatant qui vous firent dompter les Syrtes de Gétulie, et les flots de la mer Ionienne, et les rapides courans de Malée! Ce n'est plus à la première palme qu'aspire

Quamquam o!.. sed superent, quibus hoc, Neptune, dedisti.
Extremos pudeat rediisse : hoc vincite, cives,'
Et prohibete nefas. »> Olli certamine summo
Procumbunt; vastis tremit ictibus ærea puppis,
Subtrahiturque solum; tum creber anhelitus artus
Aridaque ora quatit; sudor fluit undique rivis.
Attulit ipse viris optatum casus honorem;

Namque furens animi, dum proram ad saxa suburget
Interior, spatioque subit Sergestus iniquo,

Infelix saxis in procurrentibus hæsit.

Concussæ cautes, et acuto in murice remi
Obnixi crepuere, illisaque prora pependit.
Consurgunt nautæ, et
et magno clamore morantur;
Ferratasque trudes et acuta cuspide contos
Expediunt, fractosque legunt in gurgite remos.
Ar lætus Mnestheus, successuque acrior ipso,
Agmine remorum celeri, ventisque vocatis,
Prona petit maria, et pelago decurrit aperto.
Qualis spelunca subito commota columba,
Cui domus et dulces latebroso in pumice nidi,
Fertur in arva volans, plausumque exterrita pennis
Dat tecto ingentem; mox aere lapsa quieto,

Radit iter liquidum, celeres neque commovet alas.
Sic Mnestheus, sic ipsa fuga secat ultima Pristis
Æquora; sic illam fert impetus ipse volantem.
Et primum in scopulo luctantem deserit alto

Mnesthée; et ce n'est plus pour vaincre que je combats... si toutefois..... mais non, qu'ils l'emportent, puissant dieu des mers, ceux à qui tu as donné la victoire! seulement, évitons la honte de revenir les derniers! Amis, fuyons cet opprobre; et que ce soit là notre triomphe. » Il dit, et tous ensemble les matelots se courbent sur les rames. Sous leurs vastes efforts le navire tremble, l'onde en grondant s'enfuit; leur souffle haletant bat leurs flancs qui palpitent, et la sueur ruisselle de leurs corps. Le hasard leur donne l'avantage désiré; tandis que, emporté par son ardeur, Sergeste dirige sa proue trop près du rocher, et veut le tourner dans l'étroit intervalle qui l'en sépare; malheureux! il s'engage dans les écueils cachés : le roc est ébranlé; les rames qui le heurtent volent en éclats, et la poupe brisée y demeure suspendue. Les nautonniers se lèvent, jettent de grands cris et s'arrêtent. Bientôt, ils saisissent des pieux armés de fer, de longs avirons aux pointes aigues, et recueillent les débris flottans de leurs rames.

ALORS Mnesthée, que la joie excite, et qui sent redoublr son arde ur, secondé par ses rameurs agiles et par la faveur des vents qu'il a invoqués, tourne le rocher, et vogue rapidement sur la plaine azurée. Telle qu'une colombe, saisie d'une frayeur soudaine dans le creux d'un roc, sa demeure solitaire, où est sa tendre couvée, ébranle son nid du battement de ses ailes, s'envole avec bruit, et bientôt, portée mollement dans un air tranquille, fend rapide les champs de l'éther sans paraître agiter ses ailes : tel, emporté par son essor, le vaisseau de Mnesthée vole sur les dernières eaux qui conduisent au rivage. Il a laissé derrière lui Sergeste luttant contre les écueils et les sables où il est arrêté, implorant en vain du secours, et cher

Sergestum, brevibusque vadis, frustraque vocantem
Auxilia, et fractis discentem currere remis.
Inde Gyan, ipsamque ingenti mole Chimæram
Consequitur; cedit, quoniam spoliata magistro est.
Solus jamque ipso superest in fine Cloanthus,
Quem petit, et summis adnixus viribus urget.
Tum vero ingeminat clamor, cunctique sequentem
Instigant studiis, resonatque fragoribus æther.

Hi, proprium decus et partum, indignantur, honorem
Ni teneant, vitamque volunt pro laude pacisci.
Hos successus alit; possunt, quia posse videntur.
Et fors æquatis cepissent præmia rostris,
Ni palmas ponto tendens utrasque Cloanthus
Fudissetque preces, divosque in vota vocasset:
<«<Di, quibus imperium est pelagi, quorum æquora curro,
Vobis lætus ego hoc candentem in litore taurum
Constituam ante aras, voti reus, extaque salsos
Porriciam in fluctus, et vina liquentia fundam.»
Dixit, eumque imis sub fluctibus audiit omnis
Nereidum Phorcique chorus, Panopeaque virgo;
Et pater ipse manu magna Portunus euntem
Impulit. Illa Noto citius volucrique sagitta
Ad terram fugit, et portu se condidit alto.
TUM satus Anchisa, cunctis ex more vocatis,
Victorem magna præconis voce Cloanthum
Declarat, viridique advelat tempora lauro;

chant à se dégager avec les débris de ses rames. Enfin, Mnesthée atteint Gyas et l'énorme Chimère, qui, privée de son pilote, est bientôt devancée. Cloanthe reste seul à vaincre, et déjà il touche au terme de la carrière. Mnesthée redouble ses efforts; il le suit, il le presse: de grandes clameurs l'excitent; pour lui sont tous les vœux, et de grands bruits remplissent les airs.

LES uns, fiers de l'avantage qu'ils ont obtenu, s'indignent de se voir disputer la palme, et veulent en remporter la gloire au péril de leur vie; le succès des autres nourrit leur audace : ils peuvent vaincre, parce qu'ils croient le pouvoir; et peut-être un même honneur attendait les deux rivaux, si Cloanthe, étendant ses deux bras vers les ondes, n'eût, en adressant aux dieux cette prière, appelé leur faveur sur ses vœux : <«< Divinités à qui appartient l'empire des eaux sur lesquelles je cours, si vous me donnez la victoire, j'immolerai un taureau blanc, sur ce rivage, au pied de vos autels; je jetterai dans les flots amers les entrailles de la victime, et j'y joindrai des libations de vin. » Il dit, et, du fond des mers, tout le chœur des Néréides, les filles de Phorcus et la chaste Panopée ont entendu sa voix. Palémon lui-même pousse de sa puissante main le vaisseau, qui, plus vite que le vent, que la flèche légère, vole dans le port, et touche le rivage.

ALORS, selon la coutume, le fils d'Anchise, ayant appelé tous les combattans, proclame, par la voix du héraut, Cloanthe vainqueur, et voile son front d'une cou

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