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volonté. Mais cette volonté n'est pas la seule ; il en a une autre qui n'est pas moins inébranlable, c'est celle de tout sujet fidèle, honoré de la confiance de son Roi, de ne rien faire qui porte atteinte aux prérogatives royales, en sorte que sa probité fait ici la guerre à sa probité. C'est là un des effets de cette loi. Estelle bonne ? est-elle durable? est-elle même exécutable? Jamais, je pense, la négative ne dut être mieux accueillie et ne dut l'être plus promptement.

Il se présente ici une question d'un haut intérêt; c'est celle-ci : Le Roi peut-il, par une ordonnance, renoncer à l'une des plus essentielles et même à la moindre de ses prérogatives, et le ministre qui contre-signeroit une telle ordonnance ne compromettroit-il pas sa responsabilité, bien plus positivement qu'en n'exécutant pas une loi qui, de sa nature, est inexécutable? Cette question se rencontre dans mon sujet, mais elle ne lui appartient pas, et je m'abstiendrai de la traiter, mais j'ai dû l'indiquer. Il s'en présente une autre qui a bien aussi son importance: le Roi, depuis la Charte, peut-il, par une ordonnance, ajouter aux dispositions d'une loi générale? Il ne me paroît pas bien démontré que le Roi ait conservé l'interprétation des lois; mais il seroit, je crois, facile de prouver qu'un ministre seroit essentiellement compromis s'il contre-signoit une ordonnance qui ajouteroit des dispositions

celles contenues dans une loi promulguée. Si une ordonnance peut dire plus, ou peut dire moins que la loi, la loi est inutile. Sous ce point de vue, l'ordonnance qui assimilera, ou qui assimileroit la maison militaire du Roi, pour le recrutement et l'avancement, à la ligne, diroit plus que la loi du 10 mars, puisqu'elle a gardé un respectueux silence à cet égard. Comme il y a réponse à tout, on pourroit me dire que le Roi peut bien régler le recrutement de ses gardes-ducorps, et fixer le mode de leur avancement comme il lui plaît, et il peut plaire à Sa Majesté que les dispositions du réglement qu'elle fera soient en harmonie avec la loi.

Je réplique que si ce réglement étoit antérieur à la loi, on lui reconnoîtroit ce caractère de propre mouvement que toute ordonnance royale doit essentiellement avoir; mais ne pouvant être rend que plusieurs mois après la loi, il auroit à mes yeux le grave inconvénient d'être, ou du moins de paroître une conséquence obligée de la loi. Que le Roi règne sur ses sujets par la loi, rien de plus digne et du Monarque et des Français; mais dans ce qui n'est pas du domaine de la loi, il ne faut pas que la volonté souveraine puisse le moins du monde être, ou seulement avoir l'air d'être contrainte. Cela est plus essentiel à observer dans une monarchie tempérée par le système représentatif; car le Souverain y est

obligé de retenir d'une main plus ferme toutes ses prérogatives.

que

Je reviens à l'état des choses. Si, par une ordonnance, le Roi aplanit les difficultés l'exécution présente, ce sera déjà un mal que le ministre qui l'aura contre-signée soit compromis dans sa responsabilité, par les deux considérations présentées; elles sont dignes de fixer l'attention des Chambres; mais le plus grand sera que le Roi ait moins de droits sur sa maison militaire, qu'un ministre ou qu'un directeur-général n'en a dans ses bureaux. Ils peuvent les composer à leur gré, accorder l'avancement à leurs divers commis, non suivant leur ancienneté, mais suivant les preuves de zèle, de capacité et de dévouement qu'ils auront données, suivant même le degré d'affection personnelle que le ministre, pour ne pas descendre jusqu'au sous-préfet, accorde à ses divers employés. Le plus grand mal enfin, c'est que cette ordonnance seroit non seulement contraire à la prérogative royale, mais à la sûreté de la personne du Roi et à la dignité comme à l'honneur de sa couronne.

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Voici un dernier raisonnement qui me paroît sans réplique: Si le Roi, ainsi qu'on m'a assuré que la proposition lui en a été faite, signoit une ordonnance relative à sa maison militaire, dont les dispositions rendissent facile l'exécution de la loi du recrutement, cela même prouveroit que

la loi est inexécutable; cela prouveroit de plus combien elle est mal faite; car Sa Majesté peut, par de très-justes motifs, rapporter son ordonnance; alors et par le fait, le Roi rapporteroit la loi, puisque dès lors elle deviendroit impraticable dans une de ses principales dispositions.

C'est surabondamment que j'ai prouvé qu'une ordonnance ne pouvoit pas corriger le vice essentiel d'une loi; il me suffisoit de démontrer que la loi du recrutement étant inexécutable telle qu'elle est, il faudra la refaire. Je crois cette démonstration complète.

Il m'importe de ne pas laisser croire que j'improuve le mode d'avancement déterminé par cette loi. Non seulement je le reconnois comme bon, mais comme essentiellement juste. L'ancienneté doit avoir un droit de préférence à mérite égal, et il me semble, quelque peu militaire que je sois, que les dispositions de cette loi ont établi une équitable proportion. Mais pour quiconque a de la monarchie, l'idée juste qu'on doit s'en faire, et pour qui sa conservation est un vou sincère, il doit être démontré que les égards pour l'ancienneté et toutes dispositions sur l'avancement, doivent émaner de la justice distributive du Monarque. C'est de lui seul que le soldat, l'officier, le général, doivent tout attendre et tout espérer. Qu'une ordonnance royale contienne des règles d'avancement, c'est au Monarque que l'armée en

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sera redevable; elle n'en sera que plus dévouée; ses sentimens lui appartiendront exclusivement. Si au contraire une force essentiellement obéissante a des droits acquis et indépendans de la volonté royale, sa reconnoissance est partagée entre le Roi et la loi; le soldat devient, jusqu'à l'abus, soldat citoyen. Le nom de citoyen a sans doute été prostitué par les égaremens et les excès révolutionnaires; mais la qualité ne l'est pas; elle convient à toutes les classes de la société, et aux royalistes plus qu'à tous autres, en ce sens que le meilleur citoyen est, dans la monarchie, le sujet le plus soumis et le plus fidèle à son Roi. Si dans l'armée on peut avoir un état indépendant de la volonté du Souverain, le principe monarchique est violé, et incessamment une autre loi voudra encore plus que celle dont il s'agit. Les affections de l'armée n'étant pas homogènes, il sera un peu plus tard facile d'obtenir qu'elle devienne nationale. Le mot nationale a reçu un développement de signification tel que je suis dispensé d'expliquer tout ce qu'on peut entendre par-là.

On ne peut assez répéter que les mauvaises lois sont les causes les plus efficaces des révolutions, et que ceux qui concourent à la formation des lois ne peuvent trop se pénétrer de ce principe, qu'il faut qu'elles soient en rapport direct avec la nature du gouvernement, pour

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