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colléges électoraux (celui de Paris seul fait exception) qui ont été convoqués l'année dernière, chacune des trois plus fortes nuances politiques avoit, ou n'avoit pas la majorité à cinquante voix près; j'en suppose cent pour éviter toute difficulté. Ainsi, un parti qui voudra avoir la majorité la plus infaillible, fera prendre cent patentes de trois cents francs à autant d'affidés, et ils sont par cela seul électeurs. Cent patentes à trois cents francs font trente mille francs. La somme n'est pas énorme quand il s'agit d'un intérêt si majeur; mais elle est bien plus que suffisante, car on trouvera, parmi les affidés, des individus qui paient depuis cinquante jusqu'à deux cent quatre-vingt-dix francs de contributions. La décence publique, autant que l'économie, fera qu'on aura recours à ceux pour lesquels il sera suffisant de prendre la patente du prix le plus modique. Je suppose, que la moyenne proportionnelle soit de cent cinquante francs, alors pour quinze mille francs on s'assurera des élections d'un département, et comme chaque série sortante est composée de dix-sept départemens, il est évident que pour dix-sept fois quinze mille francs on aura un cinquième de la Chambre des Députés nommés précisement à sa dévotion. Remarquez que la loi ne fixe pas d'époque à compter de laquelle il faut payer trois cents francs de contributions directes. Ainsi, en supposant que les

colléges électoraux soient convoqués pour le mois de septembre, il suffira que dans le mois précédent le correspondant, dans chaque dépar. tement, conduise ses affidés devant l'autorité qui délivre les patentes; les voilà électeurs en payant environ cent cinquante francs par tête; les formalités ne sont pas longues, et le directeur des contributions est autorisé à en délivrer à toute époque de l'année, pourvu qu'on paie l'année entière. J'ai vérifié le fait. Si chacune des trois plus fortes nuances politiques emploie la même manœuvre, les élections sont au plus offrant ; l'adjudication reste à celui qui a pris dix patentes, ou même une patente de plus. Les véritables électeurs disparoissent par le fait de la présence des électeurs fictifs, et les premiers cessant véritablement de l'être, n'ont rien de mieux à faire qu'à déserter le collége. Ce vice de la loi est tel, qu'il ne peut pas être corrigé dans l'exécution; car si un préfet refusoit de donner une carte d'électeur, et de porter sur la liste un Français qui lui présente pour trois cents francs de quittance ou même d'avertissement de contributions directes, il abuseroit de son autorité; en voulant empêcher un abus, il seroit coupable de forfaiture. La loi n'ayant pas prévu l'abus, l'autorité locale, ou l'autorité supérieure, ne peuvent le réprimer sans changer les dispositions même de la loi d'où l'abus résulte. D'ailleurs, ce qui, dans le principe, paroîtroit

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un motif excusable, pourroit finir par être un abus aussi grand que celui que je reproche à la loi elle-même; car si le ministère, par l'intermédiaire des préfets, se permettoit, par un motif dégénéré en prétexte, de refuser l'admission sur la liste à tel ou tel Français qui se présenteroit avec les conditions requises par la loi, le ministère alors resteroit le maître des élections, et le système représentatif seroit un peu plus que dérangé; il n'y en auroit plus les députés, au lieu d'être les contradicteurs nés des ministres, ne seroient plus que leurs créatures.

le

Fixer une époque pour la délivrance des patentes, après laquelle on ne sera plus admis à en demander, ce pourroit être un palliatif en ce qui concerne les élections; mais cela seroit contraire aux intérêts du commerce, nuisible à l'industrie française. Cette combinaison, quelque bien qu'elle fût faite, ne pourroit que diminuer l'inconvénient, mais ne détruiroit pas vice radical de la loi, puisqu'en s'y prenant quelques mois plus tôt, le succès de la manœuvre seroit également infaillible; encore ce ne seroit pas en vertu d'un réglement ou d'une instruction du ministre, que cette modification pourroit s'introduire; car la loi sur les patentes contenant à cet égard des dispositions précises, c'est par une loi seulement qu'on pourroit les changer.

Me dire que la loi s'est facilement exécutée

le moyen

l'année dernière, ne seroit pas répondre; car il est également possible que, la première année, d'abuser n'ait pas été aperçu, ou qu'il ne l'ait été que par une seule des trois plus fortes nuances politiques qui, dans ce cas, ne se presseroit pas d'avertir les deux autres. Le mieux étant qu'il n'y ait pas possibilité d'abuser, par les dispositions même de la loi, en démontrant que cette possibilité existe, je crois avoir prouvé que la première en date, comme la plus importante de nos lois fondamentales, est inexécutable, et doit nécessairement être réformée.

Faut-il maintenant examiner les principes d'après lesquels cette loi a été faite, discuter s'ils sont nuisibles ou favorables à la monarchie, en harmonie avec la Charte? Je crois que chacun le peut; mais, pour moi, cela me paroît inutile. De deux choses l'une ou cette loi sera reproduite devant une Chambre des Députés aussi ou plus démocratique que celle qui l'a déjà votée; alors les raisons les meilleures, les principes les plus inviolables, les considérations les plus puissantes, ne produiront pas le plus petit effet, et dans l'hypothèse contraire, que pourrois-je ajouter aux discours éloquens, aux savans écrits qui ont été publiés sur cette matière, et que chacun connoît? Je n'userai du droit que l'impossibilité d'exécuter rend à tous, que pour une seule observation. Il est évident, pour tout homme de bonne foi, que cette loi a toute la

physionomie d'une loi faite en haine d'un parti;

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'elle a tout le caractère d'une loi de circonstance, et c'est précisément ce que ne doit pas avoir une loi fondamentale. L'occasion me seroit favorable pour dire quel est ce parti contre lequel la loi a été si ingénieusement combinée; mais je ne pourrois en parler sans lui rendre de justes hommages, et il me semble que par son inaltérable fidélité, ses nobles sentimens, ses généreux efforts pour la monarchie, qui n'est pas seulement sa cause, mais celle de la France entière, il s'est placé au-dessus des éloges et de la calomnie. Je me borne à former le vœu que son exclusion ne soit pas fatale à ceux même qui l'ont désirée et votée.

Si je considère comme inutile, ou tout au moins comme prématuré d'ouvrir une discussion nouvelle sur cette loi, je ne puis me dispenser de faire apercevoir dans quels embarras une loi inexécutable jette le gouvernement. Si le Roi en propose une nouvelle, plusieurs choses peuvent arriver. Si la Chambre des Députés rejette le projet, dira-t-on qu'il n'y a plus de lois sur les élections, puisque la proposition du Roi d'en faire une autre, et l'évidence que la première loi est inexécutable n'ayant pas été contestée par la Chambre même qui rejette, font que c'est un point de droit politique légalement reconnu? Si on décidoit qu'il n'y a plus de loi sur les élections, par cette seule considération

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