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suffit pour assurer l'impunité des chefs. Si la masse, presque toujours impassible, vient à se mouvoir contre eux, ou si la politique étrangère exerce une trop grande influence, ils se font encore payer fort cher une transaction qu'on désire toujours pour éviter l'effusion du sang; ils sacrifient quelques faux complices qui n'étoient que des êtres exaltés, et nullement dans le secret, et ils jouissent, eux, avec impunité, de leur félonie. Si la transaction n'a pas lieu, ils exercent une autorité sans bornes. C'est alors le despotisme de plusieurs qui commence : il aboutit toujours au despotisme d'un seul. Sans doute ce n'est que par prévoyance que j'ai établi ces hypothèses; mais sommes-nous tellement désenchantés de tout changement, de. toute révolution, qu'elles soient véritablement chimériques? Quand faudra-t-il être prévoyant, si ce n'est quand il s'agit de faire des lois, qui, selon qu'elles seront faites, rendent ces événemens possibles, et qui, quand ils sont possibles, par cela même deviennent probables? Ne serait-ce pas une témérité que de ne pas les prévoir? Or, il n'y a d'autre moyen de les prévoir, d'autre moyen de les prévenir que par les lois mêmes qui sont à faire, et en leur donnant des dispositions telles qu'elles deviennent la plus forte garantie de la monarchie.

Je n'ai pas l'intention d'aller au devant de toutes les objections qu'on peut me faire, mais

de celles seulement qui me paroissent pouvoir raisonnablement être présentées telles que celles que j'ai déjà produites, et encore celle-ci : « La liberté politique n'a plus de garantie si la Chambre des Députés est aussi aristocratique que celle des Pairs; les intérêts du peuple n'auront plus de défenseurs. » Je réponds que par cela seul que la monarchie est tempérée par deux pouvoirs intermédiaires entre le Roi et le peuple, la liberté politique, telle que la Charte nous l'a donnée est garantie, est on ne peut avoir des craintes fondées sur sa conservation, surtout quand le Roi ne fait pas seul la loi, qu'il faut le concours des deux Chambres pour en rendre ou en rapporter une, et que la discussion en est faite publiquement. Il est impossible, d'ailleurs, d'écarter absolument la démocratie de la Chambre des Députés : elle s'y introduira nécessairement, mais à si petite dose, que ce ne sera plus qu'un stimulant nécessaire, et non comme substance principale et corrosive. Mais l'intensité de ses forces étant aristocratique, c'est-à-dire que cette Chambre étant composée des plus riches propriétaires, des hommes les plus distingués par le rang qu'ils occupent dans l'Etat et dans la société, cette Chambre sera beaucoup plus incorruptible; elle veillera pour conserver la monarchie, et s'opposera également à ce qu'on porte atteinte à la liberté publique. Salluste dit quelque part: Ita, in maxima fortuna, mi

nima licentia est. C'est par ce seul moyen que nous aurons la véritable liberté dont nous sommes tous jaloux. Mais la liberté politique que nous ne pourrions pas supporter est celle que voudroit nous donner une Chambre plus démocratique que n'est la Chambre des Communes en Angleterre. Si chacun avoue que les intérêts du peuple trouvent des défenseurs, et que la liberté politique est suffisamment protégée par le Parlement anglais, vouloir plus, c'est se vouer à l'instabilité; reconnoître e que c'est assez, c'est convenir, ce que j'ai voulu prouver, qu'on peut modifier le système représentatif comme tous les autres systèmes de gouvernement, et qu'il doit l'être pour la France, selon les mœurs, la religion et le caractère de ses habitans, et que toutes ces choses réunies s'opposent à ce que la démocratie prédomine dans aucune de nos institutions, dans aucune de nos lois fondamentales.

Je voudrois pouvoir passer sur-le-champ à cette question que j'élève, et qui pourra paroître un peu téméraire : « Les deux Chambres ontelles le droit de voter les lois fondamentales? Mais la discussion en sera plus facile après l'examen des deux lois fondamentales déjà faites, et quand j'aurai présenté, dans un court chapitre, quelques réflexions sur les majorités et les minorités politiques.

CHAPITRE VII

Des Majorités et des Minorités politiques.

Il n'y a pas eu, et je suis convaincu qu'il n'y aura jamais, dans quelque pays que ce soit, d'assemblée délibérante qui, au bout de quinze jours ou de trois semaines au plus de délibérations non interrompues, ne voie se former dans son sein une majorité et une minorité dans le sens où la pratique doit nous faire entendre ces deux mots; c'est-à-dire que l'une et l'autre seront, quelque divers que soient les sujets des délibérations, constamment et identiquement composées des mêmes individus. Le pourquoi n'est pas de mon sujet. Qu'on n'objecte pas quelques minutieuses exceptions qui, comme toutes les exceptions, prouvent la règle générale.

Il n'y a pas de minorité qui n'ait la prétention et presque toujours la chance de devenir, dans un temps donné, la majorité.

Quand le droit politique est complet, que les institutions sont toutes formées, les garanties sont si multipliées et si fortes, que tous les

partis, par cela même, sont bientôt anéantis, parce qu ils sont annihilés; alors il importe assez peu de quel côté passe la majorité. Son déplacement est un mouvement dans la Chambre même où il s'établit ; mais il n'en résulte aucun inconvénient ni pour le chef de l'Etat, ni pour la forme de gouvernement pour lesquels les minorités professent et prouvent autant de zèle et de dévouement que les majorités, et celle-ci autant que les minorités; car les petites comme les grandes ambitions n'ont d'autre but que d'occuper de grandes ou de moyennes places dans les diverses institutions. Le chef de l'Etat peut changer de ministres, et le ministère de coopérateurs; mais l'ordre général n'en est jamais troublé.

Il n'en est pas du tout ainsi dans un Etat dont le droit politique n'est pas complet, et qui manque de ses principales institutions. Si c'est une république qui va se former, il faut que les minorités soient aussi essentiellement, par goût et par affection, républicaines que les majorités. Si c'est une monarchie, c'est bien autrement indispensable, car dans la monarchie on peut distinguer deux choses, le monarque et la monarchie. S'il arrivoit que soit la majorité, soit la minorité, ne voulussent que l'un des deux, ou que l'une des deux ne voulût ni l'un ni l'autre, le danger est immense; en voici la

raison :

Dans la situation où se trouve un Etat dont

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