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lui ont fait cette question si simple: Où allonsnous? Il n'a jamais répondu. Ceux qui par zèle ouvroient la marche aux diverses époques, n'en disoient, et surtout n'en savoient pas davantage. Ainsi les coryphées de l'assemblée constituante ne savoient pas, en 89, qu'ils arriveroient avec nous en 93; ainsi ceux qui changeoient cinq directeurs contre trois consuls, ne se doutoient pas que ces trois consuls disparoîtroient en un clin d'oeil, et que Buonaparte seroit d'abord empereur de la république, puis empereur sans chose publique, c'est-à dire despote et maître absolu des personnes et des choses. Comme il ne m'est pas prouvé que les coryphées d'aujourd'hui en sachent plus, et voient plus loin que ceux qui les ont précédés, qu'il seroit très-possible que, sans le savoir, ils nous menassent, la Charte d'une main, et leur théorie de l'autre, droit à la république, je crois qu'il ne faut pas les croire sur parole. Enfin je maintiens qu'il est imprudent de faire des expériences, surtout quand elles sont reconnues imprudentes par l'examen réfléchi et par la comparaison spéculative de ce qui peut arriver, avec ce qui est arrivé déjà. Voilà la bonne manière d'apprécier les théories; mais voilà aussi ce dont on ne veut pas.

Je maintiens enfin que toutes les fois que nous dévierons des principes monarchiques respectés par la Charte, nous nous appro

cherons d'une autre forme de gouvernement, et que la transmutation peut s'opérer d'un instant à l'autre. C'est donc, et voilà où je voulois arriver, une considération très-grande pour ne pas faire les lois fondamentales, qui sont les corollaires d'une Charte, de telle façon que ces lois puissent également convenir à une autre Charte. Cette assertion, que je pourrois aussi appeler un principe, je la présente avec pleine confiance aux hommes raisonnables de tous les partis; car je suppose que celui-là seul peut être considéré comme raisonnable, qui veut de l'accord dans toutes les lois qui constituent le droit politique, quelle que soit d'ailleurs l'espèce de gouvernement que cet homme désire; car il n'est pas déraisonnable de préférer une forme de gouvernement à une autre. On croit toujours que celle qu'on préfère est celle qui convient le mieux au pays qu'on habite; mais ce gouvernement, on souhaite que les bases en soient aussi stables, aussi solides qu'il est possible de les établir. S'il s'agissoit donc des lois fondamentales et corollaires d'une Charte républicaine, je dirois franchement à un républicain : Il ne faut pas que ces lois soient telles qu'elles puissent convenir à une monarchie; ce doit être l'objet de votre appréhension la plus grande, et de toute votre sollicitude; car, lui ajouterai-je, la monarchie est à votre porte; elle arrivera d'au

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vous,

tant plus vite, que les lois l'appelleront; elle s'établira d'autant plus aisément qu'il n'y aura que votre Charte à déchirer, si les lois fondamentales lui conviennent. Par cela même qu'il est nécessaire de vous donner cet avis, vous êtes déjà dans une fausse voie. Vous croyez, mon cher citoyen, que vous travaillez pour et votre erreur est grande : c'est pour messieurs les royalistes que vos propres lois sont disposées, pensées et rédigées. Hé bien, toutes choses sont égales entre le royaliste et le républicain; il n'y a pas d'autre langage à tenir au premier qu'au second. La république est à la porte du royaliste, comme la monarchie à celle du républicain; elles s'introduiront et finiront par s'établir, ou par être éconduites, selon que les lois fondamentales leur donneront ou fermeront tout accès. Or, je le demande, pourroit-on imaginer une loi plus convenable à une république que celle que nous avons sur les élections? Jamais la république romaine ni la république française n'en ont eu d'aussi démocratique. Je maintiens que si un gouvernement républicain la changeoit, c'est qu'il la trouveroit trop démocratique, et par cela même subversive de toute espèce de gouvernement. Maintenant, quand la Chambre des Députés est essentiellement démocratique, c'est une conséquence nécessaire, inévitable, quoique on fasse, que toutes les lois à faire

et toutes les institutions à créer soient imprégnées du même vice, ou, si l'on veut, du même principe. Alors, et quand toutes nos lois fondamentales seront faites, nous serons prévenus qu'elles peuvent toutes et chacune, et dans leur ensemble, convenir à un gouvernement républicain. Voilà, j'en conviens, les véritables progrès des lumières, que de donner pour bases à la monarchie, pour moyens, d'agir et de faire agir précisément les forces vitales nécessaires à la république. Malgré moi il faut, non lui rendre hommage, mais le signaler et le constater, ce prodigieux effet du progrès des lumières. Oui, nous sommes menacés de voir nos lois appeler la république, et la rendre si facile à proclamer, que ce soit l'affaire d'un moment. Que direzvous le lendemain ou le jour même où la Chambre démocratique voudra en effet proclamer la république ? Les institutions, étant démocratiques comme elle, lui obéiront aussitôt; vous serez dans un isolement d'autant plus grand qu'il n'y aura que des individus qui vous soutiendront; quelque grand que soit leur dévouement, il est impuissant contre des institutions. Leur zèle, leurs efforts les plus généreux, précipiteront votre perte et la leur d'autant plus sûrement que les lois fondamentales convenant à la république, en substituant sa Charte à la Charte qui a inutilement

voulu la monarchie, tout est, tout se trouve organisé. Si on suppose, ce qui n'est que trop probable et trop facile, que la Charte républicaine ait été imprimée la veille de la proclamation, toute se trouve consommé le même jour le trône, la famille régnante, et leurs amis les plus dévoués, tout disparoît par un décret de quelques lignes.

Voilà précisément où nous entraîne la marche du siècle, où nous mène le progrès des lumières; ce n'est plus de faire des conspirations à force ouverte, qu'on peut découvrir et déjouer, ou qu'on peut réduire en opposant la force à la force; cette manière de conspirer, on ne l'emploie plus que comme auxiliaire. Pour tenir en haleine, pour jeter de l'incertitude dans les esprits sur la stabilité, pour nous tenir façonnés aux crises et aux convulsions, on y met en avant les subalternes, les niais, les dupes du parti, les Plaignier de Paris, les Plaignier de Grenoble, les Plaignier de Lyon, et quelques autres misérables Plaignier encore, qu'on nous ménage suivant le besoin ou l'occasion. Mais les progrès des lumières ont appris à tenir les chefs en réserve, et surtout à conspirer par les lois; c'est-à dire, à exercer une telle influence sur l'esprit de ceux qui participent à leur confection, que les changemens désirés soient faciles à réaliser c'est alors un jeu sûr. Le succès d'un moment

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