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supposant que nous ayons un gouvernement représentatif, parce qu'alors le gouvernement seroit dans la représentation. Alors aussi la puissance législative et exécutrice étant confiée à un nombre déterminé de représentans, ceux-ci deviennent la partie aristocratique de ce gouvernement : et comme les excès du pouvoir gouvernant sont beaucoup plus à redouter de la part de plusieurs que de la part d'un seul, que la puissance divisée entre plusieurs produit cet effet, que les abus se multiplient en raison du nombre de ceux qui peuvent en profiter, alors il devient nécessaire d'opposer à l'aristocratie gouvernante une autorité démocratique qui empêche, surveille et réprime. Sa contradiction établit la balance, forme et maintient l'équilibre; ce gouvernement qui ne peut convenir qu'à certains peuples, et à un Etat dont le territoire est peu étendu, n'est pas le gouvernement que nous promet la Charte, c'est la monarchie qu'elle constitue; si sous le prétexte d'établir une balance de pouvoirs, vous introduisez la démocratie qui est un opposé de la monarchie, qui est un élément d'une autre forme de gouvernement, qui est de sa nature incompatible avec la monarchie, alors vous détruisez par des lois la première de toutes les lois, c'est la Charte; car ce n'est plus un système représentatif, compatible avec la monarchie, comme l'a pensé la Charte, mais c'est la république que vous voulez amalgamer avec la

monarchie; c'est-à-dire que par votre théorie vous voulez arriver à un résultat impossible. On ne peut le nier, l'aristocratie et la démocratie, opposées l'une à l'autre, constituent la république; si vous ajoutez un monarque, c'est qu'apparemment le nom plus que la chose vous est nécessaire pour produire une certaine illusion et fasciner les yeux de la multitude; car eussiez-vous la volonté actuelle de conserver et lé monarque et les formes monarchiques, le principe démocratique étant de sa nature destructeur, et incessamment agissant, entraînera nécessairement la chute d'un trône qui reposeroit sur des fondemens républicains, anéantiroit un gouvernement qu'on ne sauroit dénommer bien précisément; car étant monarchique et républicain, il ne seroit ni l'un ni l'autre ; il scroit tout l'un ou tout l'autre, mais ne peut être l'un et l'autre à la fois.

On ne manquera pas de dire, ou plutôt de répéter, que c'est l'existence simultanée du pouvoir monarchique, du pouvoir aristocratique et du pouvoir démocratique, qui constitue le seul gouvernement qui puisse assurer la liberté politique, parce que ces trois pouvoirs contiennent ou représentent tous les intérêts, balancent dans une telle proportion, que l'équilibre ne peut jamais se perdre; que si la Chambre démocratique excédoit, la Chambre aristocratique s'opposeroit, et que le Roi refu

seroit ou dissoudroit même, si cela devenoit nécessaire. Théorie admirable! bien plus séduisante que ce que nous présentoit l'Assemblée constituante en 89; théorie cependant connue dès ce temps-là, et que nous ne devons pas précisément aux progrès de lumières depuis cette époque mais théorie vaine et illusoire! et si vous faites vos lois fondamentales en conséquence de cette théorie, vous verrez qu'elle disparoîtra dans la pratique. Sans doute, la Chambre aristocratique aura la volonté de prêter son appui au Roi, ainsi que nous l'avons vu en 'Angleterre sous Charles Ier; mais cette volonté ira s'affoiblissant à mesure que l'ascendant de la Chambre démocratique ira croissant; car dès lors l'intérêt des individus qui composent la première Chambre n'est pas ou n'est plus précisément le même; la seule chance d'un changement fait que chacun pense à soi; plusieurs peuvent avoir, ou par inclination ou par spéculation des intelligences de l'autre côté ; la contradiction de quelques uns sera plus vive, plus violente, produira de plus beaux effets oratoires, la résistance de l'ensemble sera plus molle, et chaque jour moins nombreuse. Quelques petites mauvaises lois, peu signifiantes en apparence, seront votées par les pairs comme par les députés. Les ministres, c'est ici le cas de rappeler avec Montesquieu, que le système représentatif oblige souvent le chef de l'état à

appeler au ministère les hommes qui lui conviennent le moins, quelquefois même ses ennemis, et d'en écarter ses amis; les ministres, fussent-ils les mêmes qu'aujourd'hui, seront plus timides, car le corps des lois politiques étant complet, celle sur la responsabilité en pleine vigueur, la Chambre accusatrice leur imposera davantage. Et quelle puissance sera et fut jamais plus imposante et plus redoutable que celle d'une Chambre bien démocratique, qui sait par tant de moyens se procurer la faveur publique? La foiblesse obligée du conseil des ministres diminuera la force du monarque; sa prérogative de dissoudre est devenue nulle, ou plutôt l'exercice de cette prérogative est plus dangereux qu'il ne peut être utile, si la loi fondamentale sur les élections est telle que les mêmes orateurs, ou d'autres plus violens, doivent nécessairement obtenir les suffrages des électeurs. Voyez alors ce que devient cette admirable proportion entre les trois pouvoirs ; les deux premiers sont à la discrétion du troisième. Par cela seul qu'il est possible que ce que je viens de présenter, se réalise; par cela seul qu'il est probable que la démocratie chez un peuple léger, subjuguera tous les esprits, sans même corrompre les cœurs, sans même que pour cela les Français deviennent ou puissent devenir démocrates, vous devez vous défier de cette prétendue balance des pouvoirs, de cette théorie,

qui, quoique vieille, antique même, n'est exacte que sur le papier, et ne se retrouve nulle part, jusqu'à présent du moins, dans l'exécution. Comme on ne peut pas donner pour exemple l'Angleterre, je ne sais plus chez quel autre peuple on pourroit dire que cette théorie a reçu son application, mais on n'en exigera pas moins impérieusement et de ce ton de conviction si rassurant pour quelques uns, mais qui ne l'est pas du tout pour moi, qu'après toutes les expériences si calamiteuses auxquelles nous avons été condamnés depuis trente ans, nous fassions encore celle-ci, car c'est une fort belle expérience. Vous ne serez pas entendu si vous objectez que les élémens qu'on veut combiner sont prodigieusement inflammables, et qu'avant même que l'expérience soit finie, il peut se faire une explosion fatale, même à ceux qui dirigeront l'opération; ils vous répondront que la marche du siècle et les progrès des lumières exigent également que cette sublime théorie soit dans toute sa pureté mise en pratique. Périsse la mère patrie! mais sauvons les théories..

Comme les grands mots et les belles phrases me touchent peu, je vais présenter encore une considération assez puissante; je ne sais si elle est opposée à quelque théorie, si elle contrarie la marche du siècle. Depuis cinquante ans et plus, je m'honore sans doute, de marcher avec le siècle. Souvent mes compagnons de voyage

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