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nables, plus appropriées aux peuples pour lesquels on les conçoit.

Que si on me répondoit qu'il faut absolument écarter toute distinction, car la démocratie est partie essentielle du système représentatif, il me seroit permis de répliquer que c'est là ce qui est en question. En bonne règle, on ne peut pas décider la question par la question même. Tous les gouvernemens, quelles que soient leur dénomination et leur nature, ont été modifiés de mille manières différentes. Les républiques d'Athènes, de Lacédémone, de Rome et de Carthage, ne se ressembloient pas entre elles, et chacune d'elles avoit le gouvernement qui lui convenoit le mieux. Elles furent toutes florissantes tant qu'elles le conservèrent aucune d'elles n'a péri par la guerre, je n'excepte pas Carthage, mais parce que la nature de leur gou. vernement a été corrompue. Les diverses républiques des temps modernes ne se ressembloient pas davantage : celles de l'Italie se rencontroient sur un seul point; c'est qu'elles étoient toutes horriblement tyranniques pour les peuples. La monarchie, dans les temps anciens, étoit aussi fort diversement modifiée, et Aristote en définit cinq espèces différentes. Dans les temps modernes, elles l'ont été également. Toutes les monarchies d'Europe étoient tempérées, aucune ne se ressembloit: celle de France et celle d'Espagne étoient tempérées par les mêmes puis

sances intermédiaires, le clergé et la noblesse; il en résultoit cependant deux gouvernemens monarchiques bien dissemblables. Le système représentatif peut, et j'ajoute, doit être modifié comme tous les autres; sans cela notre Charte et nos lois fondamentales pourroient convenir à toute l'Europe. Pourquoi pas même à toute la terre? déjà les faits le prouvent; car la Charte anglaise, et l'ensemble du droit politique des Anglais, non seulement ne ressemble pas à la nôtre, mais est regardée par quelques uns comme n'étant pas assez démocratique pour les Français, et par quelques autres comme l'étant trop. La Charte de la Bavière diffère beaucoup des deux premières; chacune de celles qui paroîtront en différeront aussi, et différeront nécessairement entre elles. Cela pourroit suffire pour démontrer qu'il reste une grande question à décider, et qu'elle est entière.

Ce n'est pas seulement par les raisons que je viens de donner, qu'on peut décider que le système représentatif peut être plus ou moins modifié, c'est-à-dire être plus ou moins démocratique, ou même ne l'être point du tout; d'autres raisons se présentent la Charte dit seulement que la puissance législative s'exerce collectivement par le Roi et les deux Chambres; et par aucune de ses dispositions, elle n'indique ni n'introduit ce principe démocratique. L'analyse si admirablement faite dans l'esprit des

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lois de la constitution anglaise, quoiqu'elle soit soutenue des raisonnemens de l'auteur, ne contient pas un mot d'où on puisse conclure que la chambre des communes doive être nécessairement démocratique; et comment Montesquieu auroit-il établi ce principe, quand dans cette constitution, à laquelle il donne évidemment la préférence sur tous les gouvernemens modernes, la chambre basse étoit, comme elle l'est encore aujourd'hui, composée dans sa presque totalité, des hommes les plus distingués par leur naissance, leurs richesses, leur rang dans la société? Ce qui est et sera une des causes les plus efficaces de sa stabilité et de sa durée. Si c'eût été un inconvénient, Montesquieu l'eût signalé comme il a fait tous ceux qu'il a rencontrés en parlant des autres gouvernemens,

Dès que la Charte et Montesquieu nous autorisent à nous défier de ces théories si absolues, qu'elles n'admettent pas la moindre exception, voyons ce que doit être pour la France le système représentatif. Il faut qu'il soit approprié au caractère de ses habitans. Chacun peut faire ce portrait à peu près à sa guise, et employer les couleurs, donner les nuances qui convienuent le mieux à l'opinion qu'il professe; mais il se trouve fait dans l'Esprit des Lois, et on verra que les Français sont aujourd'hui ce qu'ils étoient alors. Montesquieu intitule ce chapitre ainsi :

« Combien il faut être attentif à ne point » changer l'esprit général d'une nation. »

« S'il y avoit dans le monde une nation qui » eût une humeur sociable, une ouverture de » cœur, une joie dans la vie, un goût, une fa» cilité à communiquer ses pensées, qui fût » vive, agréable, enjouée, quelquefois impru>> dente, souvent indiscrète, et qui eût avec » cela du courage, de la générosité, de la fran>> chise, un certain point d'honneur, il ne fau› droit point chercher à gêner par des lois ses » manières pour ne point gêner ses vertus. Si, » en général, le caractère est bon, qu'importe » de quelques défauts qui s'y trouvent.

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» C'est au législateur à suivre l'esprit de la > nation, lorsqu'il n'est pas contraire aux principes du gouvernement; car nous ne faisons » rien de mieux que ce que nous faisons libre→ment en suivant notre génie naturel.

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Qu'on donne un esprit de pédanterie à une » nation naturellement gaie, l'Etat n'y gagnera » rien ni pour le dedans, ni pour le dehors. >> Laissez-lui faire les choses frivoles sérieuse» ment, et gaiement les choses sérieuses. »

Certes, tous nos législateurs, avant le retour du Roi, avoient complétement oublié ou méconnu le caractère français, car aucune de leurs lois n'étoit en rapport avec nos mœurs et notre caractère; ceux qui doivent compléter notre droit politique, doivent profiter de l'avis de Montesquieu, et alors le principe démocratique ne prédominera dans aucune de nos

lois fondamentales, dans aucune de nos institutions, sous peine de nous donner un esprit de pédanterie qui n'est pas le nôtre; et si nous le prenions, nous sommes avertis que l'Etat n'y gagneroit rien ni au dedans ni au dehors.

L'autorité de Montesquieu doit être, je l'espère, du moins, de quelque poids aux yeux de ceux qui auront à juger la question. Par combien de sages réflexions ce grand publiciste n'auroit-il pas soutenu ce qu'on voit qu'il a si positivement avancé, s'il eût été témoin de tous les maux que la seule démocratie, et non la licence, comme on le répète, nous a causés ; s'il avoit vu, comme les faits l'ont prouvé, qu'elle a renversé toutes les autorités avec lesquelles elle se trouvoit en contact, qu'elle n'en a conservé aucune, et qu'elle a été, non pas convertie, mais vaincue par le despotisme seul, et que dès qu'il a disparu de la France, elle s'est réveillée, et reprend ou veut reprendre insensiblement tous ses avantages. Si elle les obtient quelque part, elle les reprendra partout, et la même cause ramènera infailliblement les mêmes effèts; c'est-à-dire que la démocratie nous menace également de la république et du despotisme, car l'un est la conséquence nécessaire de l'autre.

La véritable, la seule théorie, à l'aide de laquelle on peut, plus raisonnablement, prétendre que la démocratie est indispensable, c'est en

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