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Charles Ier et Louis XVI se perdirent, et perdirent la monarchic avec eux, par des concessions. La plus grande et la plus périlleuse de toutes, seroit de laisser faire de mauvaises lois, Car aujourd'hui, plus qu'à aucune autre époque de la civilisation, c'est par des lois bien appropriées au caractère, aux mœurs, à la religion de ceux pour qui elles sont faites, qu'on peut parvenir à gouverner facilement les peuples et à contenir ceux qui soupirent après des changemens: Montesquieu pensoit cela : c'est encore, qu'il y ait ou non, depuis lui, progrès dans les lumières, la seule marche à suivre; la seule qui puisse nous conserver la monarchie, qui est aussi le seul gouvernement qui convienne à la France, à cause de son climat et de l'étendue de son territoire, aux Français à cause de leur religion, de leur caractère et de leurs mœurs.

BODE

CHAPITRE VI,

Les lois fondamentales doivent-elles, en France, être plus démocratiques qu'aristocratiques.

CETTE question est la plus intéressante qu'on puisse traiter, alors qu'on est toujours, comme nous, depuis trente ans, à la veille d'avoir un corps de droit politique complet.

Selon que cette question sera décidée, la France sera constituée en république (la Charte ne s'y oppose pas), en ne conservant de la monarchie que le nom, sans en avoir les avantages, dont le plus grand est la stabilité; ou bien la monarchie, dans sa véritable essence, sera consérvée (c'est l'esprit de la Charte, et la volonté du Roi qui nous l'a donnée), la modification qu'elle recevra par le partage de la puissance législative entre le Roi et les deux Chambres, ne portera aucune atteinte aux attributions comme aux prérogatives de la royauté, et nous aurons la plus grande latitude de durée, pour notre gouvernement, qui puisse être accordée aux établissemens humains.

La controverse est ouverte sur cette question depuis long-temps, et le sera long-temps encore;

mais elle peut devenir oiseuse pour nous, si les lois fondamentales sont toutes en rapport direct avec les choses pour lesquelles elles sont faites. Elles seront alors infailliblement en harmonie entre elles et en harmonie avec la Charte, telle qu'elle a été conçue; enfin en harmonie avec la monarchie, telle que la Charte a voulu nous la donner. Ces lois alors, et ce point est bien essentiel, ne seront pas convenables à un gouvernement républicain.

Ce n'est pas une concession généreuse que j'ai faite en commençant, et comme le feroit un homme si sûr du succès qu'il ne craindroit pas de laisser prendre un certain avantage à sou adversaire, afin d'obtenir une victoire plus éclatante. Je voudrois, au contraire, avoir le droit de nier que la Charte puisse être tellement dénaturée par les lois fondamentales, qu'il en résulte que la France soit constituée en république, et ne conserve de la monarchie que le nom. Cette dénégation est pour moi impossible, car je ne sais pas me prévaloir contre l'expérience, ni me faire illusion quand je rencontre des faits positifs. D'ailleurs cet inconvénient de la rédaction de la Charte, qui peut avoir des conséquences si graves, n'étant pas sans remède, il vaut mieux le signaler comme un écueil, afin de l'éviter. C'est plus tard que je discuterai ce point, qu'il falloit seulement fixer avant d'entrer plus avant dans le texte de ce chapitre.

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Le désir de la plus grande perfectibilité possible semble animer tous ceux qui parlent ou écrivent sur la politique. La plupart sont de bonne foi; il faut ranger dans l'exception ceux qui ont mission 'd'égarer les esprits et d'échauffer les têtes; ce

qui est plus aisé qu'on ne croit, car le langage de l'exaltation est plus séduisant que celui de la raison. La ligne de démarcation entre l'exagération et le vrai sens est d'autant plus difficile, non à tracer mais à rendre sensible, que l'homme, égaré est presque toujours exalté, et qu'alors il croit plus vivement qu'il est dans la bonne voie.

Je n'ai pas l'espoir, et encore moins la prétention de ramener ceux qui déjà ont résolu la question autrement que je crois qu'elle doit l'être; mais j'espère éclairer ceux qui n'ont paз encore d'avis arrêté. Je le répète, jamais question plus grave ne fut élevée; elle est encore entière pour la France comme pour l'Europe, et jamais de plus grands intérêts ne furent attachés à sa décision. Je soutiendrai les principes que j'invoquerai, par l'expérience, c'est-à-dire en rapprochant des faits non contestés.

Ce principe que les lois doivent être en rapport direct avec les choses pour lesquelles elles sont faites n'est pas, je crois, contestable; je le tiens pour tel, ne voulant pas jeter au feu l'Esprit des Lois, où il se reproduit presque à chaque page : « Les lois fondamentales doivent être faites pour la France; par conséquent être

en rapport direct avec les choses dont la France se compose, c'est-à-dire son climat, l'étendue et la nature de son territoire, ses habitans, leurs mœurs et leur religion. » Donc, et selon que les lois seront ou ne seront pas en rapport direct avec toutes ces choses, elles seront ou bonnes ou mauvaises, stables ou incessamment périssables.

S'il m'étoit accordé d'invoquer l'autorité des siècles passés, je prouverois trop aisément que la France, son climat, l'étendue de son territoire, la religion, les mœurs et le caractère de ses habitans, se sont très-bien accommodés de la monarchie tempérée, et qu'elle a été florissante de gloire, de prospérité et de puissance sous cette forme de gouvernement; mais je le sais, et je me presse de le dire, l'expérience de mille ans et plus est suspecte, et, ce qui est plus vrai, il est impossible de reconstruire l'ancien édifice; on ne retrouveroit ni les matériaux nécessaires, ni la même proportion, ni peut-être la même distribution. Aussi je ne nie pas qu'il faille un droit politique nouveau; mais comme trente ans de révolution n'ont pu dénaturer le climat, changer la nature ni l'étendue du territoire; comme les expériences multipliées en tout sens pendant ces si longues années de révolution ont, en définitive, prouvé plus que jamais que le carac tère, les mœurs et la religion restoient absolument les mêmes, tant le caractère et les mœurs

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