Page images
PDF
EPUB

rables; que l'instruction, comme l'éducation de la jeunesse, soit dirigé selon l'intérêt du Roi et de l'Etat; que les conseils-généraux de département, d'arrondissement et de commune; que les intérêts de grandes et petites cités soient recréés et établis comme il est utile qu'ils le soient; enfin, que les peines encourues pour abus de la liberté de la presse contiennent les faiseurs de pamphlets dans de justes limites, ce qui arrivera quand la condamnation entraînera avec elle une sorte de déshonneur, et quelquefois d'infamie, ce qui est presque le contraire aujourd'hui, alors il s'élèvera, non dans Paris seulement, mais de toutes les parties de la France, un esprit général; les paroles si timides maintenant, de tant de personnages qui s'abstiennent, deviendront très-positives et très-influentes quand ils auront des intérêts à conserver; leurs voix couvriront alors, et partout, les criailleries, seules entendues quand les lois sont à faire, de ce petit nombre d'agitateurs qui ont tant d'intérêts divers à égarer les esprits, à aliéner les cœurs, et à jeter le gouvernement dans de fausses voies politiques pour arriver plus sûrement à leur but. C'est quand tous ces élémens existeront, qu'on pourra constater ce qu'est l'opinion publique ; qu'on pourra la consulter, parce qu'elle sera vraiment formée : c'est alors que le Roi pourra la bien connoître, ou Montesquieu se trompe. Mais qu'il me soit permis de préférer l'autorité

non suspecte d'un sage publiciste et d'un philosophe, à celle de tant d'écrivains qui, pour être de ce monde, sont plus morts que lui. Ils ne cessent de parler du progrès des lumières, et je me vois forcé d'en dire aussi quelque chose.

Je ne puis contester l'effet d'illusion que produisent ces mots qui se retrouvent à chaque instant dans les discours et dans les diverses productions de nos orateurs ou de nos écrivains d'aujourd'hui. « Le progrès des lumières ! » Mais je serois fort embarrassé de fixer l'époque où ces progrès ont été sensibles. Par progrès on entend faire mieux, obtenir de meilleurs, de plus heureux effets qu'auparavant. On ne peut donc leur attribuer la chute du trône, le règne de la terreur, le vandalisme, tous les désordres en tout genre dont nous avons été ou victimes ou témoins. Ce ne peut être au progrès des lumières que nous sommes redevables du despotisme sous lequel nous avons vécu pendant douze ans. Parmi ceux qui nous assurent le plus positivement que nous avons infiniment plus de lumières qu'autrefois, j'en remarque bienquelques uns qui s'accommodoient à merveille, d'abord de la république, puis du despotisme. Ils furent puissans sous l'un et l'autre de ces gouvernemens si divers, et dans les cent-jours ils se rangèrent, de la meilleure grâce, sous la bannière de Buonaparte. Je suis bien persuadé qu'ils ont renoncé aujourd'hui aux principes de

tes deux gouvernemens; mais alors elle est bien récente, la date du progrès des lumières, puisqu'ils n'ont empêché ni ceux qui en parlent le plus, ni ceux qui n'en parlent pas, ni les individus, ni la masse, de se jeter dans d'aussi mauvaises voies. Qu'on ne dise pas que ce sont les passions qui seules furent cause de ces écarts; l'objection seroit trop aisément détruite. A quoi, en effet, seroit bon le progrès des lumières, s'il ne pouvoit maîtriser des passions aussi désordonnées, quand, surtout, il est bien reconnu que ce n'est pas le progrès des lumières qui a fait cesser la terreur et le despotisme?

Seroit-ce un des miracles de la seconde restauration; car, jusque-là, nous étions dans les ténèbres de la démagogie; jusque-là on avoit fait ou laissé faire sottises sur sottises; et certes si les progrès des lumières eussent existé, leur moindre bienfait eût été d'empêcher de si grands maux. Est-il bien sûr que, depuis trois ans, ces progrès soient bien constatés? On reproche aux uns de vouloir être plus royalistes que le Roi; ceux-ci reprochent aux autres de vouloir être plus libéraux que le Roi et la Charte; et malgré les progrès des lumières, les Français ne s'entendent sur rien, ne sont d'accord sur rien, se divisent et se subdivisent au contraire, par vingt dénominations diffé¬ rentes. Ce n'est pas là encore un heureux effet. Je ne puis reconnoître un véritable progrès

[ocr errors]

dans les lumières, quand je vois ceux qui délibèrent, hors des Chambres comme dans les Chambres, divisés en cinq ou six minorités principales, sans les fractions d'icelles, et qu'il n'y a de véritable majorité nulle part; quand je remarque que des projets sont devenus des lois fondamentales, pour avoir obtenu quatre ou cinq boules blanches de plus qu'ils n'avoient contre eux de boules noires: certes, si le progrès étoit réel, les projets auroient eu toute la protection dont ils sont susceptibles, et auroient obtenu l'assentiment général; ou bien s'ils n'étoient que médiocrement bons, ils n'auroient obtenu, parmi des votans si éclairés, que des boules noires. Des lumières qui n'éclairent pas, cela n'est pas possible. Il faudroit les comparer à des feux follets qui brillent pendant la nuit sombre, et à la lueur desquels le voyageur va au précipice. Mais il y a autre chose. Le Roi nous a donné la plus grande étendue de liberté dont nous ayons joui depuis vingt-six ans, et déjà on en abuse. On commence par les grands mots pour échauffer les têtes, pour épouvanter les uns et encourager les autres; nos discours et nos pamphlets de 1817 et 1818 ressemblent, traits pour traits, à ceux de 89 et de go. Mêmes protestations d'amour, de fidélité pour le Roi. Si on n'ose plus se servir de cette phrase décriée, les droits de l'homme, on parvient, avec des périphrases, à mettre en avant les mêmes prétentions

exagérées de liberté, d'indépendance; et n'étoit que le gouvernement à déployé plus de fermeté ou de sévérité, suivant l'occasion, nous serions plus près d'une crise en 1818 que nous ne l'étions en 1790; d'autant qu'en go on ne savoit quelle seroit l'attitude du peuple, et qu'on sait aujourd'hui que, depuis vingt-trois ans, il laisse tout faire et ne se mêle de rien. La marche de la démocratic reste toutefois la même. Ce fut par les lois qu'elle détruisit l'édifice de la monarchie; ce sera par les lois qu'elle pourra l'empêcher de se relever. Il suffira, pour qu'elle arrive à son but, qu'on la laisse profiter des avantages que déjà elle a obtenus par les lois faites. Dans la réalité, je crois que nos plus habiles publicistes, j'entends ceux qui parlent et écrivent de bonne foi, n'ont pas fait faire depuis trente ans un pas de plus à la science si difficile de gouverner les hommes. Une seule vérité prédomine, c'est que plus les têtes sont exaltées, les passions ét les intérêts opposés, plus la difficulté de gouverner augmente. Ce seroit une grande erreur de la part des publicistes, et pour les Rois surtout, que de croire qu'on simplifiera l'art du gouvernement en faisant des concessions. On n'en fait, on n'est sollicité d'en faire qu'à ses ennemis. Quand elles sont faites, on ne peut plus se recruter que parmi eux; on est d'autant plus à leur discrétion, que les concessions même ont écarté les amis puissans et fidèles.

« PreviousContinue »