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CHAPITRE IV.

Qu'est-ce que la Charte sáns lois fondamentales?

UNE Charte est l'âme d'un corps politique. Le corps politique n'existe que quand les lois fondamentales qui le forment sont faites. La Charte française, dans l'isolement où elle est des lois fondamentales, est donc une âme destinée à vivifier un corps à naître. Si elle est placée dans un corps qu'elle puisse faire agir, et dans lequel elle puisse se développer elle-même, suivant son essence; si elle est envoyée dans un corps de droit politique qui soit monarchique, elle le vivifiera d'autant mieux que les facultés agissantes, comme les intellectuelles, seront dans une harmonie parfaite. Que si elle est placée dans un corps politique qui soit républicain, l'âme et le corps agiront et réagiront sans cesse sur eux-mêmes, leurs diverses facultés seront dans un état perpétuel d'hostilité. Le malaise qui en résultera ies empêchera l'une et l'autre d'acquérir des forces. Le désordre seul ira croissant de jour en jour, jusqu'à leur séparation. Quelque désirable qu'elle soit pour tous deux,

cette dissolution sera pour le monde entier un des événemens les plus désastreux qu'il ait à redouter.

Il ne faut pas jeter sitôt l'alarme, mé dira-t-on, ces lois fondamentales peuvent être bien faites. Sans doute, et je consens à l'espérer. Je dois dire ce que j'en pense un peu plus tard; mais avant d'arriver à ce point, traitons une autre question. Qu'est ce que le gouvernement tel qu'il existe aujourd'hui, avec le seul appui d'une Charte qui ne constitue pas un corps de droit politique complet? C'est nécessairement un gouvernement arbitraire qui doit déplaire à tous. Qu'on ne lui impute pas toutefois d'agir arbitrairement, car il faut, malgré sa répugnance bien prouvée, que son arbitraire remplace des lois qui sont à faire. Avant tout, il faut que le gouvernement puisse agir et puisse renverser les obstacles que la perversité et souvent la simple erreur, chez d'autres un égarement suggéré, lui présentent à chaque pas; il faut, et c'est le plus grand mal, que cet arbitraire soit extrêmement concentré, que dans l'impuissance où il est de créer, il conserve ce qu'il seroit dans son intérêt comme dans sa volonté de détruire. Il est à peu près obligé de suivre les mêmes erremens qui existoient quand il a commencé, car ils ne peuvent être changés ou modifiés que par des lois. Nous désirons la monarchie combinée avec le système

représentatif, ainsi que la Charte le promet, et nous obéissons provisoirement à des lois et à des institutions qui offrent la plus grande disparate, non seulement avec la Charte, mais entre elles, car elles présentent l'amalgame hideux de la république et du despotisme pour lesquels elles ont été faites; le dernier de ces deux états, c'est le despotisme, et il a fallu et il faudra tous les efforts de la bienveillance et de la magnanimité du meilleur des Rois, pour que nous n'en subissions pas le jong. La rigueur et la sévérité sont dans les lois; la libéralité, la plus grande possible, se trouve dans l'exécution, ce qui ne dénature pas l'état des choses, ce qui, au contraire, le continue, ainsi que l'obligation de tout concentrer dans une ville unique; ce qui fait encore, car la nature de l'arbitraire est d'être concentré, que tout l'Etat est dans la capitale, comme cela étoit, et par la raison, non détruite, que cela étoit établi ainsi par le chef du dernier gouvernement. Son portrait est si bien tracé par Montesquieu, que je dois le citer ici: « La monar» chie se perd, lorsqu'un prince, rapportant >> tout uniquement à lui, appelle l'Etat à sa capitale, la capitale à sa cour, et la cour à sa » seule personne. » (Voyez chap. VI du liv. III.) Cela est si frappant de vérité qu'on me dispensera d'en développer l'application. Il est évident que cela étoit ainsi sous Buonaparte;

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aussi quand il eut perdu Paris, tout fut perdu pour lui; c'est par Paris qu'il régnoit sur la France, et il régnoit sur Paris par la volonté la plus personnelle et la plus absolue qui fût jamais. Il ne suffit pas, pour changer cet état de choses, et l'expérience l'a déjà malheureusement trop prouvé, que Louis XVIII veuille la liberté politique, qu'il veuille en faire jouir tous ses peuples; la force des choses ici se trouve supérieure aux intentions royales. Le monarque ne parviendra à rétablir la France dans l'Etat que quand les lois fondamentales indiquées par la Charte auront été faites, et quand les institutions qui en résultent seront en vigueur sur toute la surface de la France; alors le prince n'aura pas qu'une seule ville; et s'il étoit obligé de quitter cette ville, aujourd'hui unique, il retrouveroit l'Etat et toute la force de l'Etat dans la première ville où il iroit s'établir. Inutilement un chef de rebelles parviendroit à s'emparer de la capitale, il ne garderoit pas long-temps ou Paris on Berlin (car ceci s'applique à tous les peuples qui veulent changer leur constitution), ou Dresde, ou Munich parce qu'aucune de ces villes ne seroit dans l'Etat la ville unique. Les plus grands développemens ont été donnés dans les Chambres à cette vérité politique; elle a été soutenue par les orateurs les plus distingués des divers côtés, et hors des Chambres par l'un de nos plus

pas, l'inviolabilité du monarque manque, je ne dis pas de garantie morale, elle est en France dans le cœur de tous les Français, quelles que soient leurs diverses opinions, mais elle manque de toute la latitude que doit avoir la garantie légale d'un si haut intérêt. L'absence de la loi fait que le contrat entre le souverain, soit en France, soit en Allemagne ou ailleurs, et ses sujets, n'est pas exécuté dans une de ses principales dispositions; car le droit qui existe dans une Charte, d'accuser les ministres, n'acquiert toute sa force, et ne reçoit son exécution que par la loi même qui stipule et les régles à suivre pour l'accusation, et toutes les conditions de leur responsabilité; quand cette loi est rendue, le droit et le fait de l'exécution de la Charte sé réunissent et forment pour le monarque une double garantie de son inviolabilité. Ces raisonnemens, on voudroit pouvoir se dispenser de les penser et de les écrire, mais cela est impossible dans une discussion sur le droit politique considéré dans toutes ses parties, et surtout quand le passé et la prévoyance de l'avenir en font un devoir. Il acquiert bien plus de force quand l'ensemble du contrat qui résulte d'une Charte n'est pas exécuté, quand le corps de lois fondamentales est à faire, et que tant de passions et d'intérêts divers se croisent et s'interposent pour en différer la confection. Par combien de raisonnemens ne pourrois je pas

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