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la Charte anglaise, dans l'espoir que par leurs discours et leurs écrits ils obtiendront des lois fondamentales, à l'aide desquelles la démocratie prédominera, si bien qu'il ne nous restera de la monarchie que le nom. Ils prétendront même avec la plus imperturbable assurance que leur vou est celui de tous les Français. Leur usage est de parler toujours au nom de l'immense majorité, en quoi je trouve qu'ils ont parfaitement raison; car de tous leurs moyens de succès, voilà bien le plus infaillible. L'expérience ne l'a que trop prouvé.

Ma tâche est de prouver aux uns et aux autres que leurs craintes ou leurs espérances ne seront réalisées que quand le corps de notre droit politique sera complet. La Charte, telle qu'elle est, je m'empresse de dire qu'elle est telle qu'elle doit être, ne nous donne pas la constitution anglaise, puisqu'elle ne supprime pas absolument les. puissances intermédiaires; mais telle qu'elle est, elle ne se refuse pas à ce que nous l'ayions. Les lois fondamentales décideront la question. Si les principes de ces lois sont aristocratiques, nous conserverons la monarchie, modifiée seulement comme l'a voulu la Charte, et en laissant assez loin la république pour ne plus la redouter. Si les dispositions de ces lois sont démocratiques, nous pourrons conserver les formes monarchiques; mais dans la réalité, nous aurons la répu

blique, et plus fortement constituée qu'en Angleterre, de telle sorte que son principe prédominera et effacera absolument celui de la monarchie.La conséquence de ce dernier système sera pour la France, comme Montesquieu l'a prévu pour l'Angleterre, que lorsqu'il arrivera que la puissance législative sera plus corrompue que la puissance exécutrice, les Français seront un des peuples les plus esclaves de la terre. Ce qui s'est vérifié de nos jours; c'est-à-dire depuis la première assemblée législative jusqu'à la restauration.

On doit être convaincu de l'importance des lois fondamentales. Je ne tarderai pas à prouver leur urgence.

CHAPITRE III.

Observations sur ces locutions: Monarchie constitutionnelle, Gouvernement représentatif.

QU'EST-CE qu'uue monarchie constitutionnelle? qu'est-ce qu'un gouvernement représentatif?

Ces deux questions sont posées ainsi, parce que ce sont les termes employés le plus ordinairement pour exprimer ce qu'on entend par le gouvernement qui résulte de la Charte que Louis XVIII nous a donnée.

Il faut, pour bien résoudre ces deux questions, examiner d'abord si ces deux locutions, dont on se sert assez indifféremment, présentent le même sens, et peuvent exprimer ou définir la même chose. Comme la chose dont il s'agit ici, c'est le gouvernement, les mots ont bien leur importance : l'influence des mots a souvent dénaturé les choses.

Monarchie constitutionnelle et gouvernement représentatif ne disent pas la même chose disent deux choses différentes ; et l'une et l'autre de ces locutions ne peuvent être employées pour

définir exactement le gouvernement que la Charte nous a donné.

La monarchie tempérée, telle que nous l'avions, était constitutionnelle. Une monarchie absolue peut être constitutionnelle comme une monarchie tempérée; le despotisme même peut être constitutionnel. Ainsi cette locution « la monarchie constitutionnelle » ne saisit pas l'esprit de ce qui est aujourd'hui, n'apprend pas que la puissance législative est partagée entre le Roi et les deux Chambres.

Gouvernement représentatif dit toute autre chose que monarchie constiutionnelle; car on peut avoir un gouvernement représentatif, et n'avoir pas de Roi. Sous le directoire, nous avions un gouvernement représentatif; mais cinq directeurs ne sont rien moins qu'un Roi. Enfin le gouvernement peut être confié à une commission temporaire, composée des membres de la Chambre qui représente, ou à une commission mixte des deux Chambres, quand il y en a deux qui représentent. Les exemples ne manquent pas dans le moyen âge comme dans les premiers siècles et de nos jours. Cette locution est donc plus vicieuse que la première, en ce qu'elle est plus loin de la vérité. Si même on vouloit forcer le sens que peuvent présenter ces deux mots, gouvernement représentatif, on pourroit leur faire signifier que le gouvernement doit être dans la repré

sentation, ce seroit pousser un peu loin l'abus des mots; mais nous avons vu pis, et la méfiance des mots n'est que prudence.

Je crois donc que ces deux locutions doivent être également réprouvées; les raisons que je viens de donner me paroissent plausibles. Je regrette que monarchie française, qui disoit tout, ne dise plus assez. Si aucune de ces trois façons de parler ne peut être employée, il faut bien en trouver une autre, car chaque chose doit avoir son nom. Mais pour dénommer une chose, il faut la bien connoître, et je prouverai que la monarchie pouvant être essentiellement modifiée par les lois fondamentales, il faut attendre qu'elles soient faites avant de savoir ce qu'elle sera. Il convient toujours d'écarter les mots qui en donnent une fausse idée, et que le hasard ou la commodité dont ils sont, a plutôt introduits que la réflexion et une juste appréciation.

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