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Mais l'ensemble de la nation, qui n'est pas toute dans les demi-savans, il faut la juger ce qu'elle est; comme c'est pour elle que les lois sont, ou doivent être faites, si elle n'est pas changée, et que vous changiez les lois, ces lois changeront encore. Ce n'est pas à la France seulement que ces principes vraiment libéraux sont applicables, mais à tous les peuples dont on essaie de changer les lois, et avec elles la nature de leur gouvernement. Je passe à une autre considération.

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Que nos voisins examinent bien la situation politique et seulement intérieure de la France, ils reconnoîtront qu'après vingt-huit ans, quoiqu'on nous ait donné des millions de lois, nous n'avons pas celles qui sont les plus indispensables pour donner la vie à la monarchie qui nous est promise, rendue même par la Charte; ils reconnoîtront que le système réprésentatif, non seulement peut avoir en lui-même et pour eux, plus que pour nous encore, d'incalculables dangers, mais que nous ne l'avons obtenu que de notre Roi légitime, et qu'eux comme nous, ne pourront le conserver qu'en conservant le souverain légitime. La liberté politique et un usurpateur ne peuvent coexister. La liberté disparoît, le jour où un gouvernement nouveau s'établit sur les ruines de l'ancien. Un usurpateur, quelle que fût auparavant et comme homme privé, la modération de son caractère, ne pou vant compter sur l'affection générale, n'ayant

aucuns droits acquis et non contestables, est obligé, forcé d'être despote, et d'exercer ce terrible pouvoir, par, ou au moyen de la puissance militaire qui l'aura élevé. Ce n'est plus la voix de sa conscience qu'il écoutera, un parvenu n'en a pas, c'est la voix de l'ambition qui lui demandera du sang, qui lui commandera des crimes, et il les commettra sans hésiter, sa propre conservation l'exige. S'il a un sénat, il le composera, non selon le rang, l'importance 'des familles, ou les éminentes qualités des personnages, mais il n'y admettra que ses créatures; s'il n'ose détruire une Chambre basse, ce sera par une loi, ou par le fait qu'il lui ôtera la parole. Le Roi légitime, par cela même que ses droits sont incontestables, peut tout entendre de la part des Chambres, il peut donner à ses peuples une bien plus grande étendue de liberté ; il ne la modère que pour mieux la conserver, dans l'intérêt de tous, et il appelle volontiers 'dans la Chambre haute, ceux qui appartiennent à l'Etat autant que sa personne. Quoique Buonaparte et Cromwell ne soient plus de ce monde, leurs exemples sont encore vivans pour nous, et ils doivent avertir les peuples pour lesquels on réclame des lois nouvelles, qu'elles amènent des révolutions, que celles-ci finissent toujours par un effroyable despotime, et qu'a près de douloureuses et sanglantes convulsions, les peuples ne retrouvent le bonheur que sous

l'autorité de leurs princes légitimes. C'est donc bien plus pour les peuples, pour la conservation de leur liberté, que dans l'intérêt même des Rois, que le principe de la légitimité doit être consacré dans les fastes et dans les lois politiques des nations.

Ce sont encore là des principes libéraux; mais est-ce bien ceux-là sur lesquels on insiste? Sont-ce là les avis salutaires qu'on met sous les yeux des peuples? Non, sans doute, ils seroient trop effrayés des chances que leur présenteroient des changemens si considérables. Aussi les écrivains libéraux ont-ils beaucoup de force pour déclamer, et beaucoup de foiblesse pour

raisonner.

Une idée bien libérale, qui devroit retentir dans toute l'Europe, c'est que la paix générale est nécessaire aux divers Etats pour réparer les fortunes particulières si atténuées par les sacrifices de toute nature que les dernières guerres ont occasionnés, et pour rétablir les finances publiques qui, de toutes parts, sont dans le plus grand désordre; or, à mes yeux, la cause la plus menaçante, et peut-être la plus prochaine d'une guerre nouvelle, seroit qu'un mouvement révolutionnaire vînt à éclater dans un des Etats de l'Europe quel qu'il fût. Si la révolution française a pénétré partout, une révolution nouvelle seroit le signal d'un embrasement général.

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Les gouvernemens étant tous modifiés et d'une manière différente, leurs relations ne seroient plus ce qu'elles sont aujourd'hui ; les intérêts. seroient alors si divisés, que la guerre deviendroit inévitable. C'est au milieu même de la guerre, dans la disposition actuelle des esprits, que la démocratie trouveroit le plus de chances de succès. L'insurrection pénètre et s'établit dans les camps, par cela même qu'une grande réunion d'individus y est légalement formée; les principes d'indépendance y font d'autant plus de ravages, que leur communication est plus sûre, plus prompte, plus facile. Les officiers peuvent en partie rester fidèles; mais les troupes, nous l'avons vu, obéissent plutôt à un décret légalement ou illégalement rendu, qu'aux ordres de leurs chefs. Si le moment n'est pas bien choisi dans l'intérêt des rois et des peuples, pour introduire le système représentatif simultanément dans les divers Etats, il ne s'en rencontrera jamais de plus opportun pour la démocratie; quelque part qu'elle parvienne à s'établir, elle est bien sûre que la France ne resteroit pas maintenant spectatrice indifférente. Toute la sagesse, toute l'énergie de son Roi, les précautions les plus grandes et les plus minutieuses, rien ne pourroit empêcher qu'une seule étincelle ne fût suffisante pour rallumer un foyer mal éteint. Les théoriciens pourroient,

s'en affliger de bonne foi, car leur ouvrage y périroit; mais les démocrates, par calcul, dont l'arrière-pensée est le renversement des trônes, prendroient tous leurs avantages. Cette crise générale, cette désorganisation des gouvernemens, sera traitée de chimérique par ceux qui la désirent, qui l'appellent de tous leurs vœux; mais elle n'est pas hors des probabilités pour quiconque remarque l'état de fermentation dans lequel on veut mettre les peuples. Si cette crise commence, rien ne pourra l'arrêter; il faudra qu'elle ait son cours; les plus jeunes parmi les vivans ne la verront pas finir. Je ne crois pas qu'un seul royaume puisse s'en garantir, et les fossés de l'Angleterre ne l'en préserveront pas.

Par les divers rapprochemens que j'ai faits, ce n'est pas plus Buonaparte et Cromwel que j'ai rappelés, que tous les despotes qui ont succédé aux gouvernemens populaires. Les révolutions d'Angleterre et de France nous offrent des résultats récens, mais non pas nouveaux. Quand le sénat à Rome eut été forcé d'abandonner une partie de son autorité, envahie par la démocratie, la dictature ou le despotisme de Sylla devint nécessaire. Sylla ouvrit la carrière à César, aux Triumvirs, aux Tibère, aux Néron, et la liberté fut à jamais perdue pour l'Italie. On vit, au nom de l'empereur régnant, les Romains eux-mêmes la poursuivre partout où

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