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Je crois donc que les pouvoirs accordés aux Chambres, par la Charte, sont excessifs, si on les fait remonter jusques aux lois fondamentales, dont l'existence doit précéder celle de la puissance législative; en sorte que de l'excès de pouvoir d'un côté, et de la carence du pouvoir constituant de l'autre, il résulte une incompétence complète bien démontrée. Qu'on ajoute les motifs d'urgence et d'incohérence, et on sera surabondamment convaincu qu'une double incapacité de droit et de fait s'oppose à ce que les Chambres concourent à la confection des lois fondamentales.

CHAPITRE X.

Par qui les lois fondamentales doivent-elles être faites?

par

Si, pendant un périlleux voyage, entrepris pour courir les mers les plus orageuses, et bientôt sans pilote, comme sans carte et sans boussole, battus d'innombrables tempêtes, au milieu desquelles corps et biens, tout devoit périr; si le ciel protecteur vous envoie, sur un frêle esquif, à travers les flots soulevés, un pilote ami pour vous guider et vous conduire, quelle joie, lorsqu'il monte au tillac ! quels transports, lorsque d'une main habile il saisit le gouvernail ! l'espérance, si douce aux malheureux, renaît au fond des cœurs. Bientôt la vue de la terre natale fait seule oublier tous les dangers qu'on a courus; tous les maux qu'on a soufferts...... La terre natale pour nous, c'est la monarchie. L'ayant abandonnée une fois, nous ne la retrouverons plus ce qu'elle fut pournos aïeux et pour nous-mêmes, quand nous l'avons quittée; mais le Roi veut nous la rendre telle qu'elle doit être, et qu'il lui convient, comme à nous, qu'elle soit désormais. La Charte fut le signal d'arrivée; les

lois fondamentales formeront l'établissement. C'est par elles que l'édifice politique sera élevé et garanti. Par qui et quand seront-elles faites, ces lois maintenant si désirées ? La question même, si elle n'est promptement résolue, est une irrévérence; et si la discussion en est tolérée, si le débat s'établit dans les formes, inutilement nous aurons revu la terre promise. D'autres, et de plus violens orages, nous menaceront incessamment. Ingrats envers le Roi des Rois, qui nous avoit si miraculeusement secourus, en nous donnant à tous l'unique moyen de nous sauver tous, nous n'aurons échappé aux premiers désastres que pour nous précipiter, tête baissée, dans des abîmes sans fond.

La Charte et les lois fondamentales devant former ensemble notre droit politique, et constituer la monarchie ce qu'elle doit être, c'est au pouvoir constituant qui a fait l'une à faire les autres. Par cela même qu'une seule de ces lois peut modifier les trois branches de la puissance législative, et qu'une de ces branches ne peut acquérir plus de force, sans que les deux autres n'en soient d'autant affoiblies, il en résulte que, d'après quelques principes qu'on les fasse, ces lois sont toutes constituantes.

Le pouvoir constituant appartient et n'appartient qu'au souverain légitime. La délégation comme le partage en sont impossibles. La souveraineté est indivisible, et ne peut résider

dans un Etat monarchique que dans une seule et même personne. Il n'appartient donc qu'à 'notre Roi Louis XVIII de nous donner les lois fondamentales, comme il nous a donné la Charte. Après ce premier bienfait, ce sera le plus grand que nous puissions recevoir de sa haute sagesse. Mais, pourroit-on objecter, par la Charte, le Roi ne s'est réservé que la proposition de la loi ? La Charte porte (Art. 16): « Le Roi pro»pose la loi. ».

Il est bien difficile de penser que, par cet article, la Charte ait entendu parler des lois fondamentales.

La proposition suppose le refus comme possible. Or, peut-on faire dépendre de l'acceptation ou du refus, ce qui est nécessaire à l'existence? et l'existence elle-même (il n'y en n'a pas pour la monarchie sans lois fondamentales) peut-elle être mise en question? La stipulation qu'on existera, peut-elle être la clause valable d'un contrat? Peut-on confier à un tiers le droit de prononcer oUI ou NON, lorsqu'il s'agit de la vie? Il pourroit arriver que le tiers fût plus disposé à vous mettre au régime qui lui convient, qui lui assurera incessamment votre succession, qu'à vous laisser prendre celui qui seul vous est salutaire.

Si deux copropriétaires étoient convenus par contrat d'un VETO respectif, pour toute innovation qui seroit proposée par l'un d'eux dans la propriété, cela se concevroit; mais, per

sonne ne croira, cela fût-il dit expressément dans le contrat, et cela ne s'y trouve pas, que celui des deux propriétaires qui a fait la concession de communauté à l'autre, ait besoin de la permission de celui-ci, pour élever l'habitation, dont le plan est tracé dans le contrat même dont il s'agit. Si le second opposoit le VETO stipulé, c'est le VETO qui seroit une innovation; car, pour que rien ne soit changé, il faut que le plan tracé dans le contrat soit pleinement exécuté. C'est la condition primordiale de la concession. Si la question même d'exécuter le plan est déférée au cessionnaire par le cédant, il est évident que celui-ci sera condamné à ne l'exécuter pas, ou tout au moins à voir son plan changé et complètement dénaturé. Quand on traite avec le meilleur de ses amis, il faut stipuler comme si l'on traitoit avec son plus cruel ennemi; car on peut se brouiller long-temps avant que le traité soit pleinement exécuté,

Le Roi, dit l'article, propose la loi. Qui, le Roi propose la loi, et toutes les lois qui sont dans la compétence de la puissance législative; toutes celles qui sont et seroient hors de la constitution, qui lui seront subséquentes; mais non celles, qui sont la constitution elle-même. Enfin, on ne propose que quand on ne dispose pas. Or, le Roi dispose, et dispose seul, de tout. ce qui est inhérent à la souveraineté : le pouvoir constituant est de l'essence de la souveraineté ;

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