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dans le temps seulement nécessaire pour qu'elles soient bien faites, je consentirois volontiers à reconnoître que ce n'est là qu'une question de forme dont le vice peut être couvert par la volonté, par l'accession du Monarque. Je vais plus loin; si le plus humble des sujets de Sa Majesté avoit rédigé un corps complet de lois fondamentales, et qu'elles fussent essentiellement bonnes, il faudroit que tous les Français dirigeassent leurs vœux vers le trône, et joignissent leurs mains pour supplier le Monarque de les accepter et de les promulguer; enfin, je ne tire de ceci que cette seule conséquence, que le Roi peut, par une accession non exprimée, admettre comme cela s'est pratiqué, les Chambres à la confection des lois fondamentales; mais que les Chambres ne peuvent pas prétendre qu'elles ont un droit acquis de faire des lois qui, de leur nature, sont des lois constituantes. En sorte que si ces lois sont faites autrement que par leur concurrence, elles n'ont aucun droit acquis de réclamation. Je passe à la seconde partie de l'incompétence. Ce sera, si l'on veut,, une concession que j'ai faite, de ne considérer le premier moyen d'incompétence que comme vice de forme; mais je n'ai pas, Dieu merci, le droit de faire de concession: c'est à qui a droit de juger, à prononcer. La chose est en elle-même considérable, et mérite d'être bien réfléchie. Un procès, ou, si l'on veut, un droit politique

peut, comme un procès ou un droit purement civil, se perdre, parce que les formes, une fois négligées ou violées, elles emportent le fonds. Je prends maintenant les erremens tels qu'ils existent, et le second moyen d'incompétence ressemble bien peu au premier. Je n'ai plus à prouver que les Chambres n'ont pas le pouvoir suffisant et nécessaire; mais que par la nature du pouvoir spécial qui leur a été donné, il est trop grand s'il leur est accordé pour voter des lois fondamentales, ou en d'autres termes, qu'elles ont trop de pouvoir pour coopérer à la confection de ces lois.

Chacune des deux Chambres est indépendante de l'autre ; toutes deux, comme corps politique, sont indépendantes du Roi, qui, lui-même, est indépendant des deux Chambres : le concours de ces trois puissances est nécessaire pour la formation de la loi. Voilà la théorie; mais n'y touchez pas si vous vous en permettez seulement la pratique, tout le système va se déranger. Nous l'avons bien vu, nous allons le voir bien mieux encore.

Dans le droit de faire ou de concourir à faire la loi, se trouve mêlé le droit de ne pas faire, c'est-à-dire de refuser la loi. Il suffit, et il est raisonnable qu'il suffise qu'une des trois branches de la puissance législative ait refusé pour que la loi présentée ne devienne pas loi; d'où il résulte que la Chambre des Députés a le droit de refuser

même une loi fondamentale, c'est-à-dire une loi vitale, nécessaire, à l'action, à la marche du gouvernement, je puis ajouter à son existence. Si la Chambre démocratique, comme on veut qu'elle le soit, a le droit d'en rejeter une, elle a le doit de les rejeter toutes. En sorte qu'elle a le droit de laisser le gouvernement dans l'état d'un continuel provisoire, si précaire et si chanceux de sa nature; elle a le pouvoir d'isoler la monarchie de toutes les institutions qui lui sont indispensables, et qui seroient pour elle d'inébranlables garanties. Qu'on ne dise pas que la Chambre des Députés n'abusera, ni n'usera même de ce pouvoir; il ne s'agit pas de ce qu'elle fera ou ne fera pas. Il s'agit uniquement de la question, et c'est uniquement dans l'intérêt de la question que je raisonne et telle. qu'elle est posée, telle enfin qu'elle résulte de la théorie. Sous ce premier aperçu du droit de refuser une loi fondamentale, il résulte déjà que l'équilibre est absolument rompu. Le monarque, ainsi que tous ses sujets, ont un immense intérêt à ce que la monarchie soit soutenue par un corps de lois politique complet, et par toutes les institutions qui peuvent en résulter; inutilement il auroit l'appui de la Chambre des Pairs, si la puissance démocratique a intérêt à ne pas vouloir de ces institutions; son refus est absolu; ce refus est peu signifiant quand il s'agit d'une loi qu'on peut

faire ou ne pas faire ; mais quand il s'agit d'une loi fondamentale, son indépendance politique lui donne un pouvoir beaucoup trop grand pour qu'il ne soit pas nuisible à l'Etat, car il paralyse la volonté des deux autres puissances, de donner à la France toutes les lois comme toutes les institutions qui lui sont nécessaires; elle s'oppose seule et efficacemeut à ce que l'édifice de la monarchie s'élève sur le plan de la Charte, à ce que les fondemens prescrits par la Charte soient établis. Sa seule force d'inertie fait remonter son pouvoir par de-là la Charte, oblige à maintenir ce qui existoit avant la Charte, et s'oppose enfin à l'exécution même de la Charte. Poursuivons.

Du droit de ne pas faire ou de refuser résulte évidemment la possibilité, que la Chambre démocratique regardera comme le plus beau de ses droits, d'obtenir toutes les concessions qu'elle voudra, c'est-à-dire que la monarchie sera remaniée par elle comme elle le jugera convenable. Le monarque, bien plus encore dans l'intérêt de tous que dans le sien propre, ayant besoin des lois fondamentales, leur importance, comme leur urgence, ne lui laisse pas une liberté illimitée, comme elle devroit l'être, de refuser une loi mal faite et méchamment mal faite. La Chambre démocratique, qui peut user de ses avantages en refusant, en a d'aussi grands en votant la loi; mais après y avoir inséré des dis

positions qui toutes tendent à augmenter son pouvoir, qui par-là même sont essentiellement contraires à l'intérêt du Monarque. Quand le projet, ainsi refondu et dénaturé, quelquefois par une seule disposition, revient au Roi, il a à examiner, à peser dans sa sagesse, si une mauvaise loi ne présente pas plus, ou présente moins d'inconvénient, que l'absence de toute loi, et si Sa Majesté se décide à l'envoyer à la Chambre des Pairs, tout le pouvoir de celle-ci se bornera à présenter des considérations confidentielles. Comme son sort est lié à celui du Monarque, elle suivra l'impulsion qu'elle en recevra; mais ces deux puissances législatives ne conservent plus leur indépendance; elle sera entière, complète, quand il s'agira des lois de détail, des lois que les circonstances amènent toujours d'année en année, et dont le refus, l'adoption ou les diverses modifications n'importent pas à l'action et à l'existence du gouvernement; mais cette indépendance n'existe plus, elle n'existera jamais quand il s'agira de lois fondamentales. La Chambre démocratique peut dire, et tout haut, j'aime bien mieux qu'il n'y en ait pas, et si vous en voulez, vous les recevrez comme je vous les donnerai. Ce n'est pas tout; mais avant d'aller plus loin il faut que je m'appuie du témoignage de Montesquieu, les plus libéraux ne peuvent le récuser. Voici ce qu'on trouve dans l'analyse du gouvernement

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