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Elles sont le corollaire d'une Charte soit monarchique soit républicaine; elles lui donnent la vie. Chacune d'elles est nécessaire, non seulement à la conservation de cette Charte, mais à l'existence du gouvernement qui en résulte; elles doivent être en harmonic parfaite avec ce gouvernement, être en rapport direct avec sa nature et en harmonie entre elles. Ces lois et la Charte formant le corps complet du droit politique d'un Etat, devroient être conçues par la même pensée, et, s'il étoit permis de le dire, jetées dans le même moule, ou rédigées par le même législateur.

Il s'ensuit qu'une Charte sans lois fondamentales ne donne pas un système complet de droit politique, et surtout que si ces lois sont faites à de longs intervalles, si on perd de vue la nature du gouvernement (comme cela n'est que trop facile) pour lequel on les fait, le gouvernement lui-même sera dénaturé, et ne sera plus celui qui primitivement résultoit de la Charte. Voilà le redoutable écueil contre lequel il est à craindre qu'un gouvernement et sa Charte ne viennent se briser, d'autant qu'il est difficile de l'éviter.

L'importance de ces lois se reconnoît déjà par leur seule définition. Maintenant, et puisque nous sommes encore aux premiers essais du gouvernement que la Charte a créé, et qu'il ne recevra le complément qui lui manque que des

lois fondamentales qui TOUTES sont à faire, prenons garde, tant pour nous que pour les peuples qui veulent nous imiter, que le germe de la corruption ne soit placé précisément à la source; le mal seroit d'autant plus incurable.

Quand Montesquieu écrivoit, la seule Angleterre avoit modifié la monarchic par le système représentatif; car la Suisse et les ProvincesUnies étoient des républiques fédératives, et la nature comme la forme de ces gouvernemens n'avoit aucune ressemblance avec le gouvernement de l'Angleterre. Montesquieu a analysé, à sa manière, c'est-à-dire avec une perfection inimitable, la constitution Anglaise. C'est une chose remarquable qu'ayant consacré plusieurs de ses plus longs chapitres à l'examen de cette constitution, le gouvernement qui en résulte soit le seul dont il n'ait pas déterminé la nature, et auquel il n'ait pas affecté un principe comme ressort de son action, ce qu'il a fait successivement, si clairement et si méthodiquement pour toutes les autres espèces de gouvernement. Cela est fort regrettable en soi. L'autorité de Montesquieu seroit d'un grand poids dans les graves circonstances où se trouvent les différens Etats de l'Europe, quand il s'agit pour tous, sans en excepter la France, de faire des lois fondamentales qui soient en harmonie avec la nature et le principe des diverses mo

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narchies qu'on veut modifier par le système représentatif. On sauroit mieux ce qu'on a fait, ce qu'on est encore obligé de faire, et comment on doit le faire.

Si Montesquieu n'a pas dit expressément pour l'Angleterre ce qu'il a si bien établi pour tous les autres Etats de l'Europe et du monde entier, il l'a indiqué par des équivalens jetés avec une apparence de désordre dans des chapitres assez éloignés les uns des autres. Je vais citer trois alinéas qui, en pareille matière, méritent d'être rappelés et médités.

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On lit au chapitre IV du livre II: « Les Anglais, pour favoriser la liberté, ont ôté >> toutes les puissances intermédiaires qui for>> moient leur monarchie. Ils ont bien raison » de conserver cette liberté; s'ils venoient à » la perdre, ils seroient un des peuples les plus esclaves de la terre. » La lecture entière de ce chapitre de Montesquieu ne peut être trop recommandée à ceux qui veulent savoir comment la monarchie peut ou périr

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ou se conserver.

On lit au chapitre XIX du livre V : « Voyez >> dans une nation où la république se cache » sous la forme de la monarchie, combien

on craint un Etat particulier des gens de » guerre, et comme le guerrier reste toujours citoyen, et même magistrat, afin que ces

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«

qualités soient un gage pour la patrie, et qu'on ne l'oublie jamais. »

Enfin, dans le chapitre VI du livre XI, on lit : « Comme les choses humaines ont toutes » une fin, l'Etat dont nous parlons (l'Angle» terre) perdra sa liberté. Il périra lorsque » la puissance législative sera plus corrompue » que l'exécutrice. »

De ces passages il résulte que Montesquieu reconnoissoit ce que tous ceux qui ont réfléchi ont également reconnu, que l'Angleterre est une république sous la forme d'une monarchie; mais ce n'est pas tout, il définit par là ce qui avoit été, ce qui étoit, et ce qui arrivera nécessairement. Ses raisonnemens, qui ne se bornent pas en ceci aux seules citations que j'ai faites, sont fondés sur des principes si certains qu'ils sont aussi infaillibles pour l'avenir que pour le passé et le présent.

Ainsi les Anglais, en ôtant les pouvoirs intermédiaires, ont détruit les garanties de la monarchie, ou plutôt la monarchie elle

même.

Quand la puissance législative sera plus corrompue que la puissance exécutrice, cet Etat, c'est-à-dire la forme ou la nature de son gouvernement, périra, et les Anglais seront un des peuples les plus esclaves de la terre, par la raison absolue que les pouvoirs intermédiaires qui existoient, et qui étoient tout à la fois la

garantie de la monarchie comme de la liberté publique, auront disparu. Ajoutez à cette réflexion que plus la puissance législative a un pouvoir étendu plus elle se corrompt facilement: nous l'avons vu tant en France qu'en Angleterre. Je déclare que ces citations sont faites de bonne foi; c'est-à-dire que ce ne sont pas des passages tronqués ou modifiés par ce qui précède ou ce qui suit. En sorte que les inductions que j'en puis tirer, ou que d'autres en voudroient tirer après moi, n'ont pas besoin d'être forcées pour être concluantes.

et

Mais j'anticipe. Ce n'est pas là ce qui d'abord frappera l'attention. Les uns me diront c'est les royalistes, quelles que soient leurs diverses nuances, vos citations ne s'appliquent pas le gouvernement qui résulte de la Charte française ne ressemble pas à celui de l'Angleterre. La différence est immense; c'est la monarchie que le Roi et la Charte ont voulu, et non la république anglaise. Quant à ceux qui verroient avec plaisir en France la république modifiée seulement par les formes monarchiques, ils témoigneront leur étonnement que je n'en veuille pas; ils trouveront même que c'est la république qui est trop modifiée en Angleterre ; ils argumenteront, comme ils le font tous les jours, contre l'aristocratie de la Chambre des Communes; ils donneront de beaucoup la préférence à notre Charte sur

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