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CLÉON.

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Eh quoi! m'attendiez-vous à cette extrémité,
Pour m'oser librement dire la vérité ?

LE COMTE.

On ne se fait aimer que par les complaisances.

Mais ne vous plaignez plus des fausses apparences.
Si ce qu'on dit est vrai, je ne suis pas un sot:
On m'a berné pourtant comme un franc idiot.
Les plus fins sont trompés; et cette indigne veuve
Qui vous a tout ravi, m'en fait faire l'épreuve.
CLÉON.

Comment!

LE COMTE.

Je l'adorois. Sur un espoir flatteur, J'ai tâché, par vos dons, de m'acquérir son cœur. Je les sollicitois de concert avec elle :

Mais ils ne m'ont acquis qu'une haine mortelle;
Et l'indignation, les rebuts, les mépris,

Des efforts que j'ai faits viennent d'être le prix.
Je vous en fais l'aveu, pour vous faire connoître
Que le cœur le plus faux, le plus dur, le plus traître,
Le plus intéressé que le ciel ait formé,
Est celui de l'objet dont vous étiez charmé.
L'ardeur de s'enrichir est tout ce qui l'occupe,
Et j'ai la rage au cœur de me trouver sa dupe.
Êtes-vous donc surpris si vous l'avez été,
Comme de vos amis? Tout n'est que fausseté.
Qui croit s'en garantir, grossièrement s'abuse;
Elle règne partout, et voilà mon excuse.
Adieu.

SCÈNE XIV.

CLÉON, seul.

Je ne dis rien, car je suis confondu.

SCÈNE XV.

CLÉON, PASQUIN, qui entre d'un air affligé.

CLÉON.

QUE viens-tu m'annoncer?

PASQUIN.

Que vous êtes perdu.

Ce fripon d'intendant, pour consommer l'ouvrage,
Avec tous vos effets vient de plier bagage,
Et n'a laissé chez lui que ce billet ouvert.

CLÉON.

Donne. Pour me trahir tout paroît de concert.
Lisons. C'est à Grippon que ce billet s'adresse;
Il est daté de Brest, et ceci m'intéresse :
Peut-être est-ce à mes maux un doux soulagement.
Ah! qu'il vient à propos en ce fatal moment!
(Il lit.)

« Voici pour votre maître une triste nouvelle :
« Le vaisseau qui pour lui rapportoit un trésor,
<< Par une aventure cruelle,

« Vient de faire naufrage en approchant du port. »

Tous les malheurs sont donc enchaînés sur ma tête! Et mon dernier espoir périt dans la tempête!

Mer barbare et perfide autant que mes amis !
Que vais-je faire? O ciel!

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De payer tous mes gens, et de les renvoyer.

PASQUIN, sanglotant.

L'affaire est faite, on vient de les congédier.

Et toi ?

CLÉON.

PASQUIN.

Je ne sais point ce que l'on me destine; Mais, qu'on me chasse ou non, mon pauvre cœur s'obstine A ne vous point quitter; et, jusques à la mort, Je suis bien résolu de suivre votre sort.

CLEON.

Que feras-tu de moi? Je suis un misérable.

PASQUIN.

Le peu que je possède....

CLÉON.

Ah! ce trait-là m'accable.

Voilà le seul ami qui me demeure. Ingrats!

Et cet exemple-là ne vous confondra pas!

Va-t'en; laisse-moi seul au fond du précipice.
Donne-moi ce fauteuil; c'est le dernier service
Que j'exige de toi.

PASQUIN, lui baisant la main.

Mon cher maître!

Et tu m'obligeras.

CLÉON.

Va, sors,

SCÈNE XV.

CLÉON, se croyant seul; JULIE, qui entre doucement

et qui écoute.

CLÉON, se jetant dans un fauteuil.

INUTILE remords,

Pourquoi me tourmenter? O raison trop tardive!
Que ne prévenois-tu le malheur qui m'arrive!
Je suis abandonné, trahi, déshérité,

Et, pour comble de maux, je l'ai bien mérité.
Compter sur des amis; quelle étoit ma folie!
Je leur pardonne à tous; mais vous, mais vous, Julie!
Vous que j'ai tant aimée, et que j'adore encor,
Pouvez-vous me livrer aux rigueurs de mon sort?
C'est là ce qui me tue. Une fausse inconstance
A-t-elle mérité cette horrible vengeance?

Les fureurs d'un amant par vous-même abîmé,
Devroient-elles?... Jamais vous ne m'avez aimé;
L'effet confirme trop un si juste reproche.
Jouissez de ma mort, je la sens qui s'approche.

(Il tire son épée.)

Qu'elle vient lentement! Il faut la prévenir;

Et, grâce à ma fureur, mes tourments vont finir,
(Il veut se frapper.)

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O ciel! c'est vous, Julie!

C'est vous qui m'empêchez de m'arracher la vie!
Pourquoi ce soin? Songez qu'il ne me reste rien.

JULIE.

Ingrat! vous avez tout, puisque j'ai votre bien.
Lorsque vous m'accusiez d'une âme intéressée,
Que ne pouviez-vous lire au fond de ma pensée !
J'ai tâché de vous perdre, afin de vous sauver,
Et vous ai tout ravi pour vous le conserver:
A votre aveuglement c'étoit le seul remède.
Vous êtes maître encor de ce que je possède :
Mon cœur, mon tendre cœur vous l'offre avec transport;
Il ne sauroit, sans vous, goûter un heureux sort.
Vous êtes le seul bien qu'il estime, qu'il aime;
Il vous rend tout le vôtre, et se livre lui-même :
Recevez-le, Cléon, en recevant ma foi;
Vivez heureux, content, et vivez avec moi.
CLÉON, se jetant aux pieds de Julie.
Adorable Julie, ah! vous me percez l'âme !

Ici, que
Elle me fait mourir de honte et de regret.

de vertu dans le cœur d'une femme!

JULIE.

Levez-vous; grâce au ciel, j'ai trouvé le secret

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