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que, pour les condamner, il a fallu renoncer non-seulement à toute équité, mais encore au bon sens et à la droite raison! « Ordonnance impériale, s'écrie Tertul- Tert. Apol.

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« lien en parlant de la lettre de Trajan, pourquoi vous

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« combattez-vous vous-même ? Si vous ordonnez la con

« damnation d'un crime, pourquoi n'en ordonnez-vous pas la recherche ? et si vous en défendez la recherche, pourquoi n'en ordonnez-vous pas l'absolution?» Il me semble qu'on ne doit point laisser sortir du collége les jeunes gens sans leur avoir fait lire ces sortes de passages d'auteurs païens, dont plusieurs portent avec eux une preuve de la sainteté et de la vérité de notre religion, et qui sont si capables de leur en inspirer du respect. Mais le moyen le plus sûr et le plus efficace pour insinuer aux jeunes gens des sentiments de piété, c'est que le maître en soit lui-même bien pénétré. Alors tout parle en lui, tout est instructif, tout inspire de l'estime et du respect pour la religion, lors même qu'il s'agit de tout autre chose. Car c'est ici l'affaire du cœur encore plus que celle de l'esprit : et pour la vertu, aussi-bien que pour les sciences, la voie des exemples est bien plus courte et plus sûre que celle des préceptes (1).

Ce caractère dominait souverainement dans saint Augustin; et le récit qu'il nous a laissé de la manière dont il instruisait ses disciples peut être d'une grande utilité pour les écoliers aussi-bien que pour les maîtres. On y voit que la qualité la plus essentielle d'un maître chrétien est d'avoir pour ses disciples cet amour de jalousie dont parle saint Paul, qui allume en lui un zèle ardent pour leur salut, et le rende extrêmement sensible à tout ce qui peut y donner la moindre atteinte.

Ce grand saint, après sa conversion, s'était retiré à la

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(1) Longum iter est per præcepta, breve et efficax per exempla. » (SEN, Epist. 6.)

cap. 2.

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St. August. lib. 1, de

Ordin. c. 10.

campagne avec quelques amis, et il y instruisait deux jeunes gens, nommés Licent et Trygèce. Il avait établi des conférences réglées, où il les faisait parter sur différents sujets que l'on proposait. Chacun soutenait son sentiment, et répondait aux questions et aux difficultés qu'on lui faisait. On écrivait tout ce qui se disait de part et d'autre. Il échappa un jour à Trygèce une réponse qui n'était pas tout-à-fait exacte, et qu'il souhaitait qu'on ne mît point par écrit. Licent (1), de son côté, insista vivement au contraire, et demanda qu'elle fût écrite. On s'échauffa de part et d'autre, comme cela est naturel à des jeunes gens, dit saint Augustin, ou plutôt à tous les hommes, qui sont pleins de vanité et d'orgueil.

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Saint Augustin fit une réprimande assez forte à Licent, qui en rougit sur-le-champ. L'autre, ravi du trouble et de la confusion où il voyait son émule, ne put dissimuler sa joie. Le saint, pénétré d'une vive douleur en voyant le secret dépit de l'un et la maligne joie de l'autre, et les apostrophant tous deux : « Est-ce donc ainsi, leur dit-il, que vous vous conduisez? Est-ce là cet amour << de la vérité dont je me flattais, il n'y a qu'un moment, que vous étiez l'un et l'autre embrasés ?» Après plusieurs remontrances, il finit ainsi : « Mes chers enfants, « n'augmentez pas, je vous en conjure, mes misères, qui « ne sont déja que trop grandes. Si vous sentez combien « je vous considère et je vous aime, combien votre salut << m'est cher; si vous êtes persuadés que je ne me sou‹haite rien à moi-même de plus avantageux qu'à vous; enfin si, en m'appelant votre maître, vous croyez me << devoir quelque retour d'amour et de tendresse, toute

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(1) « Quum Trygetius verba sua scripta esse nollet, urgebat Licentius ut manerent; puerorum scilicet more, vel potiùs hominum, proh

nefas! penè omnium: quasi verò gloriandi causâ inter nos illud age

retur.

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«la reconnaissance que je vous demande, est que vous «soyez gens de bien : Boni estote.» Ses larmes coulèrent alors abondamment, et achevèrent ce que son discours avait commencé. Les disciples attendris ne songèrent plus qu'à consoler leur maître par un prompt repentir pour le présent, et par de sincères promesses pour l'avenir.

La faute de ces jeunes gens méritait-elle donc que le maître en fût si touché? N'est-ce pas l'ordinaire de ces sortes de disputes? et vouloir en bannir cette vivacité et cette sensibilité, ne serait-ce pas éteindre toute ardeur d'étude, et émousser la pointe d'un aiguillon nécessaire à cet âge?

Ce n'était point la pensée de saint Augustin. Il ne songeait qu'à retenir dans de justes bornes une noble émulation, et à l'empêcher de dégénérer en orgueil, qui est la plus grande maladie de l'homme. Il était bien éloigné de vouloir la guérir par une autre, qui n'est peut-être pas moins dangereuse, je veux dire la paresse et l'indolence. « Que je serais à plaindre (1), dit-il, d'avoir « de tels disciples, en qui un vice ne pût se corriger que "par un autre vice! »

Voilà une délicatesse de sentiments qui ne se trouve point parmi les païens. Ils conviennent, à la vérité, que l'ambition dont nous parlons ici est un vice; mais, par une contradiction assez bizarre, ils le donnent comme un vice qui devient souvent dans les jeunes gens une source de vertus: Licet ipsa vitium sit ambitio, frequenter Quintil. 1. 1, tamen causa virtutum est ; et (2) ils font tout ce qui est 3 cap. nécessaire pour nourrir et pour augmenter cette maladie.

(1) Me miserum, si necesse erit, tales etiam nunc perpeti, à quibus vitia decedere sine aliorum vitiorum successione non possunt!

(2) Huic vitio (cupiditati gloriæ)

non solùm non resistebant, verùm,
etiam id excitandum et accenden-
dum esse censebant, putantes hoc
utile esse reipublicæ. (S. Aug. lib. 5.
de Civitate Dei, cap. 13.)

Soumettre et rapporter

ligion.

Il n'y a que le christianisme qui remédie à tout, qui déclare généralement la guerre à tous les vices, et qui puisse rétablir l'homme dans une entière santé. La philosophie, avec ses plus beaux préceptes, ne va point jusque – là.

Il faut donc, pour rassembler en peu de mots ce que tout à la re- j'ai dit jusqu'ici, il faut que la raison, après avoir orné l'esprit de son disciple de toutes les sciences humaines, et fortifié son cœur par toutes les vertus morales, le remette entre les mains de la religion, pour lui apprendre à faire un usage légitime de tout ce qu'elle lui aura enseigné, et à le consacrer par là en le rendant * éternel. Elle doit l'avertir que, sans les leçons de ce nouveau maître, tout son travail ne serait qu'un vain amusement, puisqu'il se terminerait à la terre, au temps, à une gloire frivole, à un bonheur fragile; que ce nouveau guide peut seul mener l'homme à son principe, le reporter dans le sein de la Divinité, le mettre en possession du souverain bien où il tend, et remplir ses desirs immenses par une félicité sans bornes. Enfin, le dernier avis qu'elle doit lui insinuer, et le plus important de tous, c'est d'écouter avec une entière docilité les sublimes leçons que la religion lui donnera, de lui soumettre toute autre lumière, et de regarder comme le plus grand bonheur et le plus indispensable devoir de faire servir à sa gloire toutes ses connaissances et tous ses talents.

SECONDE PARTIE.

PLAN ET DIVISION DE CET OUVRAGE.

RÉFLEXIONS GÉNÉRALES SUR CE QU'ON APPELLE LE GOUT. OBSERVATIONS PARTICULIÈRES SUR CET OUVRAGE.

I. Plan et division de cet ouvrage.

En supposant toujours les trois différents objets que les maîtres doivent se proposer dans l'instruction de la jeunesse, et dont il a été parlé dans la première partie de ce discours préliminaire, je diviserai cet ouvrage en six parties.

La première aura pour principal objet la grammaire et l'intelligence des langues qu'on doit apprendre au collége, qui sont : la langue française, la grecque, et la latine.

Dans la seconde je parlerai de la poésie.

La troisième sera plus étendue, et regardera la rhétorique. C'est là principalement que j'essaierai de former le goût des jeunes gens en leur mettant devant les yeux les principales règles que les maîtres de l'art nous ont laissées sur ce sujet, et en joignant à ces règles des exemples tirés des meilleurs auteurs latins et français, dont je tâcherai quelquefois de développer les beautés.

L'histoire fera la quatrième partie. Je comprends sous ce nom l'histoire sainte, qui est le fondement de toutes les autres; la fable, moins ancienne que la vérité, mais qui l'a suivie de près, et qui en a tiré sa naissance en l'altérant et la corrompant; l'histoire grecque, qui renferme aussi celle de quelques autres peuples; et enfin Tome XXV. Tr. des Étud.

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