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c'est à l'Université que j'en suis redevable. J'ai puisé de si grands biens dans ces sources libérales que vous tenez ouvertes également aux pauvres et aux riches, à ceux qui sont sans naissance et aux premiers de la noblesse, comme je l'ai heureusement éprouvé avec un grand nombre d'autres. C'est vous qui, après m'avoir formé par de salutaires leçons pendant le cours de mes études, après m'avoir fait passer par les différents degrés de la profession publique, et m'avoir plus d'une fois honoré de la première dignité de votre corps, m'avez enfin, au bout d'un service de plusieurs années, accordé une retraite où je pusse jouir d'un honorable repos. Mais comme, selon la maxime d'un des hommes les plus sages de l'antiquité, nous ne devons pas être moins en état de rendre compte de notre loisir que du temps de nos occupations, et qu'il n'est pas permis à un honnête homme, encore moins à un chrétien, de se livrer à l'inaction et à la mollesse, voici que je vous offre les fruits de mon loisir, fruits qui vous appartiennent, puisqu'ils sont nés sur votre fonds: heureux s'ils ne dégénèrent point de la bonté du terroir qui les a portés!

C'est votre autorité qui m'a engagé dans cette entreprise. Choisi par vous pour rendre de publiques actions de graces au roi au sujet de l'instruction gratuite qu'il vient de fonder tout récemment parmi nous, j'avais tâché d'exposer en peu de mots quels avaient toujours été l'attention et le zèle

de l'Université pour former les jeunes gens, nonseulement aux lettres, mais bien plus encore à la probité et à la religion. Ce que je n'avais pu que montrer en gros et effleurer légèrement, à cause de la brièveté du temps qui m'était prescrit, vous m'avez ordonné de le traiter avec plus d'étendue. Je sentais bien qu'un pareil ouvrage était au-dessus de mes forces. Mais j'ai mieux aimé paraître manquer de prudence que de docilité : j'ai mis sur-lechamp la main à la plume, et j'ai pris le parti d'écrire en français, afin de pouvoir être entendu d'un plus grand nombre de nos compatriotes. Voici la première moitié de l'ouvrage que je soumets à votre jugement: et je me tiendrai bien récompensé de mon travail, si vous le regardez comme pouvant être de quelque utilité pour la jeunesse.

Dans cette partie qui paraît aujourd'hui, ma principale vue a été (pour ne point toucher ici à ce qui concerne la piété et les bonnes mœurs) de mettre par écrit et de fixer la méthode d'enseigner usitée depuis long-temps parmi vous, et qui jusqu'ici ne s'est transmise que de vive voix et comme par une espèce de tradition; d'ériger, autant que j'en suis capable, un monument durable des règles et de la pratique que vous suivez dans l'instruction de la jeunesse, afin de conserver dans toute son intégrité le vrai goût des belles-lettres, et de le mettre à l'abri, s'il est possible, des altérations et des injures du temps. Ce goût règne aujourd'hui

parmi vous et dans toute la France; et par d'heureux et insensibles accroissements il est parvenu presque au comble de la perfection. Le siècle de Louis-le-Grand, siècle fameux par tant de merveilles, et sur - tout fécond en grands et puissants génies, nous a retracé l'image du savant et poli siècle d'Auguste, et, par des ouvrages qui ne périront jamais, a acquis à notre France une gloire immortelle. Mais plus nous voyons que s'est élevée à un haut point cette gloire du nom français, plus il est à craindre que, ne pouvant plus croître aujourd'hui, elle ne commence peut-être à déchoir et à dégénérer d'elle-même.

Or, j'ose dire ici que la garde de ce précieux dépôt est principalement remise en vos mains et confiée à votre fidélité. Nos rois, à qui doit sa naissance l'Université de Paris, dont le plus glorieux titre est celui de fille ainée des rois, nos rois ont voulu que l'on trouvât dans votre sein une école publique pour toutes les sciences, mais sur-tout pour ce genre de connaissances qui élève et forme les esprits au grand art de bien dire. Ils ont prétendu, en fondant votre compagnie, fonder pour l'éloquence, qui a mérité d'être appelée la reine de l'univers, un domicile, une patrie, une citadelle assurée afin qu'arrosée des sources de l'antiquité grecque et latine, elle n'admît jamais le mélange d'une nouveauté séduisante; afin qu'élevée, pour ainsi dire, par vos mains dans le goût antique, et

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gardée sous une austère tutèle contre l'audace des corrupteurs, jamais elle ne se laissât altérer par fard, par l'afféterie, ni par tous les ornements indignes de sa pureté.

Quand j'avance que vous êtes chargés du soin de conserver ce bon goût dans les ouvrages d'esprit, je ne prétends point, par une témérité inconsidérée, étendre nos fonctions au-delà de leurs justes bornes, ni soutenir qu'au sortir de nos écoles ceux qui s'y sont formés soient parvenus à tout ce qu'il y a presque de plus difficile au monde, c'est-à-dire, soient des orateurs, des poëtes, des philosophes parfaits. Notre devoir est de commencer et de crayonner l'ouvrage, d'en tracer les premiers traits, et non pas de le porter à la dernière perfection. Nous montrons aux jeunes gens le but certain auquel ils doivent tendre, la route assurée qu'ils doivent tenir, les illusions et les dangers qu'ils doivent éviter. En un mot, nous posons les fondements solides de tout l'ouvrage : nous jetons la' bonne semence, la semence choisie, pure, exquise, de tous les beaux-arts. Or, qui ne sait quelle est la force de la semence dans les productions de la terre, quelle est l'importance des fondements dans les édifices? Tout dépend des principes; et néanmoins ces principes ne paraissent point et demeurent enterrés. Dès les premières et plus tendres années, les enfants font briller comme des étincelles Tome XXV. Tr. des Étud.

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et des traits d'esprit qui nous avertissent qu'il n'y a point d'âge si faible qui déja ne puisse prendre la teinture du vrai, et commencer à se former au bon goût. Dans les écrits des Anciens qu'on leur fait lire ils peuvent aisément, pourvu qu'ils aient un bon guide, choisissant parmi tant de choses excellentes qui se présentent de toute part, cueillir comme une fleur exquise d'agrément naturel et délicat ; ou plutôt, faire une ample récolte de fruits admirables pour leur bonté, dont ils feront leur nourriture ordinaire, et par là s'accoutumeront à ne goûter que ce qu'il y a de plus parfait. L'esprit, formé et nourri de ce suc de l'antiquité, le transforme en sa substance, et, se fortifiant peu-à-peu, en vient au point que l'idée du beau, que l'on s'est rendue familière par l'habitude avec les Anciens, et qui s'est profondément gravée dans l'ame, y produit son effet même sans que l'on y pense, et rend l'ouvrage conforme au modèle, même sans la réflexion de l'artisan; en un mot, fait renaître dans les hommes d'aujourd'hui le goût de l'élégance attique et de l'urbanité romaine.

Ainsi se forment les grands hommes dans la république des lettres. C'est de cette source qu'est sorti ce nombreux essaim d'écrivains excellents en tout genre qui ont fait l'ornement du siècle de Louis XIV, et qui brillent encore aujourd'hui. Tous ils ont eu le goût antique; et il suffit d'une légère connaissance de l'antiquité pour reconnaître que

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