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SÉANCE PUBLIQUE

DE LA

SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE,

COMMERCE, SCIENCES ET ARTS

DU DÉPARTEMENT DE LA MARNE, Tenue à Châlons, le 27 août 1823.

QUELQUES VUES

SUR L'ÉDUCATION DU LABOUREUR.

DISCOURS prononcé à l'ouverture de la séance, par M. DUPUIS, bibliothécaire de l'École royale d'Arts et Métiers de Châlons, Président annuel.

MESSIEURS,

CHAQUE profession a son apprentissage et une éducation particulière dont le temps est proportionné aux difficultés de cette profession. L'agriculture seule, dans les jeunes gens qui se destinent à ce premier des arts, est abandonnée aux leçons orales des parens, aux exemples muets des voisins; elle ne s'apprend que par une routine aveugle, incapable d'aucun perfec

tionnement, ne faisant que ce qu'elle a vu faire, et. n'imaginant jamais qu'il soit possible d'aller au delà.

Que dans ces heureuses contrées où la terre, pour répondre aux voux du plus avide laboureur, n'a besoin que d'un travail pénible, mais peu savant, mais peu compliqué, on ne voie point s'élever de ces établissemens destinés à rassembler une jeunesse intelligente et robuste qui prête une oreille attentive à des leçons théoriques d'agriculture, et qui suive avec soin les opérations habiles et nouvelles par lesquelles on parvient à fertiliser les champs les plus rebelles à l'art, on n'a pas lieu de s'en étonner, ils sont peu nécessaires; que dans les départemens de l'est et du nord, les écoles primaires des campagnes n'offrent aucune leçon de labourage, ni l'indication d'aucun moyen de tirer du sein de la terre ce qu'elle semble produire d'elle-même, cela peut se concevoir encore mais par rapport à plusieurs départemens couverts de landes et de bruyères, par rapport à notre département si remarquable par ses plames crayeases, grêveuses et arides, dont la culture exige toutes les ressources de l'esprit d'observation, n'a-t-on pas sujet de déplorer l'absence de toute leçon régulière et méthodique d'agriculture? n'a-t-on pas à regretter que nos jeunes villageois soient si peu familiarisés avec les pratiques les plus propres à arracher d'utiles productions du sein de celle terre dont l'aspect fait craindre au voyageur surpris qu'elle ne puisse pas fournir à la subsistance des hameaux clair-semés le long des faibles ruisseaux qui y serpentent.

On dira peut-être que nous sommes bien loin de manquer des moyens de pousser à sa perfection l'art d'améliorer nos terres! On objectera que la protection, que les encouragemens accordés à l'agriculture par un gouvernement jaloux de procurer le bonheur des peuples; que le zèle et l'équité avec lesquels les

décerne le premier Magistrat que nous avons le bonheur de posséder depuis vingt-trois ans ; que les travaux d'une Société d'agriculture, secondés par le nouvel établissement des Comices agricoles qui, à leur naissance, promettent déjà les plus heureux résultats; que toutes les idées utiles, toutes les découvertes en agriculture qui se propagent par l'intermédiaire des journaux, des ouvrages périodiques, doivent suffire pour assurer à jamais la prospérité toujours croissante de notre département !

Je ne craindrai pas de répondre que ces moyens, tout efficaces qu'ils sont pour la masse des gens instruits, ne peuvent avoir sur chaque agriculteur en particulier l'influence directe, continue, qu'auraient des leçons inculquées dès l'enfance, à la vue du sol ingrat qu'il faut faire valoir, des leçons qui, en donnant des connaissances raisonnées opèrent la conviction, inspirent un zèle éclairé, soutenu, appuyé par l'exemple du succès. Sans des instructions communes et générales où l'on ramasse comme en un faisceau les lumières du siècle sur l'art de faire fructifier les terres, comment transmettre jusqu'aux plus pauvres laboureurs tout ce qui se fait, tout ce qui se publié de plus important pour les progrès de notre agriculture? Qu'est-ce qui peut tenir lieu de ces préceptes de labourage et d'économie rurale, de ces leçons de morale appropriée à la profession des laboureurs qu'on recevrait dans des établissemens créés ou organisés à dessein?

C'étaient ces considérations, Messieurs, qui m'avaient engagé, il y a quelques années, à vous parler d'une école d'agriculture qu'on eût placée dans une des plaines les plus infertiles de notre département, et où, joignant la pratique à la théorie, l'on eût pu se livrer, sans compromettre aucune fortune, à des essais dont le défaut de succès même est une utile leçon qui dédom– mage de la perte de quelques avances. Ce projet ne pa

raîtra pas sans doute une chimère à ceux qui connaissent les avantages inestimables que procure à la Suisse l'école d'agriculture établie à Hofwill, par M. de Fellenberg. Ne pourrait-on pas, en Champagne aussi bien que dans le canton de Berne, donner le modèle d'une agriculture portée au plus haut point de perfection dont soit susceptible l'exploitation d'un certain espace de mauvais terrain? Ne pourrait-on pas, à l'exemple de l'ingénieux et philantrope Fellenberg, consacrer quelques propriétés foncières d'une ferme-école à un cours systématique d'expériences agricoles destinées à éclairer successivement les questions qui divisent les agriculteurs, et à résoudre les problèmes d'agriculture les plus intéressans? Ne serait-il pas facile, dans les intervalles que laissent les travaux agricoles, d'enseigner à des jeunes gens, rassemblés exprès, la théorie sans laquelle la pratique marche souvent au hasard, et l'instruire à fond, ainsi que lui inspirer l'amour des vertus par lesquelles scules on rend les travaux utiles à soi et aux autres.

Quoi qu'il en soit de ce projet dont l'exécution n'attend peut-être qu'un Fellenberg champenois, nos écoles primaires ne peuvent-elles pas être organisées de manière à présenter à la jeunesse des champs des leçons élémentaires sur toutes les parties de l'agriculture et de l'économie rurale. Des peuples voisins nous ont précédés en cela avec un succès incontestable. Parcourez l'Angleterre, l'Écosse particulièrement, vous trouverez, entre les mains des élèves des écoles de village, des cahiers qui leur parlent de ce qu'ils auront à faire pour fertiliser la terre qu'ils arroseront bientôt de leurs sueurs. Aussi, c'est dans ce pays plus qu'ailleurs qu'on rencontre des villageois intelligens qui n'ont de grossier que l'habillement, jouissant d'une aisance qu'ils ne doivent qu'à eux-mêmes, qui aiment à développer leurs connaissances, à les répandre, à les propager.

Pourquoi ne chercherions-nous pas à procurer à nos jeunes compatriotes ces mêmes avantages d'une instruc tion agricole bien entendue? pourquoi nos écoles primaires ne seraient-elles pas comme des foyers où vien→' draient se réunir en petit les lumières que versent sur le monde les sociétés savantes et les agronomes instruits? pourquoi ne pas extraire de leurs ouvrages les notions les plus simples et le mieux appropriées à l'agriculture de notre département ? Pourquoi, en bannissant de nos écoles de village l'enseignement individuel, et cet usage barbare d'y faire lire aux enfans, l'un après l'autre, des volumes dépareillés, insignifians ou inintelligibles, n'y introduirait-on pas l'utile méthode d'initier et de former à la lecture les élèves dans des livrets ou dans des tableaux, soit imprimés, soit écrits, destinés à une même classe, et qui auraient pour objet ce qui sera l'occupation de toute leur vie? Serait-il si difficile de faire passer successivement sous leurs yeux, depuis l'âge de neuf ou dix ans jusqu'à quinze, terme ordinaire de la fréquentation des écoles, des traités sommaires d'agriculture et d'économie rurale? Serait-il impossible qu'aux vérités évangéliques et à la morale religieuse, bases essentielles de toute éducation, qu'aux leçons d'écriture et de calcul, objets nécessaires de l'enseignement primaire, succédassent, présentées simulta¬ nément, et selon le besoin des localités, des instruc→ tions sur les moyens de tirer des plus mauvaises terres tout le parti possible, sur la conservation des grains, sur les soins que l'on doit aux bestiaux, sur les plantations, sur la culture des vignes, sur le jardinage, sur les objets des trois règnes de la nature qui doivent être le plus familiers aux laboureurs? Ne pourrait-on pas ajouter à ces connaissances, dans chaque école, un tableau statistique de la commune et des territoires contigus qui, outre la description des ressources naturelles et industrielles, particulières au pays, non

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