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avances, ni expériences au profit d'autrui. Les proprié taires riches, satisfaits de recueillir commedément leurs revenus, les consommaient dans les villes sans même avoir l'idée d'en rien rendre aux champs qui les avaient produits. Ceux qu'une fortune bornée réduisait au séjour de la campagne luttaient contre leurs propres be soins pour suffire à l'entretien et à l'entrée dans le monde de leurs enfans; d'ailleurs machinalement asser vis aux procédés anciens, s'en détourner leur eût semblé une dérogeance.

can,

Vers les dix dernières années du xv.* siècle, une commotion dont il ne m'appartient ni de rechercher les causes, ni de décrire les effets autres que ceux qui tou chent aux objets de nos travaux, une commotion..... une tempête furieuse souleva, bouleversa le sol entier de la France... On suppose que le spectacle d'un volvomissant la laye enflammée, a donné l'idée de la fusion des métaux, c'est ainsi que du sein des orages de la révolution jaillirent des lueurs inconnues; de l'agitation des esprits surgirent des idées nouvelles. La lave avait ravagé les contrées environnantes, mais la fusion des métaux, si favorable à la civilisation, nous est restée. De même les feux de la révolution semèrent l'incendie, mais les conceptions généreuses qu'ils ont fait éclore nous restent; et s'il est vrai que les hommes doivent acheter par de douloureuses compensations jusqu'au moindre avantage, subissons la nécessité, ou blions le mal passé, jouissons du bien qui demeure, et ne faisons pas la folie de le répudier, en haine de son origine.

A l'époque que je viens de rappeler, le cultivateur fut affranchi des servitudes qui lui enlevaient une partie du prix de son travail; une grande quantité de terres jusqu'alors inalienables et concentrées en peu de mains, rentra dans le commerce, le nombre des propriétaires

s'accrut, et l'émulation, l'intérêt personnel plus étendu, la liberté, préparèrent à l'agriculture les améliorations que nous avons vu s'opérer. En même temps les arts, délivrés des langes dans lesquels ils étaient comprimés, sortirent du cercle où les tenaient circonscrits les jurandes, nécessaires peut-être pour la création de l'industrie, mais évidemment funestes à son développement; les arts, dis-je, ne craignant plus d'empiéter l'un sur l'autre, et de rencontrer, à chaque pas qu'ils voudraient faire, un privilège pour les repousser, s'élancèrent; et librement ils ont parcouru une carrière jusqu'ici sans limites.

Les préjugés ont fui devant la raison.... Les préjugés ! A ce mot, n'allez pas, Messieurs, me ranger au nombre de ces novateurs sans discernement qui flétrissent de ce nom tout ce qui contrarie leur manière de voir, ni à ces imprudens enthousiastes qui ne comprirent pas que les véritables préjugés mêmes ne pouvaient être subitement attaqués ou détruits, sans que la société ne fut périlleusement compromise, parce que, sanctionnés par le temps, ils étaient entrés comme bases constitutives de l'état des choses. Mais enfin, la Providence a permis ce que nous avons vu. Elle permettra, n'en doutons pas, que les idées extrêmes, les fausses doctrines engendrées par l'éruption des esprits, ainsi que les erreurs anti-sociales que nourrissent l'irréflexion et des habitudes surannées, se dissiperont comme la poussière, et que la raison, la vérité, pures et brillantes s'éleveront seules au-dessus du désordre des opinions....

Pardonnez-moi, Messieurs, cette courte explication sans laquelle j'aurais pu courir le risque d'être mal compris.

Les préjugés ont fui devant la raison; on a senti enfin que l'orgueil et l'oisiveté n'étaient point honorables, que la société est dans l'universalité et non dans

les exceptions, et qu'on n'a le droit d'y prendre rang qu'en proportion de l'utilité qu'on y apporte. Une masse de lumières et de ressources inertes jusqu'alors a trouvé son emploi, le génie s'est associé au travail, et dans un concours remarquable, tandis que l'un a multiplié ses conceptions, l'autre en a perfectionné l'application.

Un Gouvernement éclairé, protégeant cet essor gé néreux, a précipité ses succès, et nous, Messieurs, placés sous l'administration équitable et douce d'un Magistrat qui compte ses amis par le nombre de ses administrés, nous trouvons dans notre affection et dans sa confiance, le soutien de notre zèle et la première récompense de nos efforts.

ÊTRE UTILE, chacun dans l'étendue de ses facultés, est donc le devoir de tous les citoyens, j'ai dit même que c'est une des conditions à ce titre. Tel est le but des Sociétés que le Gouvernement encourage: C'est un centre où viennent se réunir les conseils de l'expérience, les résultats des épreuves, les spéculations des érudits; elles les sèment autour d'elles de même qu'un réservoir épanche ses eaux fertilisantes sur les terreins qui l'avoi sinent.

Mais, Messieurs, si l'on paye de quelque bienveil lance le zèle des Sociétés d'agriculture, elles se font le devoir de reconnaître qu'il aurait souvent peu d'effica cité sans le concours de ces hommes généreux, toujours prêts à associer leurs efforts à ceux que réclament la gloire nationale et la prospérité publique. Notre département, à cet égard, n'a rien à envier aux autres, et cet hommage public, que je me plais à rendre au dévouement de nos concitoyens, est une des plus douces attributions dont m'honore la confiance de mes Collégues.

C'est par des essais que, nouveaux Triptolêmes, ils ont risqués les premiers, que l'agriculteur, naturellement en garde contre les nouveautés, apprit à se dé

tourner de sa routine héréditaire. Il attendit la réussite pour les imiter, et n'ouvrit l'oreille aux préceptes qu'après que les exemples eurent frappé ses yeux.

Ce premier succès était le plus difficile à obtenir; il est si doux de se laisser aller à l'habitude, si commode de suivre des routes battues au lieu d'en ouvrir de nouvelles, même pour arriver plutôt; et puis, lorsque notre intérêt personnel peut être compromis par les innovations, il est naturel, il est sage d'hésiter à les hasarder.

Cependant, Messieurs, cette circonspection que je n'ose blâmer a retenu l'essor de l'agriculture et l'entrave même encore. Par exemple, les essais des nou~ veaux procédés se font avec défiance, légèreté et parcimonie. On ne risque les expériences qu'en petit, et souvent elles n'échouent qu'à cause de l'insuffisance des moyens et des précautions qu'exigeaient les épreuves. On opère isolément. On se renferme dans le cercle étroit de l'intérêt privé; il semble que chacun ne voudrait réussir que pour soi; et ce calcul de l'égoïsme trompe le vér table intérêt et retarde la prospérité générale. Nous ne voyons point en France, comme en un pays voisin, de ces associations qui, pour suppléer l'insuffisance individuelle, réunissent en commun des forces susceptibles de consommer des ouvrages majeurs tels que des canaux, des desséchemens des plans combinés d'irrigation, le perfectionnement en grand des instrumens aratoires. On attend tout du Gouvernement qui ne peut tout faire, et dont l'administration libérale appelle toutes les capacités et seconde tous les projets utiles.

C'est pourtant par le moyen que je viens d'indiquer, et par d'autres d'une semblable nature, que le systême de la petite propriété qui divise aujourd'hui les opinions, s'affranchirait du seul reproche spécieux dont il est l'ob

jet; l'impossibilité où il réduit les propriétaires de faire les avances et les frais nécessaires aux améliorations.

Sans doute, le temps nous créera encore cette ressource; oui, Messieurs, espérons. Tout le bien qu'on peut souhaiter se fera, l'impulsion est donnée, la direction des esprits ne sera pas détournée, et ce n'est point en France que les idées saines sont en danger de rétrograder. Ne voyons-nous pas déjà s'introduire dans nos mœurs une habitude dont les effets ne peuvent qu'être avantageux à l'agriculture? Je veux parler du séjour des propriétaires à la campagne, plus général et plus prolongé qu'autrefois. Pour encourager cette salutaire disposition, je n'essayerai pas de rafraichir la peinture un peu décolorée de la félicité champêtre; je n'appliquerai point à la campagne ce vers qu'un ancien poëte appliquait aux œuvres de Malherbe:

Tous métaux y sont or, toutes Aeurs y sont roses.

L'innocence et la candeur pastorales ont perdu leur crédit et l'idylle a passé de mode. Mais en faisant la part de l'éxagération poëtique, combien ne reste-t-il pas encore de motifs pour s'affectionner au séjour des champs? Hésiterai-je à placer au premier rang l'intérêt personnel? Non, Messieurs, lorsqu'il prend sa source dans les produits ruraux, cet intérêt s'unit de si près à l'intérêt général, qu'il semble dégagé de toute idée d'égoïsme et qu'il n'expose jamais au reproche honteux d'avidité. Ce n'est qu'en prêtant à la terre que l'usure, au lieu d'être un vice, devient une vertu sociale, parce que plus on en retire, plus on ajoute à la richesse commune.

A la ville, les affaires sont mêlées de soucis, les do voirs embarrassés par les égards de bienséance, et les plaisirs contrariés par la fâcheuse nécessité de faire comme les autres. Aucune entrave de cette nature no

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