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confier la garde à des lois barbares qui semblaient dire aux gens: Vous ne ferez pas de progrès.

Les négocians, eux-mêmes, n'avaient aucune relation avec les savans ou avec les artisans qui eût pour but une spéculation commerciale, et ils trafiquaient timidement sur l'achat et la vente. A la vérité, de temps en temps, quelques-uns se montraient plus hardis que les autres; mais dégoûtés par le mauvais succès de leurs premières tentatives, mesquinement faites, avec les inventeurs théoriciens ou avec les inventeurs praticiens, pour imiter les produits de l'étranger, ils retournaient à la routine de l'impor

tation.

Néanmoins l'agitation que la recherche des lumières avait communiquée aux esprits supérieurs commençait à gagner toutes les classes, et les artistes naissaient en foule parmi nous. Mais l'artiste est fier; il a besoin d'estime et d'encouragement. Les nôtres, privés d'appréciateurs, dédaignés, malheureux, portaient avec désespoir le fruit de leur gé nie chez l'étranger qui, plutôt réveillé que nous de la léthargie féodale, les accueillait

avec empressement et se parait de nos biens qu'il avait, il faut le dire, légitimement acquis. Les arts luttaient ainsi dans cette angoisse qui précède l'anéantissement ou le réveil énergique de la force vitale.

Tous les élémens de prospérité existaient donc réellement chez nous : mais ils ne marchaient pas d'accord vers l'utilité générale. La nation, pénétrée du sentiment exquis de ce qui est bien, cherchait avec incertitude un objet à ses voeux, et croyait l'apercevoir dans tout ce qu'elle voyait de loin, parce que l'éloignement flatte toutes les images.

Aussi, chez nous, une chose nouvelle n'avait de valeur que lorsqu'elle venait de loin. Alors il était du bon ton de ne trouver beau que ce qui n'était pas français. Il n'y avait de philosophie que chez les Anglais, d'esprit militaire qu'en Prusse, de force corporelle qu'en Turquie, de savoir qu'en Allemagne, de goût qu'en Italie!.... Enfin, tout ce qui était étranger était beau, tout ce qui était français perdait sa valeur.

C'est ainsi que le métier à bas, inventé par un français, repoussé par les compatriotes de l'inventeur, est accueilli avec avidité par

les Anglais, et nous a paru dès-lors digne de la réimportation.

C'est ainsi que la doctrine du Chevalier Paulet, inappréciée, tombe dans la désuétude et nous paraît admirable quand nous la recevons des Anglais, sous le titre de Méthode lancastérienne ou d'Enseignement mutuel.

C'est ainsi, enfin, que de nos jours: car les mauvaises habitudes des nations durent encore long-temps après que la cause en est détruite; c'est ainsi, dis-je, que nous avons vu ce malheureux Lebon donner pendant plusieurs années aux habitans de la capitale le spectacle de l'éclairage par le gaz hydrogène, et qu'il est mort sans avoir eu la consolation de voir l'enthousiasme que sa découverte a excitée quand elle est revenue d'Angleterre.

Ce sentiment d'injustice et d'abnégation provenait-il d'un manque d'estime de la nation pour elle-même ? non; mais le Français, au sein de l'immense gloire que ses succès isolés lui avaient acquise dans tous les genres, cherchait un bien qui manquait à son bonheur. Il fallait que des institutions, en lui faisant sentir qu'il était compté pour quelque chose dans fissent battre son coeur généreux

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pays,

au doux nom de patrie, ce nom si cher qu'un Roi philosophe a rendu plus cher encore en le confondant avec le sien dans son ouvrage immortel! Il fallait que cette admirable affection vînt détruire tous les obstacles qui s'opposaient à l'unité d'action entre toutes les professions. Il fallait qu'elle vînt renverser toutes les barrières que la barbarie gothique avait mises autour de chacune d'elles.

Cependant la philosophie (c'est le nom qu'on donnait à l'étude des sciences à l'époque du réveil de l'esprit humain). La philosophie d'abord pédante, admirant tout sur parole et fondant ses argumens, non sur les faits, mais sur les écrits des anciens;

Puis raisonneuse, expliquant tout, appuyant les conclusions les plus graves sur des hypothèses nouvelles, fruits ingénieux, mais encore incertains d'une imagination vive, impatiente de jouir, qui se contentait de l'image. de la vérité pour s'éviter la peine de creuser le puits où elle était cachée;

Ensuite, appelant à son secours les Arts, qu'elle invite à s'élever jusqu'à elle ; observatrice zélée, patiente, infatigable, obstinée, et ne faisant un pas qu'après avoir assuré

l'autre, la philosophie s'élève et fait enfin briller à tous les yeux le flambeau de la vérité.

Plus d'hypothèses, plus d'incertitudes; on ne cherche plus à deviner les secrets de la nature, mais à les découvrir. La vérité seule désormais préside aux travaux des enfans de Minerve. Toutes les études, toutes les recherches, toutes les combinaisons se font à la lueur de son céleste flambeau, autour duquel se rassemblent, sans distinction, tous ceux qui sont avides du savoir.

Ne nous arrêtons pas, Messieurs, à considérer si le triomphe des sciences et des arts unis a eu lieu au sein des orages, au milieu des troubles et des malheurs publics. Laissons à l'histoire attentive le soin de raconter ces faits douloureux à la postérité qui, toujours juste, toujours exempte de passions, saura mieux que les contemporains distribuer le blâme et la louange à chacun, suivant son mérite. Pour nous, dont la mission est toute pacifique, nous ne connaissons de parti que celui des arts utiles contre l'erreur et contre les préjugés qui s'opposent à leurs progrès.

Placés entre le foyer de la lumière et l'immense espace qu'elle doit éclairer, nous

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