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Levant contre Bacchus un étendart rebelle,
A son pampre divin opposant le houblon,
Et remplaçant l'Ay par sa vile boisson!
Croit-il donc usurper les honneurs de la treille?
Et son orge vaut-elle une grappe vermeille ?
Contre une eau fermentée il change ce trésor !
Où l'égare, grands Dieux, l'ardente soif de l'or!
Il est moins altéré de son pesant breuvage.

A de froids amateurs qu'il en prône l'usage.
Il sait fort bien le vendre.... il n'en goûte jamais;
Le pétillant Champagne a pour lui plus d'attraits.
Mais, va-t-il s'écrier, cette liqueur chérie,
Dans nos caveaux déserts voit sa source tarie;
Sous un Ciel pluvieux nous cachant ses rayons,
L'astre qui murit tout a déserté ces monts;

Il nous sourit à peine..... et sa trop longue absence
D'un riche récolte a détruit l'espérance.

Au défaut du nectar que nous refuse un Dieu,
Il faut bien suppléer.... qu'un Brasseur a beau jeu !
Sur le malheur des temps il fonde son commerce;
Autour de son germoir un fol espoir le berce.
Croit-il avec sa bière et ses flots écumeux,
Imiter du Champagne et la mousse et les jeux ?
Nous offrir son piquant et sa délicatesse ?
Des palais exercés abuser la finesse?

Et par un choix heureux d'ingrédiens flatteurs,
Atteindre l'art savant de nos distillateurs,
Où de fripons adroits, sous des attraits perfides,
Déguisant le poison de leurs vins homicides?

Sans doute il est plus franc ce débitant nouveau ;

Il faut boire, oui vraiment; eh bien! buvons de l'eau. C'est pour un Champenois un régime sévère.... L'eau du moins est plus saine et mon goût la préfère. Je crois y voir briller la divine liqueur

Qui des fils d'Apollon anime la vigueur:

C'est le nectar du Pinde... et ce mélange immonde
Offre-t-il aux esprits une vertu féconde ?
Dans un jus rebutant, mon œil épouvanté
Croit voir les sucs amers que vend la Faculté.
Mais quoi cet art trompeur a pris un vol rapide :
Déjà par l'intérêt, spéculateur avide,

De nouveaux concurrens se laissent entraîner,
Inondent le vignoble et vont l'empoisonner.
Arrêtons les progrès de cette épidémie.

Par tes sucs malfaisans, & liqueur ennemie !
Le bon goût dépravé se gâte pour jamais;
Bientôt dans son asile il n'est plus de gourmets.
Au pied de ses coteaux que le Ciel favorise
Qui donc ose former une telle entreprise?
Serait-ce un étranger, un Batave, un Flamand,
Froid comme l'air épais, son premier élément,
Dont le mol embonpoint si pesamment sommeille,
Que rarement Bacchus par sa pointe réveille ?
C'est un enfant d'Ay... Mais peut-il s'en vanter?
Ce beau sol l'a vu naître, il doit le rejeter?
L'ingrat trahit son Dieu... le perfide! il oubli●
Qu'il puisa dans son sein une seconde vie,
Qu'il lui doit sa vigueur?.. et que, dans ses travaux,
Bacchus sait l'enflammer par des élans nouveaux.
Il le quitte... et pourquoi ?... D'une main téméraire

Tristement il prépare une liqueur amère.
Près des riches pressoirs où bouillonne le vin
Un breuvage fangeux insulte un jus divin.
Mais quoi! ce Dieu puissant...ce bienfaiteur du monde,
Protégeant nos coteaux et leur source féconde,
Qui voit briller par-tout ses honneurs immortels,
Laisserait dans Ay déserter ses autels!

Non, non: Bacchus jaloux de fixer notre hommage
Ne pourra supporter un tel excès d'outrage;
D'un indigne rival il confondra l'espoir;
Il saura le punir de braver son pouvoir,
D'affliger sans pudeur sa bonté paternelle;
D'un traître il châtira l'audace criminelle.
Oui, bientôt escorté de tous les francs buveurs,
D'un culte abandonné, généreux défenseurs,
Bacchus de son empire affermira le siége;
Il saura démolir cet autel sacrilége,
Où de vils déserteurs dédaignant ses attraits
Vont d'un jus si vulgaire humecter leur palais.
Qu'il s'arme, qu'il dissipe une ligue rébelle;
Nous la verrons croûler cette cuve infidelle!
Oui, la Marne elle-même, en son lit indolent,
A cet aspect nouveau soudain se réveillant,
D'un Dieu qu'elle révère a ressenti l'injure;
De courroux elle écume et pousse un long murmure;
Elle ronge ses bords, et déjà sourdement,

D'un refuge odieux mine le fondement.
Comme elle va rouler dans ses vagues rapides
Et l'insolente usine et ses sucs insipides!
Honteuse de fournir le tribut de son eau,

Crains, & fier Novateur! qu'elle t'ouvre un tombeau,
Pour instruire à jamais, par ce terrible exemple,
Que des Dieux un mortel doit respecter le temple.
Sur les bords de l'abime, arrête... il en est temps,
Abandonne, crois-moi, tes projets insultans;
D'une coupable erreur abjure la folie;

Au culte de Bacchus tout buveur se rallie.
Reviens; ce Dieu charmant, père de la gaîté,
Par sa vive chaleur anime la santé.

Que produit ta boisson fade et mélancolique ?
Le dégoût, les langueurs, la poignante colique,
D'un breuvage glacé trop juste châtiment.
Sied-il à des Français, ce régime allemand?
Veux-tu nous infuser le flegme de la Frise,
Ou les sombres vapeurs qu'enfante la Tamise?
Ce triste jus peut-il égayer nos chansons?
Pourrait-il célébrer les vertus des Bourbons?
De la France charmée inspirer les poëtes,
Pour le meilleur des Rois assaisonner nos fêtes
Saluer des santés si chères à nos cœurs !

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Il faut pour nos plaisirs de plus douces liqueurs.
Puisse bientôt paraître une sage ordonnance,
Qui de tes froids poisons prescrive l'abstinence!
Bacchus à ses amis rendra cet heureux tems
Où nos tables s'ornaient de ses dons éclatans.
Cesse enfin d'avilir le sein de ta patrie;
Va, cours porter ailleurs ton obscure industrie.
Laisse-là ces apprêts, ou tremble, audacieux!...
Jamais impunément on n'outrage les Dieux.

EXTRAIT DE L'ÉPITRE

AUX MANES DE DELILLE ; Par M. CORDA, associé correspondant.

L'auteur de cette pièce, composée au retour des BOURBONS, voulant gagner de primauté les poëtes qui brûleront d'exercer leurs verve sur la Cérémonie auguste et désirée du sacre du Roi, s'est empressé de s'emparer à l'avance de ce sujet.

Potrz harmonieux, dont la Muse immortelle

OÊTE

Savait tout embellir d'une grace nouvelle,

Cueillait toutes les fleurs, saisissait tous les tons;
Peintre de la nature et chantre des BOURBONS,
Qui, fidèle à ton Prince au fort de la tempête,
Sous un joug oppresseur n'as point courbé la tête....
Que j'aime de tes chants * l'éloquente douleur
Quand tu défends si bien la cause du malheur !
D'augustes opprimés quand ton âme indignée
Déplorait la grandeur proscrite et résignée,
Tes accens ranimaient le courage abattu
Enflammaient l'amitié, soutenaient la vertu ;
De tous les bons Français tu calmais la souffrance,
Tu caressais les voeux, tu flattais l'espérance;

♦ Le poëme de LA PITIS.

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