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l'on vit paroître en un moment dans toute l'Europe, fans qu'elles tinffent à celles que l'on avoit jufqu'alors connues; de ces lois qui ont fait des biens & des maux infinis; qui ont laiffé des droits quand on a cédé le domaine; qui, en donnant à plufieurs perfonnes divers genres de feigneurie fur la même chose ou fur les mêmes perfonnes, ont diminué le poids de la feigneurie entiere; qui ont pofé diverfes limites dans des empires trop étendus; qui ont produit la regle avec une inclinaifon à l'anarchie, & l'anarchie avec une tendance à l'ordre & à l'harmonie.

Ceci demanderoit un ouvrage exprès; mais, vu la nature de celui-ci, on y trouvera plutôt ces lois comme je les ai envifagées, que comme je les ai traitées.

C'eft un beau fpectacle que celui des lois féodales. Un chêne antique (a) s'éleve; l'oeil en voit de loin des feuillages, il approche, il en voit la tige; mais il n'en apperçoit point les racines: il faut percer la terre pour les trouver.

(a)...... Quantum vertice ad oras

.........

thereas, tantùm radice ad tartara tendit.

Virgile

CHAPITRE II.

Des fources des lois féodales.

LES

ES peuples qui conquirent l'em pire Romain étoient fortis de laGermanie. Quoique peu d'auteurs anciens nous ayent décrit leurs moeurs, nous en avons deux qui font d'un très-grand poids. Céfar, laiffant la guerre aux Germains, décrit les mœurs (a) des Germains; & c'eft fur ces moeurs qu'il a réglé quelques-unes (b) de fes entreprifes. Quelques pages de Céfar, fur cette matiere, font des volumes.

Tacite fait un ouvrage exprès fur les mœurs des Germains. Il eft court, cet ouvrage ; mais c'eft l'ouvrage de Tacite, qui abrégeoit tout, parce qu'il voyoit

tout.

Ces deux auteurs fe trouvent dans un tel concert avec les codes des lois des peuples barbares que nous avons, qu'en lifant Céfar & Tacite, on trouve par-tout ces codes; & qu'en lifant ces codes,on trouve par tout Céfar & Tacite.

(a) Livre VI.

(b) Par exemple, fa retraite d'Allemagne, ibidi.

Que fi, dans la recherche des lois féodales, je me vois dans un labyrinthe obfcur, plein de routes & de détours, je crois que je tiens le bout du fil, & que je puis marcher.

CHAPITRE III.
Origine du vaffelage.

CESAR

ÉSAR dit (a) que « les Germains ne s'attachoient point à l'agri» culture; que la plupart vivoient de » lait, de fromage & de chair; que » perfonne n'avoit de terres ni de li» mites qui lui fuffent propres; que les » princes & les magiftrats de chaque > nation donnoient aux particuliers la » portion de terre qu'ils vouloient, » dans le lieu qu'ils vouloient, & les

obligeoient l'année fuivante de paffer » ailleurs. Tacite dit (b), que chaque » prince avoit une troupe de gens qui » s'attachoient à lui & le fuivoient ». Cet auteur qui, dans fa langue, leur donne un nom qui a du rapport avec

(a) Liv. VI, de la guerre des Gaules. Tacite ajoute: Nulli domus, aut ager, aut aliqua cura; prout ad quem venêre aluntur. De morib. Germ.

(b) De moribus German.

leur état, les nomme compagnons (a). Il y avoit entr'eux une émulation finguliere (6) pour obtenir quelque diftinction auprès du prince & une même émulation entre les princes fur le nombre & la bravoure de leurs compagnons. C'eft, ajoute Tacite, la dignité, c'est la puiffance d'être toujours entouré » d'une foule de jeunes gens que l'on a » choifis; c'eft un ornement dans la » paix, c'est un rempart dans la guerre. » On fe rend célebre dans fa nation & » chez les peuples voifins, fi l'on fur» paffe les autres par le nombre & le » courage de fes compagnons: on reçoit » des préfens; les ambaffades viennent » de toutes parts. Souvent la réputation » décide de la guerre. Dans le combat »il eft honteux au prince d'être infé»rieur en courage; il eft honteux à la > troupe de ne point égaler la valeur du » prince; c'eft une infamie éternelle de » lui avoir furvécu. L'engagement le » plus facré, c'eft de le défendre. Si » une cité eft en paix, les princes vont » chez celles qui font la guerre; c'eft par-là qu'ils confervent un grand

(a) Comites. (b) Ibid.

» nombre d'amis. Ceux-ci reçoivent d'eux le cheval du combat & le jave»lot terrible. Les repas peu délicats, » mais grands, font une efpece de folde » pour eux. Le prince ne foutient fes. » libéralités que par les guerres & les » rapines. Vous leur perfuaderiez bien » moins de labourer la terre & d'at» tendre l'année, que d'appeller l'en-. » nemi & de recevoir des blessures; » ils n'acquerront pas par la fueur ce » qu'ils peuvent obtenir par le fang".

Ainfi, chez les Germains, il y avoit des vaffaux & non pas des fiefs : il n'y avoit point de fiefs, parce que les, princes n'avoient point de terres à donner; ou plutôt les fiefs étoient des chevaux de bataille, des armes, des repas. Il y avoit des vaffaux, parce qu'il y avoit des hommes fideles, qui étoient liés par leur parole, qui étoient engagés pour la guerre, & qui faifoient à peu près le même fervice que l'on fit depuis pour les fiefs.

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