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par ces mots, affranchis de tributs; expreffion dont on peut fe fervir, dans la langue Françoife, comme on dit affranchis de foins, affranchis de peines: mais, dans la langue Latine, ingenui à tributis, libertini à tributis, manumiffi tributorum, feroient des expreffions monftrueuses.

Parthenius, dit Grégoire de Tours (a), penfa être mis à mort par les Francs, pour leur avoir impofé des tributs. M. l'abbé Dubos (b), preffé par ce paffage, fuppofe froidement ce qui eft en queftion: c'étoit, dit-il, une furcharge.

On voit, dans la loi des Wifigoths (c), que, quand un barbare occupoit le fonds d'un Romain, le juge l'obligeoit de le vendre, pour que ce fonds continuât à être tributaire : les barbares ne payoient donc pas de tributs fur les terres (d).

(a) Liv. III, ch. xxxvI.

(b) Tome III, page 514.

(c) Judices atque præpofiti terras Romanorum, ab illis qui occupatas tenent, auferant ; & Romanis fuâ exactione fine aliquá dilatione reftituant, ut nihil fifco debeat deperire. Liv. X, tit. 1, ch. xiv.

(d) Les Vandales n'en payoient point en Afrique. Procope, guerre des Vandales, liv. I & II; Hiftoria mifcella, liv. XVI, page 106. Remarquez que les conquérans de l'Afrique étoient un compofé de Vandales, d'Alains & de Franes. Hiftoria mifcella. liv. XIV, page 94.

M. l'abbé Dubos (a), qui avoit besoin que les Wifigoths payaffent des tributs, quitte le fens littéral & fpirituel de la loi (b); & imagine, uniquement parce qu'il imagine, qu'il y avoit eu, entre l'établiffement des Goths & cette loi, une augmentation de tributs qui ne concernoit que les Romains. Mais il n'eft permis qu'au pere Hardouin d'exercer ainfi fur les faits un pouvoir arbitraire.

M. l'abbé Dubos (c) va chercher, dans le code de Juftinien (d), des lois, pour prouver que les bénéfices militaires chez les Romains étoient fujets aux tributs : d'où il conclut qu'il en étoit de même des fiefs ou bénéfices chez les Francs. Mais l'opinion, que nos fiefs tirent leur origine de cet établiffement des Romains, eft aujourd'hui profcrite: elle n'a eu de crédit que dans les temps où l'on connoiffoit l'hiftoire Romaine & très-peu la nôtre, & où nos monumens

(a) Etabliffement des Francs dans les Gaules, tome III, chap. xiv, page 510.

(b) Il s'appuie fur une autre loi des Wifigoths, liv. X, tit. I art. I, " qui ne prouve abfolument rien elle dit feulement que celui qui a reçu d'un feigneur une terre, fous condition d'une redevance, doit la payer.

(c) Tome III, page 511.

(d) Lege III, tit. 74, lib. XI.

anciens étoient enfevelis dans la pouffiere.

M. l'abbé Dubos a tort de citer Caffiodore, & d'employer ce qui fe paffoit en Italie & dans la partie de la Gaule foumise à Théodoric, pour nous apprendre ce qui étoit en ufage chez les Francs; ce font des chofes qu'il ne faut point confondre. Je ferai voir quelque jour, dans un ouvrage particulier, que le plan de la monarchie des Oftrogoths étoit entiérement différent du plan de toutes celles qui furent fondées dans ces temps-là par les autres peuples barbarés: & que, bien loin qu'on puiffe dire qu'une chofe étoit en ufage chez les Francs, parce qu'elle l'étoit chez les Oftrogoths, on a au contraire un jufte fujet de penfer qu'une chofe quife pratiquoit chez les Oftrogoths ne fe pratiquoit pas chez les Francs.

Ce qui coûte le plus à ceux dont l'efprit flotte dans une vafte érudition c'eft de chercher leurs preuves là où elles ne font point étrangeres au fujet, & de trouver, pour parler comme les aftronomes, le lieu du foleil.

M. l'abbé Dubos abufe des capitulaires comme de l'histoire, & comme des

lois des peuples barbares. Quand il veut que les Francs ayent payé des tributs, il applique à des hommes libres ce qui ne peut être entendu que des ferfs (a); quand il veut parler de leur militaire, il applique à des ferfs (b) ce qui ne pouvoit concerner que des hommes libres.

CHAPITRE

XIII.

Quelles étoient les charges des Romains & des Gaulois dans la monarchie des Francs.

J

E pourrois examiner fi les Gaulois &

les Romains vaincus continuerent de payer les charges auxquelles ils étoient affujettis fous les empereurs. Mais, pour aller plus vîte, je me contenterai de dire que, s'ils les payerent d'abord, ils en furent bientôt exemptés, & que ces tributs furent changés en un fervice militaire; & j'avoue que je ne conçois guere comment les Francs auroient été d'abord fi amis de la mal

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(a) Etabliffement de la monarchie Françoife. tom. III, chap. XIV, page 513, où il cite l'art. 28 de l'Edit de Piftes: voyez ci-après le ch. xvIII.

(b) Ibid. tome III, chap. iv, page 298.

tôte, & en auroient paru tout à coup fi éloignés.

Un capitulaire (a) de Louis le débonnaire nous explique très bien l'état où étoient les hommes libres dans la monarchie des Francs. Quelques bandes (b) de Goths ou d'Iberes fuyant l'oppref fion des Maures, furent reçus dans les terres de Louis. La convention qui fut faite avec eux porte que, comme les autres hommes libres, ils iroient à l'armée, avec leur comte; que, dans la marche, ils feroient la garde & les patrouilles fous les ordres du même comte (c); & qu'ils donneroient aux envoyés du roi, & aux ambaffadeurs qui partiroient de fa cour ou iroient vers lui, des chevaux & des chariots pour les voitures (d); que d'ailleurs ils ne pourroient être contraints à payer d'autres cens, & qu'ils feroient traités comme les autres hommes libres.

On ne peut pas dire que ce fuffent de

(a) De l'an 815, chap. 1. Ce qui eft conforme au capitulaire de Charles le chauve, de l'an 844, art. 1 & 2. (b) Pro Hifpanis in partibus Aquitaniæ, Septimaniæ & Provincia confiftentibus. Ibid.

(c) Excubias & explorationes quas wañas dicunt. Ibid.

(d) Ils n'étoient pas obligés d'en donner au comte, ibid. art. 5.

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